Sur la Vilaine, la vie est souvent un long fleuve tranquille (sauf accidents dramatiques). Quelques balades nautiques ponctuent le calendrier lors d’événements culturels ou festifs, et parfois, quelques passionné·es s’y adonnent à la pêche. Rien de bien spectaculaire, en somme. Pourtant, le fleuve a connu son lot d’audace. On se souvient récemment par exemple de l’idée un brin déjantée d’Anthony Folliard de naviguer à bord d’un bateau… en carton ! Conçu spécialement pour l’occasion, ce one-shot, comme on le dit dans les milieux avertis, fut un véritable exploit. Mais bien avant cette aventure, en 1934, une autre expérience avait captivé les foules rennaises. Devant des milliers de spectatrices et spectateurs, Julien Guillaume fit la démonstration de son invention révolutionnaire : un sous-marin insubmersible ! On vous raconte.
Julien Guillaume, un inventeur en quête de reconnaissance
Originaire de Rodez et ancien mécanicien de la Marine, Julien Guillaume est profondément marqué par la catastrophe du sous-marin Prométhée et de la mort de 62 hommes d’équipage en 1932. Dans le but d’éviter de nouveaux drames, il développe une invention maritime révolutionnaire. Son dispositif -de 25 kilos et qui pouvant être contenu dans une simple valise (selon son créateur, NDLR)- vise non seulement à empêcher les navires qui en sont équipés de sombrer, mais également à permettre le renflouement des bateaux immergés.
Après avoir multiplié les conférences pour faire connaître son projet, et afin de convaincre les plus sceptiques, M. Guillaume décide de franchir un cap : organiser des démonstrations publiques. Les étapes tel un tour de France sont fixées : la Ciotat, Cannes, Nice, La Seyne, Villefranche, Saint-Raphaël, Cherbourg, Saint-Malo, Boulogne-sur-Mer, Choisy-le-Roi… Et puis, Rennes, le 29 janvier 1934. Le lieu choisi se situe en aval du pont de Bretagne, entre le quai de la Prévalaye et la gare de la Mission. L’événement fait alors grand bruit dans la capitale bretonne.
Selon les rumeurs, une foule nombreuse est attendue pour assister à cette expérience, organisée avec l’appui du journal L’Ouest-Éclair. Ayant des ressources limitées, M. Guillaume, qui investi ses propres économies pour développer son invention, fait largement appel à la presse et à l’opinion publique dans l’espoir de mobiliser des soutiens. Pour l’occasion, des cartes postales représentant l’inventeur seront mises en vente à prix libre. Les fonds collectés serviront à couvrir les frais de déplacement et d’organisation.
Le prototype que Julien Guillaume utilise pour ses démonstrations ressemble à une imposante torpille blanche fixée sur un chariot mobile, auquel elle reste attachée même lorsqu’elle coule. L’appareil est doté de deux compartiments à l’avant et à l’arrière, capables de contenir environ 550 litres d’eau grâce à des vannes accessibles de l’extérieur. L’inventeur prend place dans un kiosque central, fermé hermétiquement par un capot. Ce kiosque renferme le mécanisme secret, véritable cœur de son innovation, basée sur le principe de la poussée d’Archimède.
Jour J
En ce 29 janvier 1934, bien avant le début des expériences, une foule immense s’est déjà massée sur le pont de la Tour d’Auvergne et le long du quai de la Prévalaye. Souhaitant assister au plus près de la démonstration, certain·es n’hésitent pas à se rassembler sur les péniches amarrées le long du quai risquant de les faire chavirer sous leurs poids. Un comble ! Heureusement, le service d’ordre et les Hospitaliers Sauveteurs Bretons veillent au grain.
Le long du quai, une foule dense retient son souffle, les regards rivés sur cette petite merveille technologique : un sous-marin miniature flottant à la surface des eaux. L’inventeur, M. Guillaume, fait une entrée discrète, mais remarquée, vêtu d’une simple combinaison bleue et d’un béret basque, à bord d’une modeste barque. En toile de fond, une musique entraînante diffusée par les haut-parleurs du journal Ouest-Éclair accompagne l’effervescence ambiante.
