Avec leurs gueules d’ange et leurs boutons d’acnés, ces adolescents ne se démarquent pas vraiment des autres, du moins au premier regard. Ils attirent presque la sympathie grâce à leur gouaille et leur tempérament volontaire. Mais ces trois-là ne sont ni des enfants de chœur ni nés de la dernière pluie. Et en Bretagne, le crachin, on connaît ! C’est donc une tempête qui s’annonce puisque le trio a rendez-vous avec la justice en correctionnelle pour des méfaits commis à Rennes. Retour en arrière.
Décembre 1933.
Nous sommes quelques jours avant les fêtes de fin d’année. Un cambriolage vient d’avoir lieu à la Villa Ker-André, route de Saint-Laurent, appartenant à Mr Gourjon. Des pièces de lingerie, de l’argenterie et une dizaine de boites de conserves sont dérobées. Détail original, les cambrioleurs ont pris leurs aises et ont consommé sur place une grande quantité de gâteaux, de confitures et de fruits confits. Un vrai festin gargantuesque et sucré. Mr Gourjon estime à près de 500 francs le préjudice, une jolie somme pour l’époque.
La police, sommée de dénouer l’affaire au plus vite, ne mettra pas longtemps à retrouver les auteurs de ce larcin. En effet, un portefeuille contenant une pièce d’identité au nom de l’un des malfrats est retrouvé sur place. De vrais pieds nickelés ! Les enquêteurs n’ont alors aucun mal à cueillir son propriétaire chez lui au saut du lit, rue de Nantes. André L., qui vient à peine de fêter sa majorité, exerçant le métier de peintre en bâtiment, est arrêté sur le champ. Après un interrogatoire légèrement musclé, ce dernier avoue très vite son acte : « Nous nous promenions tous les trois sur la route de Rennes à Saint-Laurent lorsque nous avons remarqué une maison à volets fermés. Nous avons aussitôt pensé la cambrioler. Nous avons escaladé un mur de 2m50 de haut près du portail, puis nous avons cassé un carreau de la cuisine. Nous avons ensuite pu ouvrir une porte et nous nous sommes promenés dans la maison fouillant tous les meubles. Nous sommes redescendus dans la cuisine où nous avons mangé des confitures. des gâteaux, des bonbons… » André L. lâche aussitôt le nom de ses 2 autres complices, tous mineurs, eux. Il y a là Marcel V., habitant la rue Saint-Georges et Bernard R., domicilié impasses des Glands. L’histoire est moqueuse.
Cuisinés par le commissaire de police en personne, les trois gamins confessent être responsables de plusieurs autres cambriolages ou tentatives. Le portefeuille perdu à la Villa fait d’ailleurs parti d’un butin volé dans un bazar de l’avenue Janvier. La bande n’est donc pas à son premier coup d’essai, bien au contraire. On retrouve même chez l’un d’eux un trousseau de douze fausses clefs et des plans de futures maisons à visiter… Bref, pieds nickelés, certes, mais équipés !
Au cours de leurs auditions, les trois garçons se vantent d’appartenir à la « bande jaune ». Pourquoi ce nom ? Sans doute pour imiter les héros de ces romans policiers et magazines criminels qu’ils aiment lire ou de ces films qu’ils apprécient regarder près des quais où sont organisées de temps en temps des séances de cinéma plein-air. Et puis, appartenir à un clan, c’est comme un blouson noir, ça effraie le bourgeois.
Pour accentuer le trait, tous se sont trouvé un surnom. André L. s’est pompeusement nommé Belphégor, Marcel V. se fait appeler Malapia et Bernard R. a emprunté le pseudonyme exotique de Menahoa. Les policiers ne sont pas au bout de leur surprise puisqu’ils découvrent au fil des confrontations que la bande a compté à son apogée 6 membres. En effet, 3 autres adolescents, Alexandre G. (15 ans), André C. (16 ans), tous deux voisins de la rue Penhoët, et le jeune Charles G., ont pris une part active dans cette mésaventure collégiale. Pour ne pas faillir à la règle, ils se faisaient appelés respectivement Matave qui en argot veut dire « marin », Fantômas et Charlot pour le petit dernier.
Comme toute organisation, la « bande jaune » avait ses statuts et son propre règlement interne. Elle se réunissait dans les sous-sols inoccupés de l’hôtel du Cheval blanc. Le chef, qui jouissait des prérogatives de commandement, était nommé au scrutin secret. Mais il fallait compter sur le jeu des rivalités puisque dès sa création, deux clans s’opposaient. L’un rallié au panache de Belphégor et l’autre acquis au téméraire Fantômas. C’est justement peu de temps avant le cambriolage de la Villa Ker-André que celui-ci ainsi que son camarade Matave ont été définitivement exclus de la bande.
Malgré tout, le bilan de leurs actions est conséquent : vol d’objets de maroquinerie à l’étalage du « bazar de la gare » avenue Janvier ; vol de gants aux « Nouvelles Galeries » ; vol de tablettes de chocolats dans une confiserie, rue de Rohan ; vol de foulards à l’étalage d’une mercerie, rue de la Monnaie et vol de bouteilles d’alcool dans les caves du Café de la Trompette. André C. dît Fantômas est également l’auteur du chapardage de la recette de 900 francs du cinéma « Excelsior » et plus drôle encore, à l’origine de l’obstruction des toilettes du « Select ». Il avait jeté dans un des WC un portefeuille volé devenu trop encombrant, tout en ayant pris soin de s’accaparer de la menue-monnaie au préalable.
Février 1934.
Menottes aux poignets, encadré par des gendarmes et sous étroite surveillance, chacun tente de minimiser son rôle au cours du procès qui se tient. Leroy va dénoncer une machination inventée de toute pièce par son rival Fantômas. Cela ne prend pas. Après un sévère réquisitoire du procureur, André L. et André C. sont condamnés à trois fois 8 mois d’emprisonnement; direction la prison départementale sans passer par la case banque pour l’un, la maison de redressement pour l’autre. Bernard R. est condamné à 3 mois de prison avec sursis. Marcel V., à 3 fois 3 mois de prison, avec confusion des peines. Alexandre G. sera confié au patronage de l’Enfance et de l’Adolescence à Paris jusqu’à sa majorité. Quant au benjamin de la bande, le p’tit Charlot, le tribunal le dédouane. « Charles G. a été entraîné par les autres qui étaient plus intelligents que lui… » Ainsi se termine cette triste affaire qui fut selon les écrits de Ouest-Éclair l’objet de conversation des rennaises et rennais pendant plusieurs semaines.
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Source Gallica
Clichés du Ouest-Eclair