
Ce mercredi 19 mars, celles et ceux qui découvrent Shannon Wright sur scène à l’Antipode pour la première fois ne savent pas. La claque qu’ils et elles vont prendre. Les autres l’attendent. La foudre, contrairement à ce que dit l’adage, tombe souvent au même endroit… Avec un concert d’une rare intensité (l’avant dernier de la tournée accompagnant la sortie de Reservoir of Love), Shannon Wright sera impériale. Désarmante. Intègre. Intense. Comme souvent : tellement au-dessus.
Troy Von Balthazar

La soirée commence merveilleusement avec le concert de Troy Von Balthazar, compagnon de label de Shannon Wright (Vicious Circle, à Bordeaux) mais surtout émérite membre de Chokebore que tout fan de rock hardcore des nineties écoute encore l’émotion plein les tripes. Rage contenue le mors aux dents à coups de mélodies imparables, Chokebore a marqué toute une génération et si, malgré une reformation éphémère du groupe (ils avaient joué dans l’ancien Antipode en 2013), Troy Balthazar continue en solo (7 albums solo au compteur dont les cinq derniers chez Vicious), c’est toujours accompagné de l’immense affection d’un public fidèle et concerné.
Pour des raisons de santé bien invalidantes (son dernier disque a bien failli ne pas voir le jour) et une main coincée dans une attelle qui l’empêche de jouer de la guitare, Troy Von Balthazar, qui ne peut plus que chanter et parler, a dû imaginer un dispositif scénique DIY pour les concerts accompagnant la sortie de son dernier album, le tout neuf et très réussi -bien qu’inespéré- Aloha means goodbye (7 mars 2025, Vicious Circle). Autrement dit, une petite table surmontée d’une lampe avec un radio cassette (avec à côté des cassettes de Brassens ou Bourvil), un clavier, un micro sur pied, un autre qu’il peut déplacer, des pédales de boucles, d’effets et surtout un musicien en plastique tout habillé, étonnamment francophone (certes Troy vit à Angoulême…) qui tient une Dan Electro noire et blanche sur les genoux, et avec lequel Troy discutera à plusieurs reprises durant le concert, déclenchant sourires et rires de toute la salle.

Pour autant, ce que Troy Von Balthazar perd en forme physique, il le conserve en engagement et en émotion. Dissimulé derrière son masque de lapin fétiche, il entame le concert penché sur son micro, le poing allant d’avant en arrière, avec le formidable Narrow (A Taste for Bitters, Chokebore, 1996), certes chanté sur la musique enregistrée mais avec une énergie et une voix qui touchent immédiatement au cœur.
Particulièrement applaudi pour ce tour de chauffe courageux et déterminé, il quitte son masque pour lancer le plus épuré Jacob (Courage mon amour, 2024) tout aussi réussi. Ainsi, tout au long du concert le musicien hawaïen fera ainsi des allers retours entre de vieux morceaux de Chokebore (le merveilleux Valentine issu de l’album Black Black, 1998 réédité en version vinyle en décembre dernier par Vicious Circle ou Days of Nothing sur A Taste for Bitters par exemple) et ses titres solo, souvent les plus inspirés (on a un vrai faible pour Her American, Swimmer ou Aloha means goodbye extraits du dernier album notamment).
Mais cette économie de moyen forcée n’empêche en rien les petites trouvailles scéniques qui rendent le moment à la fois intrigant, lumineux et bigrement touchant. Qu’on écoute cette voix immédiatement attachante, que le musicien se saisisse d’un mégaphone pour chanter jusqu’au milieu du public, qu’il lance le radio cassette, joue de ses pédales ou tape la discute avec son musicien de plastique, voire bondisse dans la salle à la surprise de toutes et tous, tel un lapin facétieux, ou même lise ses poèmes (issu du recueil Caution ! Poison Snake ! No Entry ! paru en 2020 aux éditions Eidola) en version bilingue avec son complice de plastique (après les rires, les voix et les langues se mêlent progressivement : magique et envoûtant !), Troy Von Balthazar livre un concert d’une réelle intensité et d’une rare honnêteté.

