Depuis une dizaine d’années, le comédien François Morel s’est mis à la chanson. Ce nouvel album, joliment intitulé La vie (titre provisoire), déploie l’ironie pour mieux croquer la vie. Avec cette nouvelle corde à son arc, le chroniqueur de France Inter invite à une certaine introspection, à une jolie balade dans les souvenirs. Nul renfermement sur soi mais une volonté de déployer le sourire sur le visage des auditeurs ou des spectateurs. Pour cette nouvelle tournée, on le retrouve avec Juliette à la mise en scène et Antoine Salher en chef d’orchestre. Nous l’avons rencontré à Dol-de-Bretagne, dans la salle l’Odyssée, après deux heures de spectacle.
Alter1fo : L’album provoque un double sentiment. Il souffle un vent de nostalgie mêlé à un esprit de dérision qui met en valeur la fugacité de la vie. « Sourire et nostalgie, résumé de la vie » comme titre alternatif ?
François Morel : Je ne l’aurai pas intitulé comme cela. Je me méfie des phrases définitives. Ce qui est de la nostalgie et de la dérision, oui sûrement. J’ai de la nostalgie parce que je convoque le souvenir de gens disparus mais pas sur le thème du « tout était mieux avant ». Peut-être que le spectacle est sous-tendu par une ambiance assez grave dû au contexte de l’année 2015. C’est toujours une période d’inquiétude et le fait de chanter ces morceaux prend un écho particulier. Par exemple, j’ai chanté Elle est pas belle, la vie ? à Berlin dans un petit cabaret et c’était peu de temps après l’attaque du Bataclan. Au moment où j’évoque les gens en terrasse, la chanson prenait un tournant politique alors qu’au départ, c’était un titre sur le plaisir de vivre.
Le contexte a donc influencé l’écriture de l’album.
Oui. J’ai écrit un texte de chansons que j’interprète et quand je le chante, c’est parfois un autre texte. Tout d’un coup, j’entends des choses que je n’avais pas forcément vues. Le public se refait une autre histoire et c’est aussi l’intérêt du spectacle vivant, ça circule entre le spectateur et le chanteur ou l’auteur. Le spectateur vient aussi avec ses histoires et, en ce sens, j’aime davantage la suggestion que l’affirmation. La chanson Monsieur Pedro Ramirez , qui provient d’un ancien album, est présente dans le spectacle depuis plusieurs représentations. On l’a chantée en Algérie en septembre. C’est l’histoire d’un type qui est lanceur de couteaux, il perd la vue et assassine tous les jours un peu plus Dolorès, sa partenaire. C’est un morceau influencé par les dessins de Roland Topor, avec un esprit de dérision total qui fait écho aux chansons de Boris Vian. Quand on l’a chantée en Algérie, certains dans le public pensaient que je racontais l’histoire de Bouteflika. Pour eux, Dolorès était le peuple algérien qui souffrait face à un homme qui s’accroche au pouvoir.
On ressent l’influence de Reggiani, Ferrat et bien d’autres. Quelles chansons vous hantent ?
En ce moment, j’écoute plutôt de la musique. J’écoute en boucle l’album de Daniel Mille sur les musiques d’Astor Piazzolla. Sinon, j’écoute aussi des chanteurs d’aujourd’hui comme Bertrand Belin.
Aujourd’hui, la musique électronique est partout mais est peu présente dans votre album. Quel rapport entretenez-vous avec elle ?
Aucun (rires). Ce n’est pas un refus ni une volonté de ne pas en mettre. D’abord, je laisse Antoine Salher décider de ce qu’on fait. J’ai une confiance totale en lui. Par exemple, j’avais envie d’avoir un violoncelle comme c’est un instrument que j’apprécie. Dans le précédent album, je voulais des cordes. Concernant la musique électronique, on va dire que je connais plus Bernard Guetta que son frère.
La vie, c’est mieux sur scène ?
J’adore être sur scène mais j’aime bien aussi vivre en dehors. Je ne suis pas un misanthrope dans la vie et je ne me mets pas hors du monde. Sur la scène, je raconte la vie et il est probable qu’elle m’intéresserait moins s’il n’y avait pas la scène.
Votre voix sur scène semble plus belle que sur l’album.
C’est le truc qui m’échappe et qui peut m’angoisser. De temps en temps, je me dis que ça va être épouvantable sur scène parce que je me suis levé tôt, que je n’ai pas bien dormi, mais le soir, elle sort « magnifiquement ». Mettez des guillemets au mot (rires). À l’inverse, je peux être reposé mais je vais avoir du mal avec les graves et quand cela arrive, j’essaie de laisser le comédien s’exprimer. La voix, c’est l’expression d’une intimité, d’une chose qui nous échappe.
Juliette a mis en scène ce nouveau spectacle. Qu’est-ce qui vous plait dans sa vision de la scène ?
