Dans un ″vaudeville″ traditionnel, on retrouve toujours les personnages de la femme, du mari trompé et de l’amant. Si vous ajoutez à cette liste, un gâteau empoisonné et un suicide raté, vous obtenez alors tous les ingrédients d’une mésaventure rocambolesque qui s’est déroulée entre Rennes et Berlin en pleine seconde guerre mondiale.
En 1942, Lydie Fourgeau (née Cherei) et son amant Paul Crossouard ont tenté d’empoisonner Michel Fourgeau, le mari, par arme ″pâtissière″… Mais rien ne va se passer comme prévu et un innocent décédera dans l’affaire. « Dommage collatéral », comme on dit ! On vous raconte cela de manière forcément théâtralisée et romancée.
La rencontre…
Il s’en souvient comme si c’était hier. Lorsqu’il a croisé pour la première fois le regard de Lydie Fourgeau, ce fut littéralement le coup de foudre. Le vrai. Celui qui vous transperce des pieds à la tête, qui accélère votre rythme cardiaque et qui vous rend un peu « con-con ». Âgé de 23 ans en 1942, il ne s’attendait pas à tomber amoureux. En même temps, qui peut prévoir ces choses-là, hein ? Sa seule préoccupation en cette période de grands troubles était de réussir ses études de pharmacie qu’il menait à Paris. Et puis, sans crier gare, comme les américains sur les côtes normandes bien plus tard, Lydie Fourgeau a débarqué dans sa vie… malheureusement, au bras d’un mari bien encombrant.
Pour elle aussi, la rencontre avec Paul Crossouard était inattendue. Son mariage avec Michel Fourgeau était un beau mariage et sa destinée semblait déjà toute tracée. Lydie n’a pas résisté longtemps aux avances de l’étudiant. Il faut dire qu’il avait un sacré charisme malgré son jeune âge. Les deux se voyaient en cachette. Le mari trompé ne se doutait de rien ou feignait de ne rien voir. Mais Lydie n’en pouvait plus de ce ménage à trois et des mensonges répétés.
Prenant son courage à deux mains, elle avoua sa relation adultère à son mari. Ce dernier tenta vainement de la retenir mais à quoi bon ? Il voyait bien qu’elle n’avait d’yeux que pour ce bel inconnu. Michel Fourgeau accepta d’amorcer une demande de divorce. Pas banal pour l’époque. Pour ne pas subir quotidiennement l’affront de ce couple illégitime et comme on dit ″loin des yeux, loin du cœur″, il se décida à changer d’air. Pierre Laval ayant lancé un appel à la relève volontaire des prisonniers, Michel prit la décision de devenir travailleur volontaire en Allemagne, près de Berlin. Comme quoi, les déceptions amoureuses vous font faire parfois de sales choses.
Au pied de la lettre…
La voie est libre désormais – au contraire d’une moitié de la France – pour les tourtereaux de vivre pleinement leur passion amoureuse. Afin d’éviter sans doute les commérages et les ″on-dit″ du voisinage, le couple décide lui aussi de quitter la capitale et de venir habiter à Rennes. « Passez à l’Ouest », slogan intemporel ! Leur point de chute est un appartement au rez-de-chaussée du 93 bis, sur le mail. Paul poursuit ses études tout en occupant un poste de stagiaire dans l’une des plus importantes pharmacies de la ville. A côté, il enfile régulièrement le maillot rouge et le short noir du Stade Rennais en tant qu’ailier-droit. Il se forgera d’ailleurs une petite réputation footballistique. Bref, le couple semble heureux et pourtant à y regarder de près, tout n’est pas si rose. Paul se montre jaloux et les jours passant, il a du mal à se contrôler.
Un jour, il trouve une lettre écrite de la main de l’ex-mari de Lydie. Il comprend vite que la relation épistolaire entre les deux anciens amoureux ne date pas d’hier. Pire, Michel, toujours à Berlin comme travailleur libre, évoque son envie de revoir son ex-femme au cours de l’une de ses permissions. Paul imagine déjà le pire, les retrouvailles, les mots doux et…et… Fou de rage, exigeant des explications, une violente dispute éclate avec Lydie. Ce ne sera pas la seule. Paul devient insupportable et possessif. Ses colères, ses crises sont de plus en plus régulières. Il faut dire que la jolie jeune femme, habillée à la mode Parisienne, ne passe pas inaperçue.
