Rennes : la mue discrète des quartiers sous la pression immobilière

Une étude récente de l’Agence d’Urbanisme et de Développement Intercommunal de l’Agglomération Rennaise (Audiar) nous plonge, tête la première, dans les coulisses du marché immobilier des quartiers prioritaires de la politique de la ville de Rennes (QPV). Entre flambée des prix et montée en gamme des néo-propriétaires, la composition sociologique de ces territoires évolue. Doucement, certes, mais sûrement.

Certaines transformations sont plus visibles que d’autres…

Les quartiers, que sont Cleunay, Bréquigny – Champs Manceaux – Les Clôteaux, Maurepas, Le Blosne et Villejean, représentent plus de 33 000 habitant·es, soit 14,5 % de la population rennaise et 7 % de la population métropolitaine. Grâce à un vaste programme de renouvellement urbain, à grands coups de millions d’euros, ces 5 quartiers, relevant de la politique de la ville à Rennes, connaissent une véritable métamorphose. Cette évolution passe par de nombreux chantiers de rénovation, de réhabilitation, parfois de grande ampleur, ainsi que par la création de nouveaux équipements, comme le Musée des Beaux-Arts à Maurepas, le Conservatoire au Blosne, ou l’implantation de résidences notamment étudiantes. Par ailleurs, la ligne B du métro, qui irrigue plusieurs de ces quartiers (quand elle fonctionne, hein, NDLR), joue un rôle majeur de catalyseur de cette métamorphose. Mais derrière les panneaux « À Vendre » des agences immobilières qui, manifestement, n’ont jamais compris le principe d’un autocollant STOP PUB collé sur nos boîtes aux lettres, se joue une autre transformation, plus discrète, plus silencieuse. Mais tout aussi radicale.

En effet, AUDIAR a sorti sa calculette et fait les comptes. Et ils ne sont pas bons. Quoique… tout dépend d’où l’on se place, finalement. Comme dirait Blondin : « You see, in this world, there are two kinds of people, my friend. Those with loaded guns and those who dig. » 

Ainsi, entre 2019 et 2022, le marché immobilier s’est franchement affolé : +39 % de ventes à l’échelle de la ville (tous biens confondus), avec près de 16 300 transactions. Les quartiers prioritaires (QPV) ne sont pas restés sur le quai de l’attentisme : ils suivent eux aussi cette dynamique, avec près de 850 ventes, contre 608 sur la période 2015-2018. Bien que les ventes immobilières issues des QPV ne représentent que 5 % du volume total au sein du parc privé, cette évolution confirme une tendance.

 

 

 

En effet, historiquement, les quartiers Maurepas, Villejean, Cleunay, Le Blosne, et Les Clôteaux–Champs Manceaux formaient de petits villages qui résistaient encore et toujours à l’envahisseur… des grands flux immobiliers. Rappelons qu’ils concentrent — encore aujourd’hui — près de 70 % de logements sociaux, contre 15 % pour le reste de la ville. Autant dire que la punchline de Proudhon, « La propriété, c’est le vol », garde un certain succès d’estime dans l’tierquar. Et pourtant, depuis quelques années, quelque chose bouge. Les prix s’envolent : +50 % en moyenne entre les deux périodespage6 dans les QPV et leurs pourtours.

Une inflation qui rime avec gentrification ?

Dans ces QPV, les appartements anciens représentent toujours l’essentiel des ventes : 8 sur 10. Et ce sont des jeunes déjà installé·es à Rennes, appartenant pour la plupart aux professions intermédiaires, qui achètent en premier lieu. Enfin, jeunes… par rapport à nous, hein. 57 % des acquéreur·es ont moins de 40 ans — soit dix points de plus que dans le reste de la ville. Le constat est encore plus flagrant pour l’achat de logements neufs : dans les QPV, les moins de 40 ans représentent 58 % des acquéreur·es, contre seulement 33 % dans les autres secteurs de Rennes. Un écart qui illustre la dynamique spécifique de ces territoires en matière d’accès à la propriété.

Les cadres, dynamiques ou non, et professions intellectuelles supérieures marquent également leur empreinte, de manière progressive et durable : leur part passe de 20 % à 31 % dans les QPV, après une progression de 11 points entre 2015-2018 et 2019-2022, et grimpe à 35 % dans la fameuse « bande des 300 mètres » soit un gain de +8 points.

Forcément, au jeu du qui perd-perd, ces avancées se font au détriment… des classes ouvrières et employées. Toujours majoritaires, certes, mais en net recul. Les classes populaires se retrouvent, à l’insu de leur plein gré, exclues du marché de l’occasion, rattrapées par la hausse des prix de l’immobilier, conjuguée à celle des taux d’emprunt. L’étude de l’AUDIAR l’écrit noir sur blanc : « Le poids des employés-ouvriers parmi les acquéreurs recule nettement : -10 points entre les deux périodes. »

Globalement à l’échelle de la ville, en 2010, la part des employé·es et ouvrier·es à Rennes représentait 43,1 % selon l’INSEE. Vingt ans plus tard, elle résiste péniblement autour de 37 %, contrairement au reste de la métropole, largement majoritaire.

 

 

 

Un quartier, une spécificité !

En y regardant de plus près, chaque quartier a sa singularité.

Villejean, par exemple, est boosté par la livraison de logements neufs, et affiche 350 ventes sur la période étudiée. C’est le volume de ventes le plus important des cinq QPV : une vraie dynamique ! Il faut dire que le paysage immobilier s’y distingue par une proportion de logements sociaux, légèrement inférieure à la moyenne des autres quartiers prioritaires, oscillant entre 60 et 63 %. Un écart modeste, mais suffisant pour favoriser la présence accrue de copropriétés privées — et, avec elles, une dynamique de transactions plus soutenue dans le quartier.

Maurepas, en revanche, figé par un taux de logements sociaux avoisinant les 80 %, dispose de peu de marges de manœuvre. Cela dit, l’arrivée de la ligne B a contribué à renchérir le marché immobilier. « Tag ton quartier, ça fera baisser les loyers », comme écrirait l’autre ! Et pour cause : même avec un nombre réduit de transactions (60 ventes pour 2019-2022), les prix y ont grimpé, dépassant globalement ceux des autres QPV (hors logements neufs). Autre trait marquant du marché immobilier local : la prédominance des cadres et des retraité·es parmi les personnes acheteuses, aussi bien dans le quartier que dans la bande des 300 mètres. Une surreprésentation qui contraste nettement avec le reste de la ville.

Le Blosne, lui, se distingue par un volume élevé de reventes d’appartements anciens — près de 295 transactions — et par ses « petits lotissements pavillonnaires » qui attirent les familles CSP+, séduites par des maisons à plus de 320 000 euros. La part des cadres et des professions intermédiaires y a nettement progressé entre les deux périodes (2015-2018 et 2019-2022), passant de 48 % à 67 % page 15.

No futur ?

L’étude approfondie menée par l’agence AUDIAR ne pouvait se conclure sur un simple constat. En scrutant les données collectées pour l’année 2023, une tendance claire se dessine : malgré un marché immobilier atone, miné par les crises successives, les profils des acquéreur·es demeurent constants. Pire, certaines caractéristiques semblent même se renforcer. Dans les Quartiers de Priorité Urbaine (QPV), les cadres poursuivent leur ascension, grignotant toujours plus de terrain. De leur côté, la part des catégorie socio-professionelle employé·s et ouvrier·es ne cesse de décroître.

 

Étude AUDIAR (mars 2025) : à lire ici

Étude AUDIAR (décembre 2020) : à lire ici

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