Avec Gérald Darmanin qui répète à qui veut l’entendre que « la drogue, c’est de la merde », la lutte contre le trafic de stupéfiants est devenue la « priorité numéro un » de la police à Rennes comme dans la plupart des grandes métropoles. Et ce, avec plus ou moins de succès (souvent moins d’ailleurs, NDLR). Mais qui se souvient que, bien avant le cannabis ou la cocaïne, l’opium se consommait aussi et de manière discrète dans la capitale bretonne ?
L’info est publiée pour la première fois en 1913 par le quotidien Ouest-Éclair qui dévoile auprès de ses fidèles lecteurs et lectrices un secret de polichinelle, c’est-à-dire l’existence d’au moins une fumerie d’opium à Rennes. Il faut dire qu’au début du vingtième siècle, « l’opium est à la mode dans la marine française comme dans les milieux littéraires et mondains. Partant de Chine, l’opiomanie a suivi le chemin du trafic maritime, remontant vers les grandes métropoles après une escale dans les grands ports(1). » Les fumeries d’opium clandestines sont alors monnaies courantes dans les villes portuaires et « ce sont d’abord les ports de Toulon et de Marseille qui furent contaminés (4) ». Á Brest, à Rochefort ou à Cherbourg, on ne résiste pas non plus très longtemps au dangereux « manège des petits fourreaux, des petites spatules, des petits réchauds et des petites boulettes que l’on manipule étendue sur une natte, les stores baissés dans un demi-jour mystérieux(2) » Le Matin révèle l’existence à Toulon de 163 fumeries clandestines en 1913 ! Dès lors, la pratique se généralise et se propage bien vite vers les autres villes, Paris en tête. Là-bas, plus de 1200 fumeries, plus ou moins clandestines, sont comptabilisées.
Rennes ne sera donc pas épargnée. Dans son article de 1913, le journaliste écrit ces lignes : « la fumerie se trouve dans une des rues du centre de la ville : son aspect ne distingue par rien de spécial. Elle a l’apparence d’une maison bourgeoise. Cependant, l’accès en est difficile pour l’imprudent curieux qui voudrait y pénétrer, car il a affaire à des gens avertis qui sauront l’éconduire d’ailleurs très discrètement. C’est que n’entre pas qui le désire, il faut montrer de véritables lettres de recommandation, ou en tout cas être accompagné par des habitués de la maison. Quel désastre, en effet si un policier parvenait à s’y introduire. » Le journaliste raconte encore que la fumerie rencontre de plus en plus de succès, et que la vigilance est de mise : « un contrôle très rigoureux empêche tout intrus de se mêler aux véritables adeptes. » L’hypothèse selon laquelle l’opiacé serait réceptionné et transporté grâce à des colis postaux est avancée. Peut-être de Brest, qui sait ?
Seule incertitude, mais de taille, le journaliste ne dévoile pas l’adresse exacte de cette maison. Ce dernier ne souhaite pas endosser le costume de policier et garde donc précisément cette information. « Chacun son métier et les vaches seront bien gardées ». Le procureur de la république diligentera malgré tout une enquête ; malheureusement pour nous, le Ouest-Éclair ne reviendra plus jamais sur cette affaire. Le mystère demeure.
PS : À lire quelques articles ici et là, avouons tout de même que la ville ne semblait pas être un repère de drogué·e·s. Au contraire. Un dénommé Xavier Luciani, véritable escroc, alcoolique et drogué, qui a passé la moitié de sa vie derrière les barreaux des prisons françaises, déclarait aux policiers rennais qui l’interrogeaient en octobre 1913 : « Ah l’opium… parlez moi plutôt des fumeries de Toulon, à Rennes, vous n’y connaissez rien.(3) »
(1) Extrait PDF
(2) Source Gallica –
(3) Source Gallica –
(4) Source Cairn –
J’aurai été curieux de connaître cette époque à la fois si lointaine et si proche !
Et, au moins, il se passait des choses à Rennes ! 😉