Mais l’ambiance délétère plombe le moral de cette dernière. A un point tel qu’elle tentera de se suicider. Le drame fut évité de justesse. Un jour où Paul s’était absenté, parti disputer un match contre l’équipe de Saint-Aubin d’Aubigné, un voisin a trouvé Lydie inconsciente et allongée sur une chaise longue dans la cuisine alors qu’une forte odeur de gaz emplissait l’appartement. Il s’en est fallu de peu. Une lettre – encore une – indiquait explicitement sa volonté de mettre fin à ses jours ne pouvant plus supporter les scènes fréquentes de son amoureux. Cette atmosphère pesante au sein du ménage va conduire à la dramatique décision de tuer Michel Fourgeau.
Avril 1943 (NDLR : ou Mars, les infos sont peu claires dans le Ouest-Eclair), Lydie dépose un gros colis à la poste. Elle donne comme destination l’adresse de l’usine allemande où travaille Michel. Le paquet contient du tabac, quelques victuailles et un délicieux gâteau de Savoie confectionné la veille au soir. Mais attention, un ingrédient supplémentaire ne figurant pas dans la recette classique a été ajouté. Vous l’avez deviné, le gâteau est empoisonné ! Tout est parfaitement maîtrisé puisque le choix s’est porté sur un poison à l’odeur de ″Pippermint″ pour n’éveiller aucun soupçon.
Après avoir passée quelques heures d’angoisses et une nuit sans sommeil, Lydie, prise de remords, retourne rapidement envoyer une lettre ″en express″ expliquant son plan maléfique. « Mon cher Mari, ne touche pas au gâteau que tu recevras ces prochains jours. Il contient un poison mortel… je t’en prie, je t’en supplie. Ta tendre Lydie… » Dans cette missive, elle ne manque pas de signaler l’emprise de Paul et de le dénoncer explicitement. « C’était son idée… »
Quelques jours passent et le 14 mai 1943, le colis arrive à bon port. Heureusement, après la lettre salvatrice ! Michel, averti du sort qui l’attendait, n’est donc pas étonné et va montrer le gâteau comme un trophée à quelques camarades de l’atelier. Les gars sont hilares en écoutant l’histoire rocambolesque et bien content de l’heureuse issue. Tape sur l’épaule et rires gras, il faut fêter cela ! Michel s’empresse de poser le gâteau devenu encombrant en le posant machinalement sur un radiateur et s’en va boire quelques chopes et fumer des cigarettes. On ne vit qu’une fois !
Mais pendant que certains font la fête, 4 ouvriers, d’humeur gourmande passant par là, découvrent le gâteau et le croient abandonné. En cette nouvelle année de rationnement alimentaire, les douceurs gustatives se font rares. Ils s’empressent de le partager en 4 grosses parts et le dégustent. A peine la digestion commencée, tous se tordent de douleur. Pire, le plus jeune d’entre eux, âgé de 18 ans seulement, s’évanouit et succombe rapidement. Les trois autres ne doivent leur salut qu’aux soins vigoureux prodigués par les médecins allemands.
Le bilan est lourd : un mort, trois intoxiqués, du vomi et des lavements d’estomacs. La police allemande, promptement alertée et dépêchée sur place, va accuser Michel d’homicide involontaire par imprudence. Quelle négligence tout de même que d’avoir laissé ce gâteau à la portée de n’importe qui ! La Sicherheitspolizei, « la Police de sûreté », alerte également la justice Française et lui demande d’enquêter. Ce qu’elle fait. Il faut dire qu’en 1943, les canaux de communication fonctionnent très bien entre certains ministères des deux pays.
C’est le juge d’instruction Esnault qui supervise l’enquête. Avec les aveux de Lydie dans sa lettre, les deux amants sont arrêtés et inculpés de tentative d’assassinat. Il n’y a qu’une seule zone d’ombre à éclaircir : le degré d’implication de Paul Crossouard. En attendant de démêler le vrai du faux par le commissaire principal Mr Piat, Paul qui nie toute implication est placé en maison d’arrêt, rue Duhamel, tandis que Lydie part à la maison centrale.