On passe des sourires (les réponses du mannequin en polyuréthane se font parfois un peu attendre, le timing au cordeau se trouvant parfois doucement chahuté par la rassurante imperfection humaine et le dialogue entre les deux est souvent drôle) à l’émotion la plus ténue, comme suspendue dans l’instant. L’épure des morceaux et du dispositif scénique tout comme cette solide fragilité qui émane du musicien rendent le moment encore plus intensément précieux. Comme sur son album en quelques sortes, peu de pistes, peu de couleurs : juste les bonnes. Le public ne s’y trompe pas si l’on en juge par la chaleur des applaudissements et le plaisir que chacun.e prend à ces retrouvailles. Au final, un concert immensément sincère et touchant, parfaite entrée en matière pour ce qui va suivre et qu’on attend déjà avec des frissons.
Shannon Wright

On ne vous mentira pas, c’est notre cinquième (et dernière) date sur cette tournée qui accompagne la sortie de Reservoir of Love de Shannon Wright. Forcément, on connait déjà un chouïa la setlist (on le répète, one of our favourite ever) et la qualité certifiée or massif des musiciens qui accompagnent Shannon (on les avait déjà vus pour la tournée de Let in the light, 2007 et pour celle d’In Film Sound, 2013), les indépassables Kyle Crabtree et Todd Cook (in Shipping News we always trusted) à ses côtés (autrement dit le meilleur line-up imaginable, no offense pour les talentueux.ses musicien.nes qui ont également joué avec elle). Pour autant, en écoutant Low dans les enceintes (les premiers morceaux de l’album Secret Name) avec les voix d’Alan et Mimi (que la terre lui soit légère) que Shannon a choisies avant d’entrer en scène sur toutes ses dernières tournées, on est fébrile comme au premier jour.
En effet, après l’intensité des retrouvailles avec un public particulièrement fan à Lyon (Le Marché Gare) et Nantes (avec une performance au Stereolux à des niveaux rarement égalés), un concert avec les dents à St Brieuc (Bonjour Minuit) et un son parfait à la Rochelle (à la Sirène, très chouette salle dans un bunker avec un public mêlant curieux.ses et fans tout également attentif.ves), ce soir c’est à la maison (la nôtre) que joue Shannon et devant les copains (les nôtres) venu.es gonfler les rangs de cette date qui affiche complet depuis des lustres (l’album n’était même pas encore sorti, c’est dire !).
Avec, comme à Lyon et Nantes, un sacré paquet de fans de toujours dans la salle, de celles et ceux qui mangent les kilomètres pour voir Shannon jouer live, parfois là depuis quasi les premières tournées en France. De celles et de ceux pour qui la musique de Shannon Wright fait et a toujours fait une différence. Un public qui sait déjà pourquoi ces cinq ans d’absence discographique, lacérés par le deuil et la maladie rendent encore plus immensément précieuse sa présence ce soir. Tandis qu’au milieu des rangs serrés devant la scène, une impatience aussi fébrile que respectueuse électrise l’air, l’intense joie des retrouvailles gonfle les âmes et les cœurs. A plein. Au vu du sourire de Shannon lorsqu’elle arrive sur scène, on devine qu’elle est encore infiniment partagée.

Shannon se saisit de sa jazzmaster de toujours (le retour – énooorme cœur avec les doigts) tandis que les indispensables Todd Cook à la basse et Kyle Crabtree à la batterie se glissent à ses côtés, eux aussi concentrés, le sourire (doux) vissé aux lèvres. Il faut dire que déjà, ça crie et applaudit à toute force l’euphorie des retrouvailles. On est ému, fébrile, heureux. Et toute la salle et la scène avec nous. Et disons le tout de suite, le son, précis, nuancé, superbe pendant tout le concert concourra encore au bonheur de ce soir (merci Mez, merci le nouvel Antipode -cœur avec les doigts again).
Résonnent alors les notes douces et tendres de la boîte à musique de Reservoir of Love. Premier titre du tout nouvel album (Reservoir of Love, donc sorti en février chez l’indéfectible et immensément précieux label bordelais Vicious Circle), tandis que les Américain.es s’installent avec leurs instruments. La puissance larvée de la batterie et de la basse viennent d’abord envelopper la voix de Shannon et les accords décochés sur la guitare, avant une première explosion toute en déflagration à couper le souffle.
Après une accalmie toute en tension, la seconde mise à feu, suivie d’un déchainement à trois des plus puissants enflamme immédiatement les corps. C’est sans compter un final, après un silence tendu à bloc, l’oreille en équilibre, où Shannon, Kyle et Todd repartent à pleines balles pour une fin des plus abrasives. On adore la version sur l’album. On est tout aussi dingue des changements live (les mélodies du chant et de la guitare sur cette partie du morceau) qu’on connait déjà jusque dans ses interstices (la richesse mélodique de Shannon Wright, on en parle ?). La guitare de Shannon râcle profond dans les poitrines, la basse et la batterie font battre les cœurs plus vite. Intensément. Ça finit comme un coup de poing, comme un saut dans le vide. Et ce n’est que le premier morceau…

