La mélancolie de la nasse… Forcément, avec un titre aussi abstrait qu’ambitieux, il nous était impossible de faire l’impasse sur cet ovni littéraire de Xavier Calais, publié aux éditions du commun. Car oui, le livre, « épais comme un sandwich SNCF » mais fichtrement plus nourrissant intellectuellement, est difficilement classifiable tant il sort du cadre de nos lectures habituelles. Et c’est tant mieux !
L’auteur, habitant du quartier Maurepas (c’est tout ce que l’on sait de lui, NDLR) raconte ses expériences militantes aux succès plus ou moins mitigés, en particulier celle qui l’a conduit au commissariat pour un contrôle d’identité, après avoir été nassé pendant des heures. Ce huis clos au sein des murs bleu policier du boulevard de la Tour d’Auvergne s’est alors transformé en un interrogatoire burlesque.
Mais que l’on ne s’y trompe pas, ce récit est l’occasion pour l’auteur de distiller des critiques aiguisées comme une lame de rasoir à l’encontre de la ville de Rennes, des institutions locales et de ses élu·e·s. Ce regard incisif est rafraichissant puisqu’il se démarque des trop nombreux articles aseptisés lus dans les médias locaux. Cela nous fait regretter d’autant plus amèrement la fin des aventures de Hubbert Le hobbit. Néanmoins, l’auteur n’hésite pas non plus à faire une autocritique en évoquant l’organisation ou plutôt la désorganisation des mouvements contestataires.
Grâce à une écriture simple et efficace, la cinquantaine de pages qui compose ce brûlot se lit aussi rapidement que se multiplient les tirs de LBD pendant une manif’ de Gilets Jaunes. Xavier Calais nous donne ainsi l’opportunité de réfléchir sur les luttes actuelles et à venir, mais aussi sur nos propres préjugés et engagements ; une réflexion forcément utile que l’on pourra mettre à profit lors d’un prochain « On refait le monde » au cours d’une AG ou d’une soirée-débat, accoudé à un comptoir d’un bistrot un peu cradingue. « Si la mélancolie peut être une tentation de l’époque, le rêve d’un soulèvement futur, de toute évidence, n’est pas mort et le vertige de l’émeute reste un horizon désirable pour toutes celles et tous ceux qui n’ont pas l’intention de se soumettre et de rendre les armes(1). »
►► ALTER1FO : Comment pourriez-vous présenter en quelques mots votre livre ?
Xavier Calais : C’est un exercice difficile que de présenter ce texte en quelques mots. Mais bon, je veux bien essayer… C’est un court texte autobiographique dans lequel le narrateur fait le récit de ses expériences rennaises de manifestations, de tentatives d’action qui se soldent par des échecs, par des interventions policières, des nasses, un contrôle d’identité au commissariat… C’est aussi en creux l’esquisse en quelques traits d’un moment de l’histoire rennaise, celui de la mise au pas de la ville et de la tentative de liquidation de tout ce qui dérange, conteste, ne se soumet pas… Mais s’il y a de la mélancolie dans ce constat, ce n’est pas une raison pour baisser les bras ! L’issue du combat n’est pas écrite d’avance !
►► « L’issue du combat n’est pas écrite d’avance », dites-vous, pourtant la première partie du livre est cruelle. On y évoque pêle-mêle ces manifestations devenues « des rituels et trop prévisibles », mais aussi ces syndicats trop timorés qui aiment « se coucher tôt ». Pire, au cours de notre lecture, on a parfois eu le sentiment angoissant que – peut-être – il n’existait aucune alternative, ni plan B, ni espoir pour changer l’ordre des choses…
Si La Mélancolie de la nasse donne l’impression qu’il n’y a plus d’alternative et plus aucun espoir, je le regrette amèrement. Je ne pense pas du tout comme Margaret Thatcher qui a dit « There is no alternative ». Il y en a forcément une ! Et la première alternative se joue ici et maintenant dans le fait de ne pas se soumettre et de rencontrer des camarades qui partagent ce refus. La première alternative, c’est ce sentiment de joie qui naît dans la lutte. Big up à toutes celles et tous ceux qui ont foulé le pavé rennais des manifs ces dernières années : plébéiens désorganisés comme syndicalistes encartés !
