Ce pan de l’histoire rennaise nous était jusqu’à présent inconnu. Malgré l’existence de documents à portée de main clic de souris, malgré une plaque commémorative visible depuis l’espace public, on ne s’explique toujours pas bien les raisons de cette ignorance. En vrai, on a quelques pistes qu’il nous faudra examiner avec objectivité, mais cela est un autre sujet. En tout cas, c’est par l’intermédiaire d’un écrit de Xavier Coadic « Notes de lectures : Les camps et enfermement(s) » que nous avons appris l’existence d’un camp d’internement des nomades à Rennes pendant la seconde guerre mondiale.
Précisions :
Arlette Dolo est l’une des premières personnes à avoir travaillé sur ce terrible sujet dans le cadre de son mémoire de fin d’études universitaires, « Historique du camp de nomades de Rennes 1939 – 1945 », et ce, dès l’année 1986. Ses travaux en ont inspiré d’autres, beaucoup plus tard, comme ici ou là. Enfin, l’article qui suit n’est ni un travail d’historien, ni un travail d’archiviste. Nous n’en avons ni la prétention, encore moins les compétences, le but étant juste de centraliser des informations glanées sur les internets.
SITUATION HISTORIQUE
Rappelons le contexte, d’abord. Attention, on résume sévère (et on en a conscience, NDLR) !
- En 1912, une loi impose une réglementation spécifique d’exception aux populations dites nomades. C’est l’apparition du carnet anthropométrique d’identité, qui deviendra plus tard carnets de circulation en 1969.
- Le 6 avril 1940, le président de la république française Lebrun signe un décret-loi interdisant la circulation des nomades sur l’ensemble du territoire métropolitain et leur impose « une résidence forcée sous la surveillance de la police et de la gendarmerie ».
- Le 04 novembre 1940, une ordonnance allemande exige leur internement systématique dans des camps administrés et surveillés par les autorités françaises. Action-réaction, dans chaque département, les préfets demandent à la gendarmerie de recenser, puis de regrouper les nomades et de les surveiller. Une multitude de camps s’ouvrent dans l’urgence. Le plus grand – le camp de Montreuil-Bellay, en Maine-et-Loire – recueillera plus de 1000 internés en août 1942.
- Pendant la seconde guerre, entre 3 000 et 6 000 Tsiganes sont internés dans l’indifférence la plus totale, dans trente camps pour nomades. Parmi les plus importants : Poitiers, Montreuil-Bellay, Rennes, La Forge à Moisdon-la-Rivière, Choisel, Linas-Montlhéry, Mulsanne, Arc-et-Senans, Saint-Maurice-aux-Riches-Hommes.
À Rennes, au lieu-dit de la Haute Salmonière, à l’angle de la rue Le Guen de Kérangal et du boulevard Albert 1er, un camp voit aussi le jour dès le 1er novembre de 1940. Connu sous l’appellation de « camp des nomades » ou « camp du Pigeon-Blanc », il peut théoriquement héberger(4) 250 personnes ; 200 selon l’inspection générale de la Santé et de l’Assistance. Le nombre de personnes internées restera toujours inférieur à cette capacité maximale. À partir de 1941, le camp accueille également une section d’internés administratifs.
LE CAMP
Un rapport du directeur du camp, M. Martin, ancien commissaire central de rennes, nous apprend que le camp mesure 100 mètres de long sur 90 mètres de large. Celui-ci comprend deux grands baraquements : un bâtiment Nord (n°1) et un bâtiment Sud (n°2). Une clôture extérieure est présente, constituée par des fils barbelés « assez denses et renforcés par des réseaux bruns (grosse bobine de fil de fer hérissé de pointes, NDLR) ». L’accès principal est constitué d’une porte à 2 vantaux située à 50 m de l’espace public donne accès au camp. À l’ouest du baraquement n°1, un vaste terrain accueille plusieurs roulottes « de certains nomades qui leur servent d’habitat » disposées parallèlement. Enfin, des fils barbelés séparent le quartier réservé aux internés administratifs du camp des nomades.
Le fonctionnement et l’organisation du camp sont laissés sous l’autorité de l’administration française. Le camp est gardé jour et nuit(2) par six gardiens surveillants (sous l’autorité du directeur du camp) armés de revolvers, et aidés par un poste de deux gendarmes.