Après un reportage improvisé qui présente brièvement l’appareil et son créateur, l’instant tant attendu arrive. Sous les acclamations et les murmures admiratifs, M. Guillaume grimpe dans son engin. D’un geste précis, il soulève le capot, s’installe dans l’étroit habitacle, puis referme soigneusement la coque, laissant à peine entrevoir sa tête. Dans un dernier salut adressé à la foule enthousiaste, il referme hermétiquement l’écoutille.
L’expérience débute alors. Des volontaires retirent les cloisons qui maintenaient le sous-marin en sécurité. L’eau s’infiltre rapidement par les hublots conçus pour céder sous la pression, et peu à peu, le sous-marin s’enfonce. Les spectateurs, captivés et nerveux, suivent du regard l’engin qui disparaît progressivement, jusqu’à être totalement englouti dans un tourbillon d’eau.
Au terme de ce moment suspendu, M. Guillaume et son sous-marin reposent désormais dans les profondeurs de la rivière, gravant dans les mémoires une prouesse audacieuse et inédite.
L’angoisse est palpable dans l’assistance. Et s’il ne remontait pas ? Bien que des moyens de secours soient prêts, le suspense reste entier. Mais pas de panique : fidèle à ses promesses, M. Guillaume refait surface après exactement 15 minutes d’immersion, prouvant le succès de son prototype. Pour convaincre définitivement les plus sceptiques, il replonge immédiatement, démontrant que son sous-marin conserve toujours l’eau dans les compartiments endommagés. L’expérience est répétée trois fois sous les applaudissements et les cris d’admiration d’une foule en délire. Une invention ingénieuse qui, ce jour-là, marqua les esprits et fit de M. Guillaume un véritable héros de la Vilaine.
Quelques mois plus tard, Julien Guillaume reviendra à Rennes à bord d’un yacht nommé Tout à flots, une embarcation de plusieurs mètres de long construite à Saint-Brieuc, utilisée comme habitation principale par l’inventeur et son épouse. On perd la trace du « Géo trouve-tout » : une brève dans « Le Journal » de 1935 rapporte qu’aucune autorité maritime n’avait jugé utile de le rencontrer officiellement cette année-là.
Sinon, l’INPI conserve le brevet d’invention à cette adresse.
Carton plein pour la « vilaine croisière » d’Anthony Folliard
Tous nos articles sur l’histoire de Rennes
- [Histoire] : La Vilaine, scène d’une expérience spectaculaire !
- PARTIE 5 – Deux nouvelles photographies sur le camp d’internement des nomades à Rennes
- [Histoire] : Des « cow-boys » sur le champ de Mars, à Rennes
- [Histoire] : Oscar Leroux, l’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux
- [Histoire] : Un vol audacieux lors de la foire de Rennes en 1854
- Quand un planimètre s’invite sur la place de la Mairie en mars 1949
- [Le meurtre de la rue d’Antrain] (Chapitre 4) : de l’échappée à l’échafaud (ou presque)
- [Le meurtre de la rue d’Antrain] (Chapitre 3) : la cavale de Lelièvre s’arrête à Paris
- [Le meurtre de la rue d’Antrain] (Chapitre 2) : les premières arrestations…
- [Le meurtre de la rue d’Antrain] (Chapitre 1) : la découverte du crime et l’enquête.
- Il y a 85 ans, la ville de Rennes chaussait ses skis au Thabor
- Le « vieux Rennes » croqué par Théophile Busnel
- [Histoire locale] : l’orgue de l’Église Saint-Germain
- PARTIE 4 – De nouvelles archives dévoilées sur le camp d’internement des nomades de Rennes (suite et fin)
- PARTIE 3 – De nouvelles archives dévoilées sur le camp d’internement des nomades de Rennes
- PARTIE 2 – Entre Histoire et Mémoire, come as you archives !