Vous imaginez, vous, qu’il n’y ait aucune alternative à Nathalie Appéré, Hervé Junior et Sébastien Sémeril ? Même les dystopies les plus sombres n’ont pas imaginé un scénario aussi terrible. Même les romanciers les plus pessimistes n’imaginent pas un futur proche dans lequel le P.S. aurait survécu. Cela serait une catastrophe. Je n’ose pas imaginer une telle issue. Je veux rester optimiste !
►► Continuer à manifester sert donc bien encore à quelque chose aujourd’hui ?
Bien sûr que la manif a encore un sens ! Le pouvoir veut interdire les manifs dans l’hypercentre, et le privatiser pour lui et ses amis du Carré rennais. C’est déjà une première bonne raison pour ne pas déserter le centre-ville ! Mais cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas interroger les limites des manifestations actuelles. Quand elle est encadrée par la police, soumise à mille contrôles humiliants, à autorisation de la préfecture, est-ce encore vraiment une manifestation ?
►► C’est intéressant, car finalement vous nous obligez à remettre en question le fonctionnement des manifestations, généralement chaperonnées chapeautées par des organisations syndicales en mode départ 12h00 pour une fin prévue à 17h00, place Charles de Gaulle avec un parcours suivi à la lettre près…
Il est vrai que l’on a parfois l’impression que les services d’ordre des syndicats sont plus obsédés par le cortège de tête que par la police qui nous fait face, et qui charge les manifestants. Si je critique l’aspect trop ritualisé des manifs, c’est autant une autocritique qu’une critique. La responsabilité de la situation présente est collective. Mais cela n’empêche pas les désaccords, le dissensus… Et les critiques peuvent être aussi adressées au cortège de tête qui n’échappe pas toujours à des formes de ritualisations spectaculaires. Ses interventions sont aussi parfois très prévisibles. Il faut penser en dialecticien. Positivité et négativité s’opposent dans un phénomène. Et cela est valable pour la manif hyper organisée, comme pour le débordement émeutier. Nous sommes un certain nombre à Rennes à penser que certaines questions comme le rapport à la violence dans les manifestations, les différentes stratégies des uns et des autres devraient être discutées collectivement, avec toutes celles et tous ceux qui descendent dans la rue, qui luttent, etc. Je pense que l’on a intérêt à la faire. D’autant plus que des réformes libérales très dures se profilent à l’horizon.
►► Dans le livre, vous évoquez Rennes, cette ville devenue un « espace aseptisé, sécuritaire et lisse, ayant vendu son âme à la French Tech ». En quoi est-ce grave puisqu’elle est régulièrement classée comme l’une des premières villes où « il fait bon vivre, bon marcher, bon travailler, bon créer sa startup, bon pour les cadres parisiens etc. » ?
Pour les lecteurs de l’Express et de la presse bourgeoise, c’est sûr que Rennes est devenue une ville où il fait bon vivre ! Je serais quand même curieux de connaître les critères du classement. J’imagine que l’on doit y trouver : propreté, sécurité, éloignement des classes populaires et dangereuses, une université sous contrôle, une contestation qui se limite aux formes acceptables d’un spectacle sympathique et inoffensif, des médias locaux qui sont aux ordres et qui n’abordent jamais les sujets qui fâchent… Et vous l’avez votre ville où « il fait bon vivre » ! Pour d’autres, cela s’appelle la France moisie. Cela dépend des classements et des podiums. Première place sur un podium en deçà des Pyrénées, dernière place au-delà.
►► LGV, centre des congrès, nouveaux quartiers d’affaires, écoquartiers, hôtels de luxe, immobilier haut de gamme… La politique urbaine menée depuis des décennies à Rennes ne semble pas vous convaincre, bien au contraire, non ?
Ce qui m’intéresse, c’est ce que la ville est en train de devenir, le mouvement de fond qui est le résultat d’une politique. Ces gens qui la gouvernent rêvent d’une ville proprette. Ils viennent d’ailleurs d’augmenter le prix de l’amende pour le simple fait de coller un sticker ou une affiche ! Et ensuite ils vont communiquer sur le street art et le graff ! Ils sont prêts à tout récupérer pour le dévitaliser. C’est leur spécialité. C’est leur fonction sociale. C’est leur rôle historique. Ce sont des agents de propreté (avec tout le respect que je dois aux éboueurs). Ils sont fondamentalement hostiles à la vie quand elle n’est pas domestiquée ou soumise aux logiques du Capital.
