Flashback. Nous sommes en 1958 et la Belgique accueille le dernier « zoo humain ». A l’occasion de l’exposition universelle organisée à Bruxelles, 598 congolais·e·s, dont 197 enfants, sont parqué·e·s et exposé·e·s comme des « bêtes de foire ». Le pavillon congolais n’est qu’une pâle copie caricaturale d’un village traditionnel africain.
Aujourd’hui, une telle mise en scène nous paraîtrait grotesque, immonde, raciste. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, du milieu du XIXe siècle à l’entre-deux guerres, des millions de personnes se sont pressé·e·s pour voir ce genre de spectacles que les sociétés occidentales offraient à leurs populations. Mais avant de faire une moue de dégoût et d’indignation, n’oublions pas qu’en France, on aimait également voir des ″sauvages″ en cage ou dans des villages indigènes reconstitués. A Rennes aussi…
Contexte & exposition coloniale de 1931…
Depuis les années 1890, il est de bon ton de glorifier l’empire colonial français. Par tous les moyens, propagande comprise. Régulièrement, les expositions universelles évoquent les possessions d’outre-mer. L’idée de leur consacrer des manifestations spécifiques fait alors son petit bonhomme de chemin. Même si les explorateurs du 15ième siècle exhibaient déjà les autochtones qu’ils ramenaient de force leurs périples, les toutes premières expositions coloniales en France ont lieu à Paris (1889), à Rouen (1896) et à Marseille (1906). Elles semblent régir à la même règle : présenter à ″François-Le-français″ un échantillon des peuples « non-occidentaux ». Ces derniers sont mis en scène dans un décor en carton-pâte censé évoquer leurs lointaines contrées, leurs us et coutumes, tel un zoo ou un parc d’attraction. Sauf qu’ici, ce n’est ni Mickey ni le tigre du Bengale que l’on vient observer mais des femmes, des hommes et des enfants venu·e·s d‘Afrique, d‘Asie ou d’autres continents.
Au début des années 30, l’empire colonial Français est le deuxième plus grand empire au monde, juste derrière celui des Britanniques. Alors que la France sort meurtrie de la première guerre mondiale, que les effets de la crise économique de 1929 commencent à se faire ressentir, les colonies apparaissent plus que jamais comme une force pour le pays et l’opportunité heureuse de trouver des débouchés pour les produits français. Et ça, il faut le faire savoir d’autant plus que c’est à cette période que naissent des mouvements nationalistes réclamant l’indépendance de leur territoire (ex : Istiglal, Destour…)
Dans ce contexte particulier et sous couvert de sa prétendue « mission civilisatrice », l’exposition coloniale inaugurée en mai 1931 à Vincennes a un but clairement politique, celui de justifier la colonisation. Même si elle remporte un immense succès avec plus de 8 millions de visiteurs, une frange de la population dont le parti communiste ou des artistes liés au courant des surréalistes (Louis Aragon, Paul Eluard, André Breton…) va malgré tout alerter et dénoncer l’entreprise de « brigandage » qu’est le colonialisme. Ce que l’on sait moins ou que l’on feint d’oublier, c’est que deux ans avant cet événement, Rennes accueillait la tournée de propagande franco-coloniale et installait déjà un village Soudanais, place Hoche.
Quand « le village nègre » faisait les gros titres…
Nous sommes fin avril de l’année 1929 et la capitale bretonne accueille – comme chaque année depuis 1922 – la grande Foire-Expo. Durant cette période marchande, la physionomie de la ville en est toute transformée. Une animation joyeuse, contrastant avec le calme bourgeois des journées habituelles, emplit les rues. Entre les machines agricoles du Champs de Mars, entre les camelots et les marchands de tapis du boulevard de la liberté, on distingue à l’autre bout de la ville des huttes de pailles.
Véritable attraction, le succès du ″village″ est immédiat. Le côté primitif et exotique attire. Rennais et Rennaises se pressent pour découvrir cette curiosité, comme le rapporte Ouest-Éclair : « Les visiteurs s’arrêtent aussi ébahis, devant ces femmes qui portent leurs bébés sur le dos, devant tous ces noirs qui, impassibles, les regardent défiler en mâchant un bout de bois de gommier […] Cet embryon d’exposition coloniale, ce tableautin de vie soudanaise retiendra encore de nombreux passants par son pittoresque et par les originales attractions qu’il annonce. » Comme on donnerait de la nourriture aux animaux sauvages en captivité au zoo, les habitant·e·s de la Région distribuent des pièces de monnaie : « Tout le jour, les Soudanais montrèrent leurs dents si blanches aux visiteurs, tout heureux quand de gros sous tombaient dans leur sébile. » Les enfants de Rennes ne sont pas en reste puisque les organisateurs vont baisser le tarif du billet d’entrée à 1 Franc au lieu de 2, le jour où il n’y a pas école. Pas de petits profits !