- [05 janvier 1945] – Un jour, une photo : « Il n’y a plus de nomades au camp du Boulevard Albert 1er »
- Une drôle de coutume à Rennes pour le jour de la Quasimodo
- PARTIE 1 – Un camp d’internement des nomades à Rennes
- [Histoire] : « Le Pont de la Mort » à Cesson-Sévigné
- À Rennes, des arcades vestiges du temps passé
- [Histoire] : Le stationnement payant : une « mesure de pure folie » pour le lobby automobile rennais
- [Histoire] : Une fumerie d’opium débusquée à Rennes
- [Histoire] : Quand Rennes bambochait sur des patins à roulettes
- [Histoire] : Une grève d’écoliers à Rennes
- [Histoire] : C’est la fête de la Saint-Pierre à Rennes. À-Louée-luia !
- « Les Tribulations du Trésor de Rennes #3 » : Bain forcé dans les eaux boueuses de la Seine
- « Les Tribulations du Trésor de Rennes #2 » : Rue des Trésors
- « Les Tribulations du Trésor de Rennes #1 » : Les bacchanales rennaises, une tradition antique ?
- [Histoire] : Poubelle la vie, à Rennes
- [Histoire] : « Rennes est une ville crottée et le restera toujours »
- [Histoire] : Le Vieux-Rennes – la Rue de Penhoët
- [Histoire] : Un frigo géant au 51 rue de Saint-Malo !
- [Histoire] : Portes ouvertes à la Maison Centrale de Rennes
- [Histoire] : Les hantises des environs de l’ancienne église Saint-Étienne à Rennes
- [Histoire] : « J’peux pas, j’ai piscine… »
- [Histoire] : « Rennes à la nage », une course pas si Vilaine… mais un peu quand même !
- [Histoire] : Le chantier de la gare de Rennes : un éternel recommencement ?
- [Histoire] : A Rennes, mieux que les « gilets jaunes », la « bande jaune » !
- [Histoire] : Au 23 de la rue d’Inkermann, on feignait d’oublier la guerre d’Espagne…
- [Histoire] : Quand la piscine de Mr Janvier a bien failli prendre l’eau !
- [Histoire] : Quand Rennes accueillait avec enthousiasme un « zoo humain », place Hoche…
- [Histoire] : L’affaire du gâteau empoisonné, un vaudeville rennais en pleine guerre mondiale !
- [Histoire] : Législatives 1910 à Rennes, pour le meilleur et pour le rire !
- «Swing in Rennes #4» ou la belle Histoire du Hot-Club de Rennes : 1950-1955, Les dernières années
- «Swing in Rennes #3» ou la belle Histoire du Hot-Club de Rennes : 1944-1949, l’âge d’or du Hot-Club
- « Swing in Rennes #2 » ou la belle Histoire du Hot-Club de Rennes : 1943-1944, Swing & Libération
- « Swing in Rennes #1 » ou la belle Histoire du Hot-Club de Rennes: « Jazz & occupation 1940-1942 »
- [Histoire] : Quand on venait écouter la « vierge rouge » à Rennes
- [Histoire] : Le ″drink truck″, un concept qui existait déjà à Rennes dans les années 30 !
- [Histoire] : Quand la police inculpait des ouvrières en grève pour « délit de vagabondage »
- [Histoire] : La véritable histoire de la « cocotte » rennaise
- [Histoire] : A Rennes, il s’évade de prison travesti en femme…
- [Histoire] : Le quartier Saint-Martin au temps des barricades et des odeurs de poisson pourri !
- [Histoire] – Quand de Gaulle n’était pas le bienvenu sur sa propre esplanade !
- [Histoire] – Quand on a voulu interdire la galette de sarrasin…
- [Histoire] – « C’est l’incendie, le grand incendie » du Palais Saint-Georges !
- [Histoire] – Quand le parc des Gayeulles sentait bon le fumier de cheval !
- A Rennes, il y a 95 ans, la guillotine fonctionnait alors…
- « Chemin de vie »… Sculpture en hommage aux gens de la rue.
- CHEZ RAMON ET PEDRO, HISTOIRE D’UN BAR RENNAIS : 3-Renaissances (1969-2014)
- CHEZ RAMON ET PEDRO, HISTOIRE D’UN BAR RENNAIS : 2-Le temps des ouvriers (1945-1969)
- CHEZ RAMON ET PEDRO, HISTOIRE D’UN BAR RENNAIS : 1-L’odyssée de Ramon (1909-1945)