Nous sommes maladroits, c’est un fait établi. Percer un mur, changer une ampoule ou bien remplacer les freins d’un vélo n’est ni une sinécure ni une partie de plaisir. Cela peut même vite se transformer en catastrophe ! Vous l’aurez compris, nous sommes plutôt du genre à applaudir toute personne réussissant à monter un meuble suédois sans inverser le bas du haut et en utilisant précisément toutes les pièces du puzzle. Alors imaginez notre admiration devant celui qui, de ses mains, a construit son propre avion. Oh, pas une reproduction ni une maquette à l’échelle, einh… Non, non ! On parle ici d’un vrai avion, d’un de ceux qui volent dans les airs. L’histoire peut prêter à sourire mais cet homme a existé et il était rennais.
Nous sommes en 1933 et Monsieur Ginguené habite le quartier Saint-Hélier. Depuis plus d’un an et demi, cet artisan en peinture, passionné d’aviation, travaille d’arrache-pied sur son prototype, bien à l’abri des regards des curieuses et des curieux. Rue Dupond-des-Loges, dans une cour toute embarrassée de voitures vétustes et de vieilles ferrailles, il s’amuse ainsi à devenir tour à tour menuiser, mécanicien, tôlier. Mais après plus de 200 heures de dur labeur, Monsieur Ginguené voit enfin le bout du nez… de son coucou, qu’il surnomme « cocotte ».
Long de plus de 9 mètres d’envergure, l’engin est entièrement construit en contreplaqué. Souhaitant un véritable moteur d’avionnette et malgré des petites annonces parues dans des journaux spécialisés, Monsieur Ginguené n’a pas trouvé ce qu’il cherchait. Peu importe, la « cocotte » est tout simplement dotée d’un moteur de cycle-car trafiqué. Dans le genre MacGyver ou Do-It-Yourself, notre Rennais n’est pas en reste puisqu’il utilise des cordes à piano pour conforter la stabilité de la voilure. Son ″jet-privé″ a été imaginé pour avoir une autonomie d’une heure trente et pour voler à la vitesse maximale de 100 km/h. A l’intérieur, le pilote dispose de tous les équipements nécessaires : compte tours, indicateurs anémométriques, pompe à graisser… Bref, le top du top, la Rolls-Royce de l’aéronautique pour amateurs et amatrices. Pour les spécialistes, on parle ici d’un monoplan formule Mignet en hommage à Henri Mignet qui a publié en 1931 le livre ″Comment j’ai construit mon avionnette″ comportant les plans du HM-8. Prémisse des tutoriels YouTube…
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Sans autorisation ni homologation, il faut attendre le mois de septembre 1935 pour qu’un spécialiste des vols d’essais puisse enfin monter dans la « cocotte ». C’est sur le tarmac de l’aéroport de Saint-Jacques de la Lande que l’appareil tente de prendre son envol pour la première fois. Moteurs pleins gaz, manettes à fond, l’avion s’élance en cahotant. Une course folle s’engage. Et elle dure, elle dure… mais le pilote n’arrive pas à décoller. Malgré quelques petits soubresauts, les roues reste désespérément collées à la terre ferme. Une mauvaise alimentation du moteur empêche d’atteindre la poussée nécessaire au décollage. Monsieur Ginguené repart donc de l’aéro-club sans la satisfaction de voir son prototype flotter dans les airs. Mais ce n’est que partie remise. Il sait déjà quelles améliorations sont à apporter.
L’artisan se remet rapidement au travail. Il va même pousser le vice jusqu’à acquérir des notions de pilotage avec Pierre Gillet, l’excellent moniteur de l’aéroport de Rennes-Saint-Jacques. On est jamais mieux servi que par soi même, comme dirait le dicton. Et puis un dimanche matin du mois d’octobre, devant quelques militaires et pilotes présents, Mr Ginguené s’installe dans son « zinc » et remet les gaz. 20 mètres, 30 mètres… 40 mètres de course et bientôt il décolle. Enfin ! La « cocotte » s’élève à 10 mètres du sol et parcourt au moins 300 mètres en ligne droite pour venir se reposer en toute quiétude. Après plus de 3 ans de persévérances et d’efforts, le succès est enfin au rendez-vous.
Après cet exploit salué par la presse locale, on comprend l’impatience de Monsieur Ginguené de s’envoyer en l’air une nouvelle fois (NDLR : désolé… il fallait la faire au moins une fois). Malheureusement, la journée du 02 Novembre 1935 sera fatale. Alors que la météo n’est pas favorable, la « cocotte » décolle pour la seconde fois. Le premier tour de piste est impeccable et sans accroc. Les qualités de vol sont une nouvelle fois démontrées. Mais voilà, des ratés du moteur se font entendre et pressent Monsieur Ginguené à atterrir au plus vite. Malheureusement, dans la précipitation, il réalise quelques erreurs dans ses manœuvres. Manque d’expérience sans doute. L’atterrissage ne se passe pas comme prévu. Pire, l’avion se pose si brutalement que ses ailes se brisent littéralement en deux. Fort heureusement, notre artisan n’est pas blessé. Il s’en tire avec quelques égratignures tout de même mais la « cocotte » a fait là son dernier voyage. Il ne reste que des débris. « J’ai les plans, je recommencerai » déclare alors Monsieur Ginguené…
PS : Hélas, malgré nos recherches, ici et là, il est impossible de savoir si une « cocotte bis » a pu voir le jour…
Un restaurant sur le thème de l’aviation à Cesson-Sévigné
Il y a eu une « Cocotte bis » : « À Rennes, M. C. Ginguéné a construit un petit avion qui se présente comme une réalisation tout à fait intéressante. C’est un monoplan formule Mignet dont la voilure est haubanée en dessus et en dessous par des cordes à piano. Le fuselage comporte une petite conduite intérieure. Le moteur est un deux cylindres en V entrainant en prise directe, le propulseur ; l’atterrisseur à roues indépendantes comporte pour chaque roue un V horizontal et une jambe élastique oblique. A signaler que la construction de cet avion a été vérifiée par le Bureau Véritas » (les Ailes n°668)