Ces mises en scène façonnent une mécanique de la pensée raciste en imposant une hiérarchie entre prétendus ″civilisés″ et prétendus ″sauvages″. La preuve par l’écrit. Voici quelques extraits d’articles du Ouest-Éclair, florilège reflétant bien l’esprit de l’époque où l’on tenait pour acquise l’existence de races humaines.
- « Les petits nègres, aux cheveux si bizarrement tondus, dansèrent sur le Podium. »
- « Au cours de l’après-midi, eut lieu le baptême nègre. Cérémonie curieuse et fort pittoresque, évocatrice de mœurs profondément différentes des nôtres. »
- « Le comité des fêtes de la place Hoche a fait réellement une œuvre des plus intéressantes en offrant à l’étude des Rennais la vie réelle et franche de nos braves « noirs » qui pendant la guerre, ont été de nos auxiliaires les plus précieux. »
- « Et les marmots qui s’accrochent aux passants en tendant leurs menottes crasseuses – Un sou, moussier, pour chercher bonbon ! – ne s’inquiétèrent guère non plus de la pluie. »
A Rennes, rebelote en 1932…
Pendant plus d’un siècle – de la Vénus Hottentote, en 1810 à la Seconde Guerre mondiale en 1940 -, l’industrie de l’exhibition a fasciné plus d’un milliard quatre cents millions de visiteurs et a exhibé trente-cinq mille figurants dans le monde entier. « Les populations rurales, qui ont massivement quitté les campagnes pour la ville, ont besoin de distractions et d’éducation. Elles seront fascinées par cet exotisme jusqu’alors inconnu. Dans les expositions françaises, il y aura donc aussi des villages bretons et savoyards, régions que l’on juge urgentes à moderniser, tout comme l’Afrique ou n’importe quelle colonie de l’époque ! » analyse Gilles Boëtsch, anthropologue et directeur de recherche émérite au CNRS.
Face à l’engouement grandissant, les expositions coloniales se muent en spectacles itinérants et deviennent une industrie de divertissement à part entière. Quatre ou cinq « troupes » distinctes sillonnent les routes. Ainsi, en 1932, Rennes accueille de nouveau un village africain au cours de la 11ième édition de la Foire-Expo. Le groupe d’origine soudanaise est celui-là même qui fut présenté au cours de l’Exposition Coloniale à Paris Vincennes l’année précédente. Son programme est rudement chargé, les foires ne manquent pas dans l’Hexagone ! Après Rennes, il prendra la direction de Béziers, Nîmes puis Montpellier. L’Ouest-Éclair n’y trouve rien à redire, bien au contraire et tant pis si certains enfants sont séparés de leurs parents restés de l’autre côté de la Méditerranée. « Ce n’est pas une ménagerie, ce n’est pas une exhibition de négresses à plateaux ou d’anthropophages capturés à la force du poignet. Non, mais un tableau charmant de petits négrillons, tout jeunes, tout mignons, originaires de la Tripolitaine du Sud et qui font leur Tour de France sous la direction d’un blanc qui a pour eux une affection toute paternelle. » (Edition 30/04/1932).
Dans toute l’Europe, au Japon et aux États-Unis, les exhibitions humaines et coloniales disparaissent progressivement entre 1930 et 1940. Si la dernière manifestation officielle du genre a lieu à la veille des indépendances, lors de l’Exposition de Bruxelles en 1958, celle-ci suscite de nombreuses plaintes et contestations. Le temps des « zoos humains » est terminé. Aujourd’hui, ce sont les vieilles gloires des années 80 et les Miss France que l’on exhibe de foires en parcs expos et les « zoos humains » se déclinent dorénavant à travers la télé-réalité. Les temps changent même si les hiérarchies de couleurs qui placent l’homme blanc au sommet sont encore très vivaces, comme le rappelle le commissaire général de l’exposition « Exhibitions: L’invention du sauvage » qui retrace l’histoire des zoos humains.
Le dernier zoo humain en Belgique c’était en 1958, 10 ans après la déclaration universelle des droits de l’homme. pic.twitter.com/b8S1MgD91G
— Histoire Noir (@Wakidi_P) 9 mai 2015
Zoos humains. L’invention du sauvage
À l’époque des zoos humains
L’invention du sauvage
Le « village nègre », l’intolérable zoo humain de Paris
Pascal Blanchard : « Exhibitions , une exposition qui décolonise le regard »