- [ALTER1FO] → Rennes encourage le Street-Art mais seulement quand c’est mignon…
- [ALTER1FO] → À Rennes, un nouveau parcours Street-Art (éphémère, sans doute…)
►► Certain·e·s n’ont pourtant pas abdiqué et continuent de créer en dehors des limites imposées par la ville…
C’est pour ça que je veux rendre hommage à celles et ceux qui ne se soumettent pas, à celles et ceux qui, au sortir du confinement, organisent des feux place Sainte-Anne et dansent… Le pouvoir peut bien sortir ses dizaines de flics, il ne peut pas éradiquer ces puissances de vie-là… C’est impossible. Ils peuvent nettoyer tous les jours le mur du Couvent des Jacobins, des mains anonymes viendront toujours (du moins je l’espère) y écrire des slogans politiques et des poèmes mystérieux… Chaque tag est le signe visible que la vie et la résistance (qui sont à mes yeux des synonymes) existent encore dans cette ville ! Et j’aurais envie de dire : chaque manifestation qui se transforme spontanément en émeute et ne se soumet pas aux sommations des forces de l’ordre est le signe que tout n’est pas perdu et que les vertus de la désobéissance sont bien vivantes.
►► Justement, en parlant des forces de l’ordre, on comprend à travers le livre qu’elles ne sont que l’aspect visible de l’iceberg de l’immense bordel dans lequel nous sommes plongés. « Gueuler ACAB n’est plus suffisant », dites-vous. Ah oui ?
Pour dire les choses rapidement, les forces de police ne sont qu’un élément du système de domination et de contrôle. À mon avis, on a tendance à négliger d’autres acteurs de cette domination, des acteurs qui ont un effet pourtant bien réel. Et eux ne tapent pas avec des matraques ou ne tirent pas avec des Flash-Balls. Ce sont, par exemple, des agents de la sphère culturelle qui participent à l’hégémonie culturelle du bloc au pouvoir.
►► Vous évoquez précisément les stratagèmes mis en par les pros de la communication, avec leurs « slogans débiles » et tous ces artistes vendus…
Je ne parle pas d’« artistes vendus » mais d’« artistes domestiqués ». C’est une référence à La Domestication de l’art de Laurent Cauwet, essai paru aux éditions de La Fabrique en 2017.
►► Au tant pour nous, on a dû faire un raccourci trop rapide… Pour revenir à ce travail de réécriture, vous déclarez donc que le pouvoir en place a besoin des intellectuel·le·s, des artistes, etc.
En effet, car le pouvoir ne peut pas dominer en n’utilisant que la contrainte. Il a besoin de légitimer son pouvoir, de se raconter et de raconter une histoire. C’est à ce moment-là peut-être que les artistes officiels entrent en scène. Le pouvoir a toujours eu besoin de ses artistes officiels et il a toujours su récompenser ceux qui lui étaient soumis. Leur tâche est certes de plus en plus difficile car le bloc au pouvoir apparaît, chaque jour, de plus en plus, pour ce qu’il est réellement, c’est-à-dire un pouvoir violent, répressif, qui ne tolère pas la contestation, qui blesse, et qui mutile… Ce bloc au pouvoir doit donc faire un travail permanent pour se donner des airs tolérants, ouverts à l’autre et à l’expérimentation, à l’écologie.
►► Vous auriez un exemple pour décrire ce que vous dénoncez ?
Pour être plus concret : le Parti socialiste a envoyé les CRS à Notre-Dame-des-Landes pour détruire ce qui s’y expérimentait, pour taper sur ceux qui défendaient ce bocage, et aujourd’hui les relais du Parti socialiste nous parlent d’écologie, d’animaux, de biodiversité, de rapport sensible à la nature, etc. Comme si nous étions amnésiques. Certains ont toujours, sur leur corps, des traces laissées par les éclats de métal des grenades lancées par la police envoyée par le Parti socialiste pour liquider la ZAD.
