Ouest-France, toujours prompt à participer à l’attraktivité de la métropole, titrait en mai dernier : « À Rennes, les premières plages en bord de Vilaine ouvriront dans un mois ». Utilisant les mêmes éléments de langage que la municipalité, le mot « Plage » est ici volontairement ambigu. En effet, cette appellation laisse à penser que la baignade est envisagée sur le site du nouveau quartier pas-Baud-Chardonnet. Mais attention #spoiler, ce n’est pas le cas !
Depuis l’arrêté municipal du 3 juin 19921, piquer une tête est strictement interdit sur le territoire de la ville, à l’exception de la zone délimitée des étangs d’Apigné. (NDLR : et encore, pas tout le temps, hein… Lire notre article ICI). Cette mesure prohibitive, liée à la très mauvaise qualité de l’eau, risque de perdurer encore longtemps puisque, comme le répète le 1er adjoint au maire, aucun projet n’est engagé pour y remédier.2
Il est loin le temps où, les jours de canicules, Rennaises et Rennais se jetaient à l’eau pour se rafraichir au lieu-dit du « Cabinet-Vert », en amont du pont Laënnec, ou près du Gué-de-Baud, lieu où les écoliers aimaient se baigner3. Il faut dire que la dimension sanitaire n’était pas encore une préoccupation généralisée. Marcel Guillet, ancien président de la Société des Régates Rennaises (de 1934 à 1937) se souvient : « la Vilaine au début de notre siècle était une rivière libre, non recouverte et non polluée, si l’on négligeait les quelques nappes savonneuses des lavandières des escaliers des quais4… »
Alors qu’en 1905, le journal sportif « Le Vélo » inaugurait le premier marathon nautique sur la Seine(**), le quotidien catholique « Le Nouvelliste de Bretagne » a eu l’idée de reprendre l’initiative. La « traversée de Rennes » dans la Vilaine est ainsi née au début du 20ième siècle. Entre 2 et 3 kilomètres de longueur, son parcours évoluait selon les années. Le départ pouvait tout aussi bien être donné sous le pont Saint-Georges, l’actuel pont Pasteur, que sous le pont de la Mission, situé entre la place de Bretagne et le mail François Mitterrand.
L’itinéraire indiqué dans le Ouest-Éclair du 29 Août 1931 permet de mieux imaginer la seine scène : départ depuis le pont Jean Jaurès, premier virage autour d’une bouée à la hauteur de la gare de Viarmes, traversée de la ville avec un passage sous le tunnel, nouveau virage à hauteur de la croix de la Mission, érigée à l’angle des rues Nantaise et de la Monnaie, et enfin, arrivée au Pont de Nemours.
Les premières éditions regroupaient à peine une vingtaine de concurrent·e·s. Mais à l’aube de la seconde guerre mondiale, on comptabilisait plus d’une centaine de nageurs et nageuses. On se déplaçait de Nantes, de Brest, de Morlaix ou bien encore de Saint-Nazaire pour y participer. D’ailleurs, cet afflux posait quelques problèmes techniques car il devenait impossible de faire partir tout le monde du même chaland ! A partir du milieu des années 20, le départ fut donné directement dans l’eau. Les concurrent·e·s se tenaient derrière une corde décorée de pavillons tricolores et tendue à travers la rivière.
Minoritaires, certes, les femmes n’étaient pas cependant en reste. En 1917, par exemple, Yvonne Degraine, championne de France du 500 mètres, et Juliette Curé, championne de France UFN de l’épreuve de 100 m (1912) et arrivée première de la traversée de Paris à la nage en 1913, étaient engagées. Les travaux d’Anne Velez démontrent que « la participation féminine lors de ces marathons nautiques » était « un véritable enjeu de réussite, une condition sine qua non de succès, un argument solide pour attirer le public(**). »
Devenue un rendez-vous immanquable dans l’agenda sportif, la course passionnait la ville entière. A chaque fois, les quais de Rennes étaient noirs de monde et la foule était « massée sur sept ou huit rangs5 ». Il faut dire que le spectacle est totalement gratuit et accessible au plus grand nombre. En 1907, on rapporte que près de 15000 personnes s’étaient réunies pour l’occasion. Ouest-Éclair aimait qualifier l’épreuve comme étant « le meilleur agent de propagande en faveur de la natation ».
Même si pour l’année 1906, la Vilaine avait subi « un nettoyage en règle2 », les différents articles de presse décrivent par contre une eau peu ragoutante et aux odeurs nauséabondes. En voici quelques extraits : « Une âcre odeur de camphre prend à la gorge. L’eau noire, agitée par un bateau voisin », « dans une gerbe d’eau sale, les concurrents plongent et se mettent en ligne », « on songe au courage qu’il faut avoir pour se plonger dans cette eau boueuse et noirâtre », « les nageurs, à la peau noircie par l’eau salée ».
Pour clôturer la fête dans la bonne humeur, un vin d’honneur était organisé dans les locaux du « Nouvelliste de Bretagne » ou alors dans le « coquet jardin d’hiver de l’hôtel Continental » avec une remise des prix aux gagnant·e·s. Bien sûr, ces dernier·ère·s avaient pris soin de prendre une bonne douche avant !
De nos jours, il faut attendre la victoire de l’équipe de France en coupe du monde de football pour voir de nouveau quelques têtes brulées se jeter à l’eau.
1 : Se baigner dans la Vilaine est interdit !
2 : Les usages de la Vilaine – P°12
3 : Article extrait du Télégramme du 12/03/2018
4 : Article extrait du Ouest-France du 17/07/2001
5 : Article extrait du Ouest-Eclair du 09/09/1929
Photo d’illustration : 7/7/24, Vallerey, gagnant [de la] traversée de Paris [à la nage] : [photographie de presse] / [Agence Rol]
(**) THESE : LES FILLES DE L’EAU. UNE HISTOIRE DES FEMMES ET DE LA NATATION EN FRANCE(1905-1939)