Cela ressemble à une mécanique bien huilée ou plutôt à un marronnier pour employer un terme journalistique. A chaque élection, c’est la même chose. Les médias s’en donnent à cœur joie et énumèrent avec un ton moqueur les candidatures « loufoques » ou « excentriques ». Il faudra d’ailleurs nous expliquer, une bonne fois pour toutes, la règle qui régit le sérieux d’un·e concurrent·e par rapport à un·e autre mais ce n’est pas ici le sujet.
Rodolphe Salis, fondateur du célèbre cabaret parisien le ‘Chat-Noir‘, fut sans doute l’un des premiers à s’offrir le plaisir de tourner en dérision le suffrage universel lors des élections municipales en 1884. Ce dernier réclamait l’autonomie et l’indépendance du quartier Montmartre. Depuis, d’autres ont suivi son exemple. Aux dernières législatives, par exemple, nous avons pu découvrir le portrait d’un ex-chanteur qui aimait murmurer à l’oreille des arbres, d’une ex-torera qui aimait murmurer à l’oreille des taureaux, mais seulement après leur mise à mort+d1fos. Et l’on passe sur ces feuillets au sujet de ces artistes, de ces anciennes gloires people ou du monde sportif reconverti·e·s à la politique… Rennes n’est pas en reste. Déjà, en 1910, quelques mésaventures de politicards « fantaisistes » faisaient les choux-gras de la presse locale.
► Politique de répétition !
En 1910, les législatives qui s’annoncent semblent déjà jouées d’avance. « Les élections sont faites… » peut-on lire dans le Ouest-Éclair du 1er Janvier 1910. Bonne année comme dirait l’autre ! Les rancœurs et les tensions nées de la promulgation de la loi de 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat se sont largement apaisées. La victoire de la majorité de la Gauche rassemblant les Radicaux, les Radicaux Socialistes et les Républicains de Gauche ne fait plus aucun doute. Certes, ici ou là, un vent venu du Nord(1) souffle sur l’Europe pour accorder le droit de vote aux femmes pouvant faire mentir n’importe quel pronostic mais personne ne prend réellement au sérieux cette requête. Pire, on s’en amuserait presque à l’instar de cet éditorialiste écrivant en 1909 « La femme avait déjà assez de défauts… Si elle se met à faire de la politique, c’est la fin de tout. Il est vrai que, quand nos épouses seront députées ou sénatrices, nous aurons la ressource de passer nos journées à courir les magasins. +d1fos »
Aucune surprise, donc… Heureusement à Rennes, la candidature fantaisiste d’Emile Verdier met fin à la torpeur de la campagne électorale. Comme un joli pied de nez aux politiques traditionnels comme Mr Le Hérissé, député sortant de la 1ere circonscription, républicain et atypique puisqu’il fut successivement boulangiste puis antidreyfusard, des affiches d’un jaune poussin sont placardées sur les murs de la ville pour annoncer la bonne nouvelle. Verdier est un drôle qui ne manque pas de déclarer que, s’il est élu, il offrira une tournée générale ! Avec ses cheveux grisonnants, l’homme n’a pas peur du ridicule et c’est grâce au soutien précieux des étudiants rennais qu’il s’est lancé dans la bataille.
Le 21 avril, Verdier donne un de ses premiers meetings. Celui-ci se tient en plein air, place de la Mairie. Il attire bon nombre de rennais·e·s. Les journaux ne se trompent pas et s’emparent du phénomène. Ils l’affirment à l’encre noire. « Si Verdier, Emile pour les intimes, n’avait pas eu l’idée de tâter du suffrage universel, la campagne électorale à Rennes eût été d’un calme plat ». Les jours passent et le succès ne se dément pas. De Saint-Grégoire à Cesson-Sévigné, on se déplace pour voir le guilleret candidat déclamé ses idées « humanitaristes et néo-unificatistes ». Des cris nourris « Vive Verdier, Verdier député ! » saluent la péroraison de ses allocutions. Ayant un flair aiguisé ou véritable féministe convaincu, ce dernier ira même jusqu’à promettre l’installation d’une urne pour permettre aux femmes de voter.
Par contre, cela ne fait pas rire tout le monde. Paulus, le chanteur populaire ambulant que l’on voit régulièrement errer le soir dans les rues, son inséparable guitare sous le bras, ronge son frein. Il ne supporte pas le choix des étudiants de parrainer Verdier, cet imposteur selon lui ! Député ? C’était un rôle à sa mesure. Le Palais Bourbon ? C’était sa destinée ! Malheureusement, le manque de temps pour réunir toutes les signatures et autres documents officiels l’empêchent de se présenter de son propre chef. Toutefois, il n’a pas dit son dernier mot.
Au cours d’une nouvelle réunion du parti Verdiste Rennais Néo-Unifié (PVRN-U) place des Lices, Verdier – en pleine forme – ravi une nouvelle fois son public. « Du commencement à la fin, ce fut un continuel éclat de rire » décrit le journaliste du Ouest-Eclair+d1fos. Mais à plusieurs reprises, Paulus l’interrompt et l’invective.