L’enquête…
25 mai 1943. Il fait chaud cet après-midi-là. La canicule s’est installée depuis le début de la semaine et les rues sont désertes. Les rennais·es préfèrent l’ombre et le frais des parcs plutôt que les avenues ensoleillées. Au loin, on entend un brouhaha qui s’avance sur le mail. C’est le convoi motorisé du parquet de Rennes qui vient perquisitionner l’appartement du 93 bis.
Face à l’entrée de l’immeuble, Paul est déjà là, assis sur un banc, à regarder les gens tant que y en a, entouré par deux gendarmes. Lydie arrivera quelques minutes plus tard dans une voiture de Police-secours. A sa descente, la belle envoie des baisers à la volée en direction de son homme mais interdiction de se rapprocher.
Dans le logement, les inspecteurs Le Poulennec et Lemonnier s’affairent à trouver des indices. Tout flacon pouvant contenir une quelconque drogue est aussitôt suspecté et les questions fusent. Lydie répond évasivement à chaque fois, comme si elle était ailleurs, ne prenant pas conscience de l’enjeu de la journée. La jeune femme va tout de même affirmer que la préparation du poison s’est bien faite dans une casserole et ajouter sans se rende compte du cynisme de sa réponse : « vous pensez bien que je l’ai lavée après… »
Pendant que Lydie joue la maitresse de maison, Paul semble abattu. Dans son coin, il ne dit rien, garde la tête basse. Pire que ses nuits sans sommeil en prison, il ne supporte pas d’entendre Lydie parler à tout va de « son Michel » et de « son mari » alors qu’elle ne lui adresse que de simples « monsieur Crossouard »… Non, il ne le supporte pas. Pourquoi une telle distance ? Le jeune homme est un amoureux transi, presqu’envouté… imagine déjà les inspecteurs. Un scénario se dessine dans leurs têtes.
Et puis patatras. Un CODEX pharmaceutique est découvert et s’ouvre tout seul comme par enchantement à une page écornée qui parait avoir été longuement étudiée. Or, l’auteur du livre traite tout au long de cette page de la préparation et de l’usage de poison extrait de certaines fleurs. La découverte est accablante pour le préparateur en pharmacie et Crossouard le devine déjà. A peine le sourcil levé, il ne dit mot mais sa maîtresse intervient : « Permettez-moi de vous signaler que ce livre n’a aucun rapport avec l’affaire. Ce codex fut acheté beaucoup plus tard, j’ai des raisons de m’en souvenir car cet achat fit un trou énorme dans notre budget. » Et comme elle remarque, elle aussi, la coïncidence fâcheuse de la page marquée, elle ajoute : « Rien d’extraordinaire à cela, Mr Crossouard étudiait les fleurs » Décidément, tous deux jouent un double-jeu.
La perquisition ne donne rien de plus. Mais les inspecteurs vont être informés d’une coïncidence troublante. La pharmacie qui emploie Paul Crossouard prévient de la disparition d’un flacon de toxines, habituellement renfermé dans le placard spécial contenant tous les toxiques. Et comme fait exprès, ce poison est le même qui a servi à la préparation du gâteau meurtrier et le même cité à la page écornée du CODEX. Malgré les évidences, Paul nie toujours et se défend de toute idée de meurtre, il n’avait rien contre Michel Fourgeau, au contraire : « C’était bien assez de lui avoir pris sa femme. » Se sentant acculé, Paul choisira un ténor du barreau parisien pour sa défense. Ce sera Maître Ribet, connu pour avoir supervisé la défense d’Edouard Daladier au procès de Riom (Puy-de-Dôme) quelques mois plus tôt…
Épilogue
Michel Fourgeau fut arrêté et condamné par la justice allemande, pour homicide par imprudence, à plusieurs mois de prison.
Paul Crossouard, qui ne cessa jamais de nier toute participation à la préparation et Lydie Fourgeau furent arrêtés sous l’inculpation de tentative d’assassinat et complicité.
Après une longue instruction, la Chambre des Mises en accusation de la Cour d’Appel de Rennes, estimant que, juridiquement, l’intention criminelle de Lydie Fourgeau avait été détruite par l’envoi de la lettre recommandant à son mari de ne pas toucher au gâteau, a rendu en Mars 1944, une ordonnance de non-lieu en faveur des deux prévenus. Ces derniers ont ainsi été remis en liberté suite à ce jugement.
► Source : Ouest-Eclair de Mai 1943 et Mars 1944 via ♥ Gallica ♥!