PARTIE 4 – De nouvelles archives dévoilées sur le camp d’internement des nomades de Rennes (suite et fin)

Passionné d’histoire et notamment celle de Rennes, on adore se perdre dans le labyrinthe virtuel d’Internet en surfant sur des sites tels que wiki-rennes, le portail documentaire du musée de Bretagne, et d’autres blogs plus confidentiels afin de découvrir d’anciennes photographies ou de vieilles anecdotes locales.
Plus sérieusement, nous avons appris récemment l’existence d’un camp d’internement des populations tziganes à Rennes
durant la Seconde Guerre mondiale, créé à la demande de l’occupant allemand, et surveillé par la police française. Après un premier travail de recherche documentaire, nous avons eu envie de pousser nos investigations en allant aux archives départementales. Et pour nous, c’était une première. Il n’est jamais trop tard pour bien faire !
L’article qui suit n’est ni un travail d’historien, ni un travail d’archiviste. Nous n’en avons ni la prétention, encore moins les compétences, le but étant juste de centraliser des informations. On vous recommande chaudement de lire les chapitres précédent ici et . Bonne lecture !

Les illustrations sont issues des archives départementales (cote 170W231)

« Y a le téléfon qui son »

Le commissaire central de Rennes, Louis Martin, prend sa retraite à l’automne 1940. Pour marquer le coup, un gueuleton est organisé dans les salons de la Renaissance, en compagnie de monsieur le maire François Château. Quelques semaines passent. Et puis, c’est le branle-bas de combat dans les couloirs de l’administration.

En effet, les PTT viennent de résilier le poste téléphonique de fonction de Louis Martin, domicilié au 13 rue Henri Sée. Fraîchement nommé directeur du camp départemental des nomades du boulevard Albert 1er, ce dernier en a encore pourtant bien besoin, et va s’empresser de plaider sa cause pour obtenir réparation. « J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir maintenir cet abonnement téléphonique au titre de frais d’occupation pour les besoins indispensables des services administratifs du Camp dont j’ai la direction », écrit-il dans une lettre adressée au préfet. Ni une, ni deux, au tour de ce dernier de solliciter le directeur général des PTT.

Anecdote : nos recherches indiquent qu’un ingénieur des PTT était un proche voisin de Louis Martin à l’époque

SOS Médecins

À l’intérieur du camp, « un médecin assure son service, assisté d’une infirmière qui vient tous les matins durant deux heures afin de donner des soins journaliers aux malades légers.[1] » C’est la ville de Rennes qui avance les salaires de l’infirmière, du directeur du camp, et des gardiens, comme le montre le document ci-joint. Dessus, on lit : « Dépenses avancées par la ville de Rennes, à rembourser au receveur municipal conformément à la lettre préfectorale du 29 septembre 1940. »

Frais d’occupation allemande

D’après nos recherches, le docteur Robert Legras vient régulièrement prodiguer des soins aux personnes souffrantes à l’intérieur du camp. Chacune de ses consultations est ensuite répertoriée, puis facturée. Le docteur Legras n’est pas un inconnu. Étant régulièrement de garde le dimanche à Rennes, c’est lui qu’il faut contacter en cas de pépin dominical. Aussi, son nom apparaît dans divers articles du journal Ouest-Éclair relatant ses interventions lors d’accidents de la route. Enfin, il est aussi connu comme étant vice-président de la section rennaise de la fédération des Mutilés et Réformés d’Après guerre. Ce qui semble étonnant par contre, c’est qu’en 1941, ses honoraires s’élèvent à 25 Francs contre 35 francs à la fin de l’année 1942. Sacrée inflation !

Nourriture

Au camp, « les nomades qui ne travaillent pas sont nourris par l’État […], ont des cartes et tickets de rationnement et ont le droit deux fois par semaine à la base de l’alimentation, c’est-à-dire : du pain, des légumes, des pâtes et de la viande. Le matin, il y a une distribution de café et succédanés moins chers que le café ou meilleurs comme la chicorée. De plus, les internés peuvent améliorer leur alimentation à leurs frais.[1] » 

Quelques dizaines de factures conservées aux archives départementales prouvent en effet que le camp faisait régulièrement appel aux commerces rennais pour s’approvisionner. En 1941, par exemple, la boulangerie Alix (rue Le Guen de Kerangal), le primeur Tardif (rue Saint-Michel), les épiceries Pierre Guérin (Boulevard Clémenceau) et Lanoe (rue de Nantes), la maison Hirel (Rue d’Aiguillon), la boucherie Pierre Leray (rue de Nantes) et la fromagerie Monnier (rue de Nantes) sont régulièrement sollicité·e·s. La base de l’alimentation semble sommaire : pommes de terre, choux, poireaux, de carottes. parfois du cidre, de la chicorée et du beurre. Et, plus rarement, de la viande et de la confiture. On a retrouvé aucune trace de fruits, par contre.

Menus travaux

Comme évoqué précédemment, le camp a d’abord accueilli des personnes fuyant la guerre d’Espagne. Il a ensuite été remis en état à la demande de l’occupant. Les deux baraquements fabriqués à cet usage n’étaient donc pas d’une qualité irréprochable. La célèbre Maison Clément, située au 24 rue des fossés, intervient régulièrement pour colmater des fuites d’eau, ou faire de menus travaux.

Pour la seule année 1942, on dénombre 3 réparations, des soudures, et une intervention de ramonage.

De nombreux document de la Maison Clément sont disponibles sur le portail documentaire du musée de Bretagne, à voir ici.

Maison Clément (1942)

Gardiens

Une lettre de la préfecture datée du 4 janvier 1941, et adressée au service comptabilité de la mairie de Rennes exige de faire « procéder au paiement des gardiens [du camp] au taux de 45 francs par jour. » L’équipe de surveillance était donc composée d’un brigadier-chef et de 6 gardiens. La plupart de ces derniers étaient en instance de retraite ou des retraités de l’armée.

 

Conclusion, partie 4

Ce qui est passionnant, mais aussi déroutant et frustrant à la fois, est que chaque découverte aux archives s’accompagne de nouvelles questions, nous poussant à investiguer d’autres pistes. Ce travail d’enquête réclame du temps, de la patience, et de la méthode, ce que – actuellement – nous n’avons pas. On espère qu’à travers ces quelques lignes écrites sur le sujet, d’autres puissent prendre la relève, qui sait ?


 

 

[1] HISTOIRE ET MÉMOIRE LE CAMP D’INTERNEMENT DES NOMADES DE RENNES
170 W 231 Gardiens du camp de nomades. – Organisation, traitements, indemnités : instructions, correspondance, états des dépenses de personnel, états des sommes dues, fiches de réquisitions, fiches de renseignement sur les gardiens, états des sommes à mandater au directeur du camp
46 W 20 Infirmerie. – Vaccination des nomades (30 avril 1941 – 27 avril 1945). Internés : cahier des visites (11 août 1944 – 3 mars 1945, 5 mars 1945-22 février 1946)
134 W 18 Gouvernement de Vichy, internements, 1940-1942 Camps de nomades, listes, dossiers par famille, correspondance Attestations d’internements, 1946-1967

Retrouvez tous nos articles :

« L’internement des Nomades, une histoire rennaise (1940-1945) »

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