- Municipales A Rennes, le verdissement des socialistes fait tousser les écolos
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►► Depuis un an, la ville de Rennes est gouvernée par une alliance socialiste-écologiste (pour la faire courte, NDLR). Depuis, on a vu la mise en place des encombrants portillons dans le métro, la dotation de pistolets à impulsion électrique (PIE) pour la police municipale, l’augmentation des caméras de vidéosurveillance, la signature du contrat de sécurité intérieur… Que t’inspire cette évolution sécuritaire ?
Pour ma part, je ne fais plus de distinction entre ces différentes formations (on pourrait ajouter à la liste LR, LREM). C’est une perte de temps. Elles appartiennent au bloc au pouvoir. Les élus passent d’ailleurs d’un parti à l’autre sans problème, car idéologiquement, ils sont d’accord sur l’essentiel. Ces formations sont comme les différents courants d’une même grande organisation. Une fois qu’on a dit ça, on ne s’étonne plus de telle ou telle mesure politique concernant la vidéosurveillance, la casse du service public, la répression du mouvement syndical, etc. Sinon, effectivement, on ne comprend pas grand-chose.
►► Une majorité de personnes s’épanchent dans le quotidien Ouest-France pour se révolter contre les dégâts matériels qui ont pu être commis au cours des nombreuses manifestations qui ont émaillé l’agenda rennais. Pour vous, au contraire, vous les qualifiez d’« instants de grâce ». Que voulez-vous dire ?
Ce passage est un peu lyrique, mais il est vrai qu’il y a des moments très beaux quand une manifestation dégénère. C’est difficile de ne pas être frappé par la dimension esthétique de ces moments-là. Il y a de la fumée, il y a des sons, il y a des mouvements de foule, il y a aussi souvent de la joie. Et la joie est tellement importante ! On le sait depuis Spinoza. La joie est le signe que la vie est en accord avec elle-même, écrit Bergson. Il y a aussi de la joie car il se passe quelque chose, quelque chose qui fait évènement et interrompt le cours normal des choses. « Que les choses continuent comme avant, voilà la catastrophe », écrit Walter Benjamin dans son livre sur Charles Baudelaire.
►► Pourtant, la catastrophe rapportée par les médias reste toujours la même : celle de voir ces vitrines de banques ou d’agences immobilières brisées, ou ces murs salis par des tags…
Les pleureurs professionnels du journal Ouest-France qui s’indignent des bris de vitrines mais n’ont jamais un mot pour dénoncer la violence des politiques libérales sont des tartuffes. Ces gens-là défendent et encouragent dans leurs éditos les réformes néo-libérales qui impactent la vie de millions de gens, qui rendent plus difficiles les conditions de travail, avec les conséquences que cela a sur la santé des travailleurs et des travailleuses, l’espérance de vie des plus précaires, le recours aux antidépresseurs, les taux de suicide, les accidents du travail, etc., etc.
Ces journalistes et éditorialistes n’ont jamais un mot pour ces violences-là. Pourtant des gens souffrent et des gens meurent mais cela ne semble pas les déranger plus que ça. Et si les larmes coulent face aux vitrines brisées, quand il s’agit de détruire les services publics, de saccager ces biens communs, de fouler aux pieds le code du travail, là le journal Ouest France et ses éditorialistes applaudissent à deux mains ! Comme dirait Walter Benjamin : il n’y a rien de plus anarchique que l’ordre bourgeois. On pourrait aussi citer ce trait d’esprit que Pasolini met dans la bouche d’un hiérarque, dans son film Salò : « La seule anarchie véritable est celle du pouvoir. »
►► Vous citez ici Walter Benjamin, et dans votre livre, vous évoquez également Romain Huët (maître de conférences, Rennes 2, auteur du livre Le vertige de l’émeute, NDLR)
Le titre de mon livre est le contre-pied du vertige de l’émeute. Comme si dans ce mouvement dialectique, la mélancolie de la nasse était le moment de l’antithèse, le moment qui s’oppose au vertige. J’ai commencé l’écriture de ce texte un peu avant le premier confinement. On sentait que les choses se refermaient, que les marges de manœuvre se réduisaient. Et les confinements successifs n’ont fait qu’entériner cet état de fait, comme si le temps n’était plus au vertige de l’émeute mais à la mélancolie de la nasse. Mais cela ne va pas durer. Cela ne peut pas durer.