LA VIE AU CAMP
Le docteur E. Aujaleu, inspecteur général de la Santé et de l’Assistance à l’époque, rédige un rapport(4) et informe qu’il « n’y a pas de critiques importantes » à faire au sujet du « tout petit camp ». La seule chose qui le préoccupe est que « pendant la mauvaise saison, le camp devient un bourbier » Il n’empêche. Comme le rappelle Jean-Yves Praud, président du GIP AGV 35 (Groupement d’intérêt public pour l’Accueil des Gens du Voyage en Ille-et-Vilaine, NDLR), « des familles de par leur seule différence s’y voyaient privées de leur liberté et risquaient le transfert vers d’autres camps plus coercitifs(3). » Une archive départementale de Loire-Atlantique indique justement que le préfet d’Ille-et-Vilaine a pris au moins une fois la décision d’envoyer une des familles internées au camp de Rennes vers le camp de La Forge afin de « dompter leur caractère sauvage(5) ». Jacques Sigot, transmetteur de culture et d’histoire, affirme que 56 personnes internées au camp de Rennes, ont été transférées vers le camp de Montreuil-Bellay le 5 août 1942.
Toujours selon le docteur, les baraques possèdent l’éclairage électrique et des lavabos ayant l’eau courante. Un témoignage posté sur le groupe FB « Il était une fois Rennes(7) » indique cependant que des personnes internées venaient réclamer de l’eau au voisinage le plus proche.
Les familles vivent à l’intérieur de leurs roulottes, ou dans les dortoirs, une dizaine en 1942, selon le directeur du camp. Certaines personnes ont l’autorisation de travailler à l’extérieur pour assurer leur subsistance, tout en ayant l’obligation de regagner le camp en fin de journée à 18 heures précises, sous peine de sanctions. Les nomades qui sont dans l’incapacité de travailler sont nourris aux frais du camp mais suivant « un taux de ration variable. » L’alimentation semble « suffisante » pour le docteur E. Aujaleu. Malgré tout, le marché noir semble être de rigueur à l’intérieur.
Le musée de Bretagne garde une lettre précieuse du couple Francis et Suzanne J***, incarcéré pour un mois au camp. Les mot couchés sur le papier sont sans équivoque et contredisent la communication officielle. Ils décrivent des « conditions d’hygiènes déplorables, dans une atmosphère de complète déchéance physique et morale. » Les paillasses qui servent de couchettes sont infestées de punaises, et de puces. Les murs « suintent d’humidité », et toute la chambrée « sent le moisi ». « L’état de crasse dépasse toute imaginaire. »
Autre témoignage, non daté, et recueilli par Nelly Cabelduc (AGV35) et Michèle Fougeron (MRAP)(6) rapporte les circonstances de l’arrivée au camp d’une famille : « On était à Lalleu. C’est là qu’ils nous ont pris. Les gendarmes nous ont avisés qu’il fallait rejoindre le camp des Nomades à Rennes. On y est allés de nous-mêmes. On est rentrés dans le camp avec la caravane, on dormait dedans. Il y en avait une quarantaine et aussi des baraquements. J’avais 11-12 ans. On était en résidence forcée… On y est rentrés en 1941 et on est restés plus de trois ans . » Pendant ces années d’enfermement, cette famille assiste à des évasions et à des tentatives de révolte collective.
Peu de brèves dans le quotidien Ouest-Éclair évoquent le camp. On en retrouve quelques-unes, principalement au cours de l’année 1941. Quelques exemples ci-dessous :
- 06/09/1941 : « Victor M. , 58 ans, nomade, né à Saint-Dizier, quitta jeudi matin le camp de nomades du boulevard Albert 1er… »
- 30/09/194 : « Par arrêts préfectoraux en date du 26 septembre Mr Le Préfet d’Ille-et-Vilaine vient de prendre les sanctions suivantes pour propos hostiles au Chef de l’Etat et au gouvernement : Mr. R. architecte à saint Servan : Internement administratif au camp de nomades de Rennes »
- 12/04/1941 : « Marie H. est inculpée de vol de deux couvertures au préjudice de l’Etat . Ce vol a été commis au camp de nomades »
- 3/01/1942 : « à la suite dune pétition faite par les habitants du quartier Fransisco-Ferrer, il a été procédé à l’internement de 61 nomades ou indésirables »
EPILOGUE
L’ordre est donné de fermer le camp en décembre 1944, soit plusieurs longs mois après la libération de Rennes. Par la suite, le camp est occupé par des soldats russes dans les années 1945, le commissaire de Police l’indique dans une note accessible aux archives départementales.
Enfin, beaucoup plus tard, le camp est transformé en une cité d’urgence, utilisée pour loger des familles sans ressources, et prises en tutelle par la ville. Dans les années 1968-1970, le lieu est détruit pour laisser la place à un immeuble.
