À l’occasion des 50 ans de la loi Veil, qui a légalisé l’IVG en France en 1975, la MIR de Rennes accueillera, ce jeudi 20 mars, la conférence gesticulée « Histoire d’un secret de Polichinelle : lever avec joie le tabou de l’avortement ». L’événement est organisé par le Planning Familial 35, Histoire du Féminisme à Rennes et le Barreau de Rennes.

En 2012, alors que la campagne présidentielle bat son plein, Jeanne Aymard vit un moment clé de son existence : son avortement. Si elle était déjà convaincue de son droit à l’IVG, l’expérience lui a surtout apporté un immense soulagement. « C’était un moment de prise de pouvoir sur mon propre corps, j’ai eu l’impression que je commençais à décider pour moi-même, à pouvoir dire non », confie-t-elle*.
Son IVG a lieu à la maternité des Lilas, un établissement connu pour son engagement militant, mais alors menacé de fermeture à l’époque. Un symbole des tensions persistantes autour du droit à l’avortement. Ce contexte particulier la confronte à une réalité qu’elle ignorait encore. « Ça m’a mise en contact avec une frange de la société civile que je ne connaissais pas du tout, mais aussi avec les luttes féministes et les mobilisations pour les droits des femmes », explique-t-elle. Une prise de conscience qui marque un tournant.
Une enquête en plusieurs étapes
Documentariste sonore, Jeanne Aymard capte les murmures du monde, dénoue, transforme les récits intimes en échos puissants. Rapidement, après son IVG, elle a envie d’explorer la question de l’IVG dans son travail.
Elle retourne alors voir la conseillère conjugale qui l’a reçue en 2012. « Elle m’a parlé de certaines choses que je n’ai comprises qu’en 2023, lorsque j’ai élaboré ma conférence. Mes connaissances se bornaient à une histoire très officielle, et il me manquait trop de morceaux du puzzle pour poser les bonnes questions ou relier certains événements », raconte-t-elle. L’accès à l’IVG est un sujet complexe, entouré d’un flou entretenu par des représentations culturelles et sociétales. « On est façonné par des injonctions dominantes, véhiculées notamment par la fiction et les médias », analyse-t-elle.
Ce travail d’enquête s’est construit en plusieurs temps. D’abord, en 2015, lorsqu’on lui a commandé une première recherche pour une fiction cinématographique. Puis, en approfondissant l’histoire du MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception), actif dans les années 1970. Elle s’est peu à peu aperçue que, contrairement à ce que l’on raconte souvent, « la loi Veil n’a pas réglé toutes les difficultés d’accès à l’IVG ». Enfin, en développant un documentaire télé, elle a réalisé l’ampleur du sujet et son invisibilisation : « C’est comme un fil qu’on tire : plus on creuse, plus on découvre des aspects et des pans de l’histoire passés sous silence, comme la dimension technique des méthodes d’avortement, qui n’est que très rarement abordée. »
Un droit fragilisé malgré la Constitution
Depuis mars 2024, la liberté de recourir à l’IVG est inscrite dans la Constitution française. Un moment historique ? Pas si simple, tempère Jeanne Aymard, qui corrige d’emblée notre abus de langage. « On parle de liberté garantie d’avoir recours à l’IVG, pas d’un droit à l’interruption volontaire de grossesse. La nuance est de taille. »
Derrière l’effet d’annonce, rien ne change concrètement pour l’accès à l’IVG en France. « On évite d’en parler, mais les obstacles sont nombreux », souligne-t-elle. Et les chiffres fournis par le Planning familial lui donnent raison : en 20 ans, 353 maternités ont fermé, et en 15 ans, 130 centres IVG ont disparu. Il arrive que les femmes doivent parcourir d’importantes distances pour trouver un établissement, les délais de consultation sont longs, faute de professionnel·les qualifié·es, et la double clause de conscience, qui permet aux soignant·es de refuser de pratiquer l’IVG, réduit encore l’offre de soins. « Cette constitutionnalisation peut sembler rassurante, mais elle ne s’attaque pas aux vrais problèmes », résume Jeanne Aymard. En clair : graver la liberté d’avorter dans le marbre, c’est bien. Garantir un accès effectif à l’IVG, c’est mieux.
Une montée des extrémismes inquiétante
Si des avancées ont été obtenues, les résistances, elles, se durcissent. L’actualité en témoigne : le 28 février dernier, sans prévenir, C8 – chaîne du groupe Bolloré – diffuse un téléfilm ouvertement anti-avortement. Jeanne Aymard en est convaincue : l’accès à l’IVG reste fragile. « L’avortement est un enjeu politique. Et comme tout enjeu politique, il est soumis à des rapports de force en constante évolution », martèle-t-elle. Rien n’est jamais définitivement acquis. La montée de l’extrême droite et des discours masculinistes menace les libertés individuelles, et avec elles, ce droit. « Le combat pour le droit à l’avortement est toujours d’actualité», alerte-t-elle.
* Entretien téléphonique (mars 2025)
Les rendez-vous :
- [BRUZ] : Rendez-vous mercredi 19 mars à 19h Espace Simone Veil. Gratuit, inscription conseillée auprès de L’Escale par e-mail à animation @ escale-bruz.fr
- [Rennes] : rendez-vous le jeudi 20/03/2025 à la Maison internationale de Rennes, 7 Quai Chateaubriand.
- Jeanne Aymard – Conférence Gesticulée.
- C’était quoi le MLAC, le mouvement qui a lutté pour le droit à l’avortement ?
- Pourquoi le combat pour le droit à l’avortement ne s’est-il pas terminé avec la loi Veil ?
- IVG : qu’est-ce que la clause de conscience ?