Après quelques joutes verbales, il est déjà temps de partir. Verdier quitte la tribune et remonte vers la place de la Mairie suivi par plus de 2000 personnes pour y prononcer un nouveau discours, entrecoupé de cris et de chants. Soudain, quelques étudiants rebelles portent sur leurs frêles épaules le chansonnier rennais qui s’en va escalader le socle de marbre et se hisse sur la plate-forme, où, avant 1793, se dressait la statue pédestre de Louis XV(2). François Vallée(3) de son vrai nom, la jaquette déboutonnée, prend alors une pause sculpturale et un tonnerre d’applaudissements vient récompenser ses efforts. Son quart d’heure de gloire !
Cependant, Verdier ne manque pas de ressources. Afin de marquer les esprits, son équipe de campagne a l’idée farfelue d’arborer plusieurs chiens, de tous poils et de toutes les tailles, avec des paletots à réclames sur lesquels se détachent des inscriptions comme « Votez Verdier, tous aux urnes pour Verdier. »
► Journée électorale
24 Avril. Jour de vote. On s’affuble des plus beaux habits du dimanche pour aller accomplir son devoir citoyen. Malgré quelques averses, la journée est animée, surtout place de la Mairie où sont disposés les panneaux affichant les professions de foi des candidats. Ce ne sont d’ailleurs pas les affiches vertes, rouges ou bleues des Messieurs Le Hérissé, Le Coq ou Leprince qui ont les faveurs du public mais bien celles du rigolard Verdier. Affiches illustrées de surcroît par Walvi, dessinateur à l’Ouest-Éclair.
Verdier ne se gêne pas pour traîner sa silhouette dans le centre-ville faisant de larges gestes amicaux aux uns et envoyant des baisers aux autres. La foule est hilare. Et quand on vient le féliciter du succès d’estime obtenu, ce dernier, pince sans-rire, déclare à qui veut l’entendre « Une soif ardente trouble mon cerveau. La vie est charmante. On dirait du veau. » Surfant sur ce capital sympathie, des étudiants ont l’intelligence de vendre des cartes postales donnant des vues de la tournée électorale passées, de Cesson-Sévigné à Saint-Grégoire. Elles s’arracheront littéralement !
20 heures. Les résultats partiels ne laissent planer aucun doute. Mr Janvier, Maire de Rennes, pénètre dans la salle des fêtes de l’Hôtel de Ville et monte sur une chaise. Pas d’estrade, pas de micro, à la bonne franquette, quoi ! D’une voix tonitruante, il déclare, tout satisfait de voir son favori vainqueur : « à l’heure actuelle, M. Le Hérissé possède 700 voix de majorité. On peut donc considérer le député sortant comme réélu. Vive la République ! »
Ainsi et malgré l’enthousiasme que sa candidature a suscité, Verdier n’obtient qu’une petite centaine de voix sur près de 25 000 inscrits. Son comité l’honorera tout de même du titre de député honorable. Ménard, le dessinateur du Ouest-Éclair réalisera une jolie caricature à son effigie, tel un hommage ou un « allez, salut l’artiste ! On s’est bien marré mais maintenant faut nous laisser, là… »
► Epilogue
Les blagues les plus courtes étant souvent les meilleures, il faut y mettre un terme. Quelques jours après sa défaite, Verdier, bon joueur et bon perdant, saluera une dernière fois « son » public au cours de la journée du 1er mai en prenant la tête du cortège des étudiants venus faire la fête à Bruz. Et puis, à la suite d’une réunion secrète (comprendre par-là dans un café rennais), les sympathisants au ′Verdisme′ et ses plus fidèles lieutenants exigeront du député Hérissé fraîchement réélu d’accomplir au cours de son mandat les nobles tâches ci-dessous :
- L’inauguration du haras de Cesson, pour l’amélioration de la race escargoline ;
- L’installation d’une ligne télégraphique et maritime chez les Grégoriens ;
- L’élévation, à Rennes, de la ligue contre la bêtise des électeurs !
Aucune des trois revendications ne sera, bien sûr, satisfaite. On se demande bien pourquoi… Dommage, la bêtise de certains électeurs reste encore tenace !
SOURCE GALLICA.FR et OUEST-ECLAIR !
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(1) Le suffrage universel est inscrit dans la loi finlandaise depuis 1906, année où la Finlande devint le premier pays européen à reconnaître le droit de vote des femmes. [plus d’1fos : ici]
(2) Commandée par les États de Bretagne à Jean-Baptiste Lemoyne (1704-1778), sculpteur attitré du roi, représentait le souverain en guerrier antique entouré de deux figures allégoriques de la Bretagne et de la Santé, la statue fut fut fondue en 1793 pour servir à la fabrication de canons. Plusieurs projets eurent cours au 19e siècle pour la remplacer. [QUELQUES SOUVENIRS-Jean Janvier, Maire de Rennes]
(3) François Vallée, plus connu sous le nom de PAULUS décédera en novembre 1913
un peu d’histoire ne fait pas de mal