Dans les cris et les applaudissements déjà chauds bouillants, ça se poursuit avec encore un nouveau titre, Ballad of a Heist, qui révèle lui aussi en live tout son potentiel. Sur l’intro en arpèges et fingerpicking, juste à la guitare, la voix de Shannon, profonde et grave, accuse, comme celle d’un blues immémorial, une révolte ancienne qui sourd de l’âme (the forces you give (..) you stole them from me), avant qu’avec l’arrivée de la basse et de la batterie, le morceau ne s’enlève, la voix de Shannon tutoyant des aigus qu’elle convoque habituellement peu, mélodiquement addictive (All alone you hide your disguise/all alone you walk a crooked line). On aimait déjà le morceau sur l’album, mais on avoue que sa version live nous en dévoile de nouvelles richesses : comme un secret qui apparaît.
On ne savait d’ailleurs pas trop comment Shannon adapterait les nouveaux morceaux en version live, car si ces albums précédents étaient déjà riches, leurs arrangements apparaissaient peut-être moins visiblement. Avec Reservoir of Love (l’album), la musicienne américaine s’est accordé le droit d’une grande variété d’arrangements et surtout le droit de les mettre plus en avant. D’où la question de savoir comment ces chansons se tiendraient, une fois râclées à l’os et rhabillées de l’énergie magique du live. Les cinq titres joués ce soir feront plus que tenir tous seuls. Ils rejoindront immédiatement, non la shortlist, mais l’immense palanquée de morceaux qui habitent nos vies.
Ainsi, Countless Days, magistral au piano, joué plus tard, provoquant des frissons tout du long, sonne déjà comme un classique et tient tout seul en piano-voix. Ce morceau, on le voit même grandir de date en date, marqué par la patine des lives de ces derniers jours, comme si Shannon trouvait progressivement l’interprétation la plus juste, la plus fidèle à ce que la chanson portait en ses prémices. Comme si, surtout, elle la chantait, à chaque fois, pour chacun.e d’entre nous dans la salle. On n’est pas les seul.es à frissonner.

Plus tard, ce sera l’immense Mountains, qui même sans clavier, déferle sur nous comme une avalanche, d’abord avec ses arpèges en fingerpicking et sa rythmique toute en subtilité et nuances menée toute en finesse par Kyle et Todd, Shannon dansant avec sa guitare, puis par sa montée qui nous déchire d’un coup la poitrine. C’est comme si on entendait la guitare chanter elle-même, mêlant dans une même émotion sa voix à celle de Shannon. Là encore, on se liquéfie.
Après ces deux premiers morceaux issus de Reservoir of Love, Shannon poursuit cette setlist parfaite (avec quasi tous nos titres préférés ever) avec l’énorme brûlot Fractured. Sur cette intro jouée comme un seul homme par les trois musicien.nes, Shannon fait résonner les notes finales toutes en bends face à Todd qui martèle sa basse des deux doigts, les deux se trouvant encore portés plus haut par les coups massifs et percutants que Kyle assène à ses fûts. Nous, on prend une immense respiration. On sait l’accélération qui va suivre et surtout sa force de percussion. Ça ne manque pas et nous voilà, comme toute la salle, percuté.es à toutes forces par la tornade Shannon qui descend le manche de la guitare à toute vitesse puis semble jouer comme dans un film en accéléré, tant sa main droite rebondit à toute allure sur les six cordes. Comme souvent, on a l’impression que Shannon a 4 mains pour arriver à faire tout ce qui se passe dans nos oreilles.
Il faut dire que Shannon avec Kyle (la barbe poivre et sel) et Todd (la très longue barbe), c’est un peu comme ce que le Stradivarius est au violon : une technique de précision au service d’une émotion intense. Immenses, d’une justesse à faire pleurer, toujours aussi doux que précis, aussi nuancés qu’explosifs l’un et l’autre, les deux magnifient encore la musique de Shannon (qui n’avait pourtant pas besoin de l’être). En immenses admirateurs des compositions de Shannon Wright, Todd Cook et Kyle Crabtree se plient en quatre, se mettent d’abord au service des chansons de Shannon, de toute leur âme, pour leur donner le plus intense retentissement, ciseler au mieux l’écrin qui leur permet d’étinceler davantage.