On réfléchit ensemble et on a une belle complicité. J’écoute beaucoup ce qu’elle me dit puisqu’elle a une vraie connaissance de la scène. Par exemple, pour l’ordre des chansons, c’est une technique qui m’échappe et elle a toujours une solution. Lorsqu’on travaille, elle est décontractée, joyeuse, et ça me va parfaitement.
Quelle place est laissée à l’improvisation ?
Le spectacle est très écrit mais je laisse quelques moments d’improvisation. Pour les musiciens, j’aime bien l’idée qu’ils aient des surprises, ça permet de se surprendre. Antoine me dit des choses sur la musique et il est très preneur concernant le jeu de comédien.
Dans Petit Jésus, vous dites : « il faut se faire une raison, vivons sans toi, et puis chantons ». A quel moment s’est opérée la rupture avec la religion ?
J’aime bien la spiritualité et l’idée de l’au-delà, mais je ne crois pas en Dieu. J’ai eu une éducation religieuse. À partir de la sixième, je suis allé dans une école chrétienne et j’ai entendu parler de la religion. Si j’avais un rapport à la religion, je voudrais que ce soit un rapport aussi intime que cet enfant qui croit au petit Jésus. Le lendemain, il pourrait très bien lui dire qu’il est content. On voit bien que je ne suis pas religieux mais dans le ton, il n’y a rien d’agressif. Quelqu’un d’intelligent qui croit en Dieu ne doit pas se sentir insulté par cette chanson. C’est un rapport intime d’une personne avec la religion. Si il y a une chose que je n’aime pas chez les religieux, c’est lorsqu’ils font du prosélytisme.
Ce baiser est une de mes préférées de l’album. Elle évoque un baiser jamais rendu. Dans le clip, vous naviguez sur un voilier et déambulez sur la côte. Que représente la mer, pour vous ?
Quand vous êtes venu, c’est la première fois qu’on terminait le spectacle sur cette chanson. Je trouve que c’est une jolie fin. La mer invite à l’introspection, à l’instar des forêts profondes et des feux de bois. Le moment où on est seul avec l’univers facilite l’évocation du passé. Ce baiser est aussi un plaisir d’écriture, c’est comme si on pouvait le matérialiser. Je prends des termes de gratte-papiers pour évoquer des choses extrêmement intimes comme un baiser. Des fois, j’écris des chansons comme si je faisais des mots croisés (rires). Les mots m’emmènent quelque part.
Par le texte, votre voix et la présence du piano, Le petit préféré est le morceau le plus émouvant. Il fut difficile à écrire ?
Pas vraiment puisque je ne l’ai pas écrit pour moi. J’ai eu besoin d’un interprète pour me dire que cette chanson était belle. C’était Norah Krief qui m’avait demandé d’écrire un récital. Comme je me suis pris au jeu, j’en ai écrit une quinzaine. On est tous concerné par la question de la mort d’une personne âgée. C’est une chanson qui est proche de moi puisqu’au milieu, je fais rire avec ce petit feuilleton qu’elle regarde et qui la passionne. Je suis donc passé par Norah Krief pour m’autoriser à la chanter.
Vous terminez le spectacle sur La folle complainte de Charles Trenet. Le public vous accompagne. Le chanteur fédérateur par excellence ?
C’est une chanson tout à fait surprenante, elle suggère plus qu’elle ne dit. Elle a un côté surréaliste. Il y a beaucoup de gens qui la connaissent grâce aux reprises. Je me rappelle avoir soufflé les paroles à Jacques Higelin dans les coulisses du théâtre du Rond-Point. On dit aussi que cette chanson est aimée par les gens qui n’aiment pas Charles Trenet. Elle est plus sombre que les autres puisqu’il évoque le suicide.
Dans cet album, vous rendez hommage au septième Art. On vous croise régulièrement au cinéma dans des seconds rôles. Seriez-vous intéressé de passer derrière la caméra ?
Je ne saurais pas le faire. J’ai essayé avec un co-réalisateur il y a longtemps pour des courts-métrages mais ce n’est pas mon rythme. Il faut rester trop longtemps chez soi pour écrire et c’est trop long à mettre en place. Le cinéma, si je devais rester écrire avec un co-scénariste et chercher les financements, ne me conviendrait pas. En tant qu’acteur, je viens de faire des choses intéressantes à la télévision. Je joue dans la deuxième saison du Baron noir qui sort en janvier, sur Canal+.
Difficile de ne pas vous poser la question. Les Deschiens vont-ils reprendre ou est-ce simplement le plaisir de reprendre le rôle de manière ponctuelle à la radio ?
C’est juste Augustin Trapenard qui avait le fantasme de se faire frapper par M. Morel (rires) mais il n’y a pas de retour prévu.