- En septembre 2012, un article sur le « camp de la honte » est publié dans Le Mensuel de Rennes (n°48) et relate les recherches effectuées par le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) l’AGV35 (Accueil des Gens du Voyage en Ille-et-Vilaine) et par des élèves d’une classe de première Littéraire du lycée Chateaubriand. L’article ne mentionne pas le travail effectué par Arlette Dolo 26 ans plus tôt.
- En mai 2013, dévoilement officiel de la plaque au 12 rue des Frères Louis et René Moine (face au centre social des Champs Manceaux) qui commémore l’internement de familles nomades dans le camp de Rennes entre 1940 et 1945 en présence de Daniel Delaveau, Maire de Rennes. Nous n’avons malheureusement trouvé aucun article de presse disponible sur le web évoquant cet évènement. Le lien de la métropole : https://metropole.rennes.fr/actualites/education-vie-sociale-sante/vie-sociale/la-memoire-retrouvee-du-camp-d-internement-des-nomades/ est même cassé !
- En 2016, François Hollande reconnait la responsabilité de la France dans l’internement de milliers de Tsiganes par le régime de Vichy et jusqu’en 1946, lors de la première visite présidentielle sur le site de l’ancien camp d’internement de Montreuil-Bellay. Quelques extraits du discours prononcé par M. Hollande ci-dessous (à lire au complet ici, NDLR)
« 6.500 personnes, à 90% de nationalité française, dont près de la moitié étaient des enfants, ont vécu là pendant des mois, parfois pendant des années, dans des conditions épouvantables, comme ici à Montreuil-Bellay, privés de nourriture chichement consentie, avec le froid, l’hiver, la chaleur étouffante, l’été et une mortalité élevée. Les internés étaient isolés, reclus, plongés dans l’oubli, l’indifférence à l’exception de quelques Justes qui leur ont apporté leur aide »
« Après la Libération, et c’est ce qu’il y a de plus difficile à comprendre encore aujourd’hui, les camps d’internement de nomades ont continué d’exister en France. »
« Eh bien voilà ! Nous y sommes, ce jour est venu et il fallait que cette vérité fût dite au plus haut niveau de l’Etat : la République reconnaît la souffrance des nomades qui ont été internés et admet que sa responsabilité est grande dans ce drame. Mais je veux aller plus loin encore aujourd’hui, il a été rappelé que depuis 1912 en France, les gens du voyage qu’ils soient des citoyens français ou des étrangers sont fichés, surveillés, astreints à posséder ce qu’on appelle vous savez vous de quoi il retourne un carnet anthropométrique, comme s’ils étaient obligés de signaler tous leurs mouvements, comme des suspects. »
Prochaines étapes pour nous
On espère dans les semaines à venir trouver du temps pour se perdre dans les archives départementales afin de lire le mémoire d’Arlette Dolo, en profiter pour approfondir nos recherches/lectures. Qui sait, d’autres documents sont depuis peut-être devenus disponibles ?
Les Archives nationales mettent à disposition du public une carte des camps d’internement sous Vichy En Bretagne, on dénombre trois camps : le camp de La Forge à Moisdon-la Rivère, celui de Choiseul à Châteaubriant et, enfin, le camp de nomades de Rennes.
- PARTIE 5 – Deux nouvelles photographies sur le camp d’internement des nomades à Rennes
- PARTIE 4 – De nouvelles archives dévoilées sur le camp d’internement des nomades de Rennes (suite et fin)
- PARTIE 3 – De nouvelles archives dévoilées sur le camp d’internement des nomades de Rennes
- PARTIE 2 – Entre Histoire et Mémoire, come as you archives !
- [05 janvier 1945] – Un jour, une photo : « Il n’y a plus de nomades au camp du Boulevard Albert 1er »
- PARTIE 1 – Un camp d’internement des nomades à Rennes
- Raymond Gurême, Un chemin de mémoire et de résistance
- Les réglementations anti-Tsiganes en France et en Allemagne, avant et pendant l’occupation
- LE CAMP D’INTERNEMENT DES NOMADES DE RENNES – Travail de mémoire co-écrit en 2013 par une classe du lycée Chateaubriand, l’AGV35 et le MRAP 35
- Les camps français d’internement (1938-1946) – Doctorat d’Etat Denis Peschansk
(2) Rennes (1940-1944) : La Guerre, l’occupation, la libération
(3) https://archives.mrap.fr/mediawiki/images/8/8b/Camp_de_Rennes_opt.pdf
(5) https://journals.openedition.org/abpo/366#ftn139
(6) https://www.cairn.info/revue-z-2020-1-page-153.html#no5
(7) https://www.facebook.com/groups/sauveterre85/posts/4611622445578714/
Mon père a était dans ce camp ,avant et après que mon grand père fut fusille par les allemands .il est devenue pupille de la nation nous somme la famille M.