Cette tendre et solide complicité avec ces deux-là (on a même vu Shannon espiègle -si,si !- tirer discrètement la langue à Kyle -tout aussi discrètement hilare- depuis son wurlitzer !), à la fois remparts et fondations (qu’on a la chance de côtoyer depuis fort longtemps si on suit Shannon depuis ses débuts solo), irradie littéralement la scène et réchauffe profondément les cœurs. Reservoir of Love, cet album, c’est certain, n’aurait pu être mieux nommé. Sur Fractured (Secret Blood), on y revient donc, les trois ne lâchent rien et la puissance dégagée nous laisse extatiques et totalement exsangues. On en tomberait à genoux.
On croit souffler. Peine perdue. C’est sans compter l’immense Caustic Light (In Film Sound), accueillie dans les cris, qui nous lamine d’abord à froid par son irrésistible montée, avant de nous mettre l’âme en fusion, avec une dernière partie de folie furieuse qui poignarde les cœurs de tout un public. Dans la salle, ça crie, ça hurle. Ça en demande encore. On n’en peut déjà plus. On ne veut plus que ça s’arrête. La tête qui prend à chaque coup sur la caisse claire, les poumons qui se déchirent à chacun des accords saturés de la jazzmaster, et la ferveur du public qui se laisse totalement emporter par la puissance de cette tornade émotionnelle.
On cherche à reprendre notre souffle tandis que Shannon repose sa Fender et se dirige vers le Wurlitzer sur la gauche de la scène. Elle entame un Defy this Love applaudi dès l’intro par les fans de Let in the Light, une nouvelle fois transcendé par la prestation live. On est de plus en plus happé par les accents de sa voix, par l’émotion qui s’en dégage. On avait été complètement bouleversé par la fragilité de cette voix, sur certains accents du dernier album. Ce soir, c’est sa solidité qui nous émeut. On n’en revient pas de retrouver l’encore plus ancien Hinterland (Dyed in the wool pour sa version avec batterie, Perishable Goods pour celle juste au Wurlitzer), en trio donc, pour une interprétation à nouveau magistrale. Les doigts de Shannon rebondissent de touches en touches, la rythmique tournoyante, constamment relancée par un Kyle encore une fois époustouflant, finissent de nous emporter, les frissons gagnant encore davantage de centimètres carrés sur nos peaux.