►► On devine votre expérience militante. Autour de moi, tout le monde parle d’une « bascule répressive » vis-à-vis des mouvements sociaux à compter de 2016 à Rennes. Vous confirmez ?
Je pense que c’est tout à fait vrai. Je crois que ce système s’il veut perdurer n’a pas d’autre possibilité qu’un recours de plus en plus grand à la violence. Il a de moins en moins de légitimité. Son storytelling a du plomb dans l’aile. 2016 a en effet marqué un tournant. On a franchi un seuil. Et bien évidemment ce n’est pas propre à Rennes. Mais Patrick Strzoda qui a réprimé violemment le mouvement social rennais en 2016 est aujourd’hui directeur de cabinet d’Emmanuel Macron. Pour reprendre le titre d’une tribune de juin 2017 parue dans Libération : Rennes n’a-t-il pas été comme un laboratoire de l’ordre en marche ?
►► Malheureusement, selon vous, Rennes est tombée depuis dans le « bas du classement des villes où il fait bon lutter ». En renfermant votre livre, on se dit que la nasse, finalement, existe aussi en dehors des manifestations.
Je me suis amusé, dans ce texte, à faire de la nasse la métaphore des temps présents. Mais d’une certaine manière, tout cela s’inscrit dans un temps très long. Des philosophes comme Gilles Deleuze ont écrit sur les sociétés de contrôle. Il a repris cette expression à William Burroughs. Dans ce domaine-là aussi, on ne fait que franchir des seuils. On nous a demandé des autorisations pour sortir dans la rue, des autorisations que nous devions nous faire nous-mêmes pendant que la police utilisait des drones pour surveiller les prairies Saint-Martin. Aujourd’hui, on nous demande de présenter un QR Code pour entrer dans les Champs Libres… On a l’impression qu’il se joue la même chose qu’avec les dispositifs antiterroristes : une fois adoptés, il n’y a pas de retour en arrière possible. Pour le coup, c’est vertigineux et effrayant.
►► Sans transition, ce qui est aussi vertigineux est votre passage contraint au commissariat. Il nous paraît épique. Vous répondez souvent aux questions par des « je ne sais pas, je ne sais pas trop, je ne vois pas trop » ou de manière absurde ou bien sans jamais terminer vos phrases « comme Patrick Modiano » Peut-on conseiller cette stratégie à toute personne soumise à un contrôle d’identité.
Il y a toutes sortes de stratégies que je pourrais conseiller. La stratégie Modiano a fonctionné pour moi. Mais il y en a d’autres. La stratégie Burroughs : vous gardez le silence et vous répondez très aristocratiquement comme un ancien élève de Harvard qui pourrait aussi bien être un espion de la CIA ou un junky. Il y a la stratégie Sollers : vous flattez votre interlocuteur, vous parlez de la revue d’avant-garde Tel quel et de votre période maoïste, mais en faisant des clins d’œil pour bien faire comprendre que vous êtes gouvernementalo-compatible mais qu’il ne faut pas le dire trop fort et surtout ne pas l’écrire dans le rapport. Il y a la stratégie Quignard : vous restez immobile comme un moine, dans l’angle mort du social et du temps, et vous attendez qu’on vous oublie, qu’on vous fiche la paix. Vous rejouez dans votre esprit une musique baroque du violiste Marin Marais ou Les Barricades mystérieuses de François Couperin. Il y a la stratégie Guillaume Dustan : vous dansez dans le commissariat comme si vous aviez pris de l’ecstasy, vous portez un t-shirt FBI et vous dites aux flics que vous les aimez, tout en dansant dans le bureau comme s’il ne vous restait que quelques heures à vivre et qu’il n’y avait pas de temps à perdre ! Il y a stratégie Jim Harrison : vous fixez du regard le flic et vous faites tourner votre œil en verre sur lui-même. C’est très impressionnant. Votre interlocuteur va tourner de l’œil, c’est à dire s’évanouir. Et vous, ensuite, vous dénichez la bouteille de whisky qui est cachée dans le bureau et vous avalez une lampée qui fait disparaître immédiatement toute forme de mélancolie et vous dégagez de là en courant et en imaginant la grande bouffe que vous allez faire quand vous serez libre et de retour dans votre campagne. Il y a la stratégie Édouard Levé. Vous écrivez un mot pour dire que tout ça n’a aucun sens et dès que le flic a le dos tourné, vous vous emparez de son arme de service et vous vous butez. C’est efficace pour échapper à la police mais très coûteux en termes existentiels. Il y a la stratégie Michel Houellebecq : vous êtes tellement déprimé, déprimant, fatigué, fatigant que c’est le flic qui s’empare de son arme de service et se bute. Il y a la stratégie Édouard Louis : vous expliquez très poliment que si vous êtes là, c’est à cause de vos parents qui vivent dans le nord de la France et qui n’ont jamais écouté de musique baroque, ni ne vous ont appris les bonnes manières et voilà pourquoi vous êtes là dans ce comico… Les flics vont tout de suite convoquer vos parents et comme ça vous pourrez retourner discrètement à Paris.