On n’avait pas non plus entendu Idle Hands (Let in the Light) live depuis fort longtemps et son retour dans la setlist permis par la présence de Todd et Kyle (qui accompagnaient déjà Shannon Wright sur la tournée de Let in the light) ravit les vieux fans que nous sommes. Après cette accalmie (toute relative, entendons-nous bien) au piano, Shannon reprend sa jazzmaster pour une doublette d’anthologie : Commoner’s Saint (Secret Blood) d’abord, qu’on hurle à pleins poumons et dont les refrains aux accords décochés à une vitesse stratosphérique sur le bas du manche voient encore la guitare mêler sa voix à celle de Shannon qui nous déchire le cœur. Comme à chaque fois, à l’intérieur, on tombe à genoux. Kyle tape ses fûts comme un forcené, Todd les yeux fermés (ou sur Shannon), est emporté dans la musique et tous les trois respirent dans un même souffle. Et toute la salle avec eux.
With Closed Eyes (Over the sun) n’arrange en rien nos affaires. Dès les premières cordes frappées, on chavire. D’autant qu’on sait ce qui arrive. Le final à se damner. Shannon frappe les cordes avec son médiator. Les déflagrations déchaînent les corps devant la scène et ça foudroie en une multitude de points d’impact. Certain.es ne tiennent désormais plus et crient avec la guitare. Shannon et son groupe libèrent les âmes. Et achèvent tout le monde. La fin en équilibre et suspension agit comme une détonation silencieuse qui embrase la salle de cris et d’applaudissements à tout rompre.
On aurait presque besoin d’une pause tant on est bouleversé. Remué. Lessivé. Comme à Lyon où notre voisin, le souffle tout aussi coupé, réclamait presque un entracte. Le corps tremblant, on prend plusieurs profondes respirations, tandis que Shannon retourne au Wurlitzer. Cette alternance guitare/wurlitzer (quelques morceaux de chaque) est merveilleusement calibrée. Pas un temps mort. Une intensité de fou. Une profondeur délirante. On sait que Shannon aime à se perdre dans la musique et immerger le public avec elle. L’efficacité de ce set dantesque, qui sait aussi donner de l’air (pour mieux attiser les flammes), y participe pleinement. Kyle nous dira plus tard qu’ils ont travaillé la setlist en ce sens, mais sans savoir s’ils y étaient parvenus. On les rassure, et toute la salle avec nous. Derrière son clavier, donc, d’abord pour Countless Days dont on parlait plus haut, Shannon enchaine un Throw a Blanket over the sun (Over the sun) qui nous cloue l’âme instantanément. No love is here, no love is here, chante Shannon. Et nous, encore une fois, on pleure à l’intérieur.

Là aussi, on l’a souvent dit : le visage toujours dissimulé derrière ses cheveux, Shannon Wright se cache. Mais se donne, et donne, entière. Sans filet, possédée par la musique. Dans la salle chacun.e sait ce qu’elle engage pour donner autant. Le médiator calé entre deux doigts, Shannon retrouve sa jazzmaster pour le sublime Mountains (voir plus haut) aussitôt suivi par You’ll Be the death (Over the sun). Autant vous dire qu’on ne s’en remettra pas.
Ses arpèges qui coulent, d’abord, et la voix de Shannon, d’abord douce, nous serrent déjà le cœur. On sait le morceau. On sait qu’on ne s’en relève pas. A côté de nous, chacun retient son souffle. Et puis ça monte, ça enfle, porté par une batterie et une basse incandescentes, ça crie, ça explose, ça envoie au tapis. La fragilité et la puissance de Shannon emportent tout le monde.
Autour de nous, l’immense majorité du public est complètement suspendue à son souffle, à ses notes. On l’a aussi déjà dit souvent, on entend toujours un vrai silence dans les concerts de Shannon. Devant la scène, c’est toujours la qualité d’écoute du public qui frappe, les oreilles suspendues à cette voix, à ces mains sur la guitare, sur le piano. Ce soir, on n’entend même pas un bruit au bar. Après les cris et les (l)armes, You’ll be the death s’achève dans un silence plein de gorges serrées.

Les scansions d’If only we could (Over the sun), des doigts qui tordent les cordes de la jazzmaster nous emmènent encore plus loin dans la musique. Le morceau abrase les sens comme du papier de verre, pour mieux faire éclater la douceur mélodique de son « « refrain » désabusé (Such a mistake, such a mistake to spend time on you), à nouveau lacéré par une guitare tordue qui étreint les cœurs de ses cordes tendues prêtes à rompre. Avant un nouvel envol du final Who’s sorry now ? qui voit les notes de la guitare passées par les échos de la pédale delay et les roulements de Kyle se resserrer sur chaque fin de mesure, le morceau passant progressivement de la douceur à la plus rêche intensité, par une lente mais implacable mise en tension. Un final colossal, à l’image d’un concert énorme, sans aucun temps mort, à l’intensité de la foudre.
Avant de quitter la scène, Kyle prend une photo rapide du public les bras en l’air plein d’amour pour ces trois-là et salue avec Shannon et Todd, un Antipode tout retourné. Qui bien sûr en redemande. C’est donc avec le très vieux Dirty Façade (Maps of Tacit) au wurlitzer que Shannon entame un rappel en trois temps, qui finit de nous hacher menu menu. D’abord avec cette sublime chanson qui prend aux tripes, à pleine voix et dont le « pont » juste au piano toujours sur un fil à la limite de la dissonance nous renvoie dans les cordes.
Ensuite avec un inédit jusqu’alors pour nous dans la tournée. Si à la Rochelle, Kyle nous avait prévenu qu’ils essaieraient de jouer un autre titre du nouvel album sur cette date à Rennes -s’ils trouvaient le temps de le répéter- (tous les trois n’ont eu qu’une journée de répétition avant de s’envoler pour la France pour la tournée), on n’osait trop espérer. Alors on exulte : The Hits a rejoint la setlist et on le découvre pour la première fois live. C’est Shannon qui commence par les arpèges à la guitare avant que Kyle et Todd ne la rejoignent. On est raide dingues de cette ligne de basse, mélodique en diable que Todd joue à la perfection et on se laisse couler dans le morceau, le sourire aux lèvres, les sensations vécues lors de nos écoutes compulsives des dernières semaines s’agrégeant magiquement à cette superbe version live.

Le rappel s’achève alors par un Black little stray (Over the sun) encore une fois d’anthologie (la version à Nantes était à couper le souffle). On s’y attend et pour autant à chaque fois on se fait prendre. La générosité et l’intégrité avec lesquelles les trois l’interprètent y sont sans doute pour beaucoup. Ce soir, il nous suffit même d’écouter le jeu de batterie de Kyle, entre explosions et délicatesse, qui ponctue, souligne, accompagne les moments poignants de glissements subtils et de roulements tout en douceur, entrecoupés de déchainements massifs sur les fûts (mais quel batteur !), pour être déjà immensément ému.es. Devant lui, Todd se balance doucement aves ses longs cheveux et barbe, marquant de sa basse et d’un mouvement de tête frontal chaque coup de boutoir. Dans la salle, ça crie de libération.
On ne sait plus où donner de la tête ni du cœur. D’autant que Shannon, immense, nous emmène à sa suite avec cette guitare ensorcelée, habitée. La salle perd toute velléité de résistance (mais en aura-t-il été question une seule fois ?) et suit, elle aussi, Shannon jusqu’où elle voudra bien nous mener. Kyle et Todd, désormais silencieux comme des astres, immobiles, immergés sans un mot, sans un bruissement de sourcil, les baguettes et la basse blanche figées dans les mains, laissent tout l’espace à Shannon et sa jazzmaster.

Le silence en devient quasi épais, bruyant même, tant les souffles coupés, retenus, font résonner l’air du club. Cet immense silence devient alors caisse de résonnance énorme pour ces notes qui transpercent, tordent, laminent, consolent. Shannon s’éloigne alors du micro et chante sans amplification, à pleine voix, la salle entière suspendue à son souffle, à ses mots. Avec cette densité qui vous percute l’âme, vous ouvre la poitrine et vous retourne le cœur. L’explosion de la salle qui accompagne le retour de Shannon au micro et la fin du morceau, le disent encore mieux. Alors les trois s’éclipsent, tout en sourires, laissant la salle essorée, remuée, heureuse. Infiniment reconnaissante.
Pour tout avouer, on n’en peut plus. On est lessivé par tant d’émotions. Les copains, autour, en sont tout.es aussi bouleversé.es. On échange des regards heureux, euphoriques, des larmes d’émotion même (qui s’est déjà laissé emporter par la musique de Shannon sait), des sourires, des hugs plus ou moins impromptus, des fous rires, des gorges serrées d’amour et d’émotions (« voir Shannon sourire donne même envie de pleurer » , nous glisse une voix toute remuée) et une palanquée d’oh la la de bonheur/stupéfaction/émotions. Shannon dit chérir le live parce que c’est un moment de partage suspendu dans nos vies… Ce soir à l’Antipode, on n’aurait pu mieux dire.
Reservoir of Love, définitivement.
Avec un immense merci à l’ami Gwendal Le Flem pour les photos live à l’Antipode.