Voilà quelques stratégies parmi d’autres qui me viennent spontanément en tête…
►► OK, OK (rires…), n’en jetez plus, la coupe est pleine. On laissera chacun et chacune choisir sa stratégie. Fait étonnant, après plusieurs heures passées au commissariat, la policière semble soulagée de vous laisser partir alors que vous, vous seriez bien resté un peu plus longtemps. « Je commençais à bien m’amuser », dites-vous. Les rôles se sont inversés, non ?
Les situationnistes ont pratiqué l’art du détournement. Il y a peut-être aussi un art du retournement à pratiquer. Le retournement du stigmate en est déjà un. L’art de retourner la situation à son profit, dans un face-à-face asymétrique, en est peut-être un autre… Peut-être que j’aurais tout simplement aimé que cela dure un peu plus longtemps afin de pouvoir écrire un livre un peu plus épais.
►► Cela ne nous aurait pas déplu. Un grand merci Xavier Calais pour vos retours et votre disponibilité !
LA MÉLANCOLIE DE LA NASSE de Xavier Calais
Éditions du commun © septembre 2021
(7€ ou téléchargeable gratuitement)
(1) : https://www.editionsducommun.org/products/la-melancolie-de-la-nasse
Pro émeutes, pro dégradation et j’en passe. La majorité de la population ne souhaite pas cela mais ce genre de personne s’en contre-foutent. On ressent le bonheur d’avoir été interpellé pour vite raconter son histoire de victime terrifiante vivant dans un pays terrifiant qu’est la France. En tant qu’homme de gauche, je ne peux que dénoncer ce type de brûlot d’un homme visiblement frustré qui appelle clairement à foutre la merde dans la vie d’habitants qui n’aspirent qu’à la sérénité. C’est leur choix. Pas le votre. Que cela ne vous plaise ou non. La population ne souhaite pas cette vision de la société.
Monsieur Eleo parle au nom de la majorité, si je comprends bien. On sait que la majorité est à droite, pourtant ce monsieur se dit de gauche, c’est bizarre. En outre, Monsieur Eleo n’a lu ni l’entretien ni le livre, sinon il ne dirait pas ce qu’il dit. Et il s’offusquerait aussi bien des dégradations multiples occasionnées, et elles vraiment mortifères, par ses amis de droite ou de gôche. En fait, vous en appelez à l’ordre, mais comme il est dit dans le beau film de Scola, « Une journée particulière » : l’ordre est la vertu des médiocres.
Grosse différence entre ordre et bien être. Ce n’est pas ce qui est prôné ici…taguer un appartement que quelqu’un galère à financer n’est pas un acte de bravoure. C’est la marque des faibles qui pensent être une belle anomalie. Détruire le bien commun n’est pas un acte joyeux. Je ne souhaite pas plus de renfort policier. Je pense même qu’il y en a déjà trop. Je souhaite une responsabilité et des attaques envers ceux qui déconnent, pas ceux qui subissent.
La vitrine d’une banque ou celle d’une agence immobilière, avouez que comme biens communs, on a fait mieux ! Qui parle de détériorer des appartements ? Quant aux tags, ils sont souvent (pas toujours) réjouissants, et nous font plus chaud au cœur que la pollution publicitaire dont vous ne faites pas cas et qui est partout. C’est ça ou la grisaille des murs, alors un peu de poésie populaire, c’est de la vie qui passe entre les barreaux. Non ?