[interview] Elsa Diringer : « l’humanité est quelque chose qui se gagne »

Dès les premières minutes du film Luna, Le spectateur est témoin d’un acte a priori irréparable. De ce traumatisme originel émerge la figure d’Alex (Rod Paradot, César du meilleur espoir masculin pour La tête haute), un jeune passionné de musique dont la rencontre avec Luna sera l’occasion d’un nouveau départ. Luna, c’est Laëtitia Clément, une actrice découverte par la réalisatrice Elsa Diringer pour son premier long-métrage. Elle vampirise l’écran et déploie un jeu où la gouaille s’accompagne d’une énergie fulgurante du corps. Nul doute que l’on retrouvera cette forte présence dans des prochains films. On pense à Emmanuelle Bercot ou à Audrey Estrougo dans cette volonté de faire du cinéma à l’arraché, d’explorer des territoires peu filmés par le cinéma. 

Alter1fo : quels ont été vos premiers pas dans le monde du cinéma ?

Elsa Diringer : après des études à Paris-VIII, j’ai d’abord commencé par faire un métier technique car j’appréhendais la réalisation. J’ai eu l’occasion de faire de la perche sur des films de Nicole Garcia, d’Alain Resnais par exemple. Parallèlement à cela, j’ai commencé à écrire des courts métrages et j’ai toujours eu la chance de trouver les moyens de les faire. Mon premier film a été soutenu par la mairie de Paris. De film en film, j’ai avancé.

Votre expérience dans l’association Tribudom semble être une matrice dans votre formation de cinéaste. Pouvez-vous revenir sur ce moment ?

C’est une association que j’ai rencontrée au bon moment. J’étais en licence et j’avais besoin de concrétiser les éléments appris. Le fondateur de ce collectif s’appelle Claude Mouriéras. Il a créé cette association au lendemain de l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002. Il voulait utiliser le cinéma comme un moyen de faire se rencontrer les gens, de créer de la citoyenneté. C’était une démarche très politique et le principe était qu’un collectif d’artistes aille faire des films avec des enfants d’écoles de ZEP. Une équipe technique venait donner un coup de main pour la réalisation des films. C’est comme cela que j’ai commencé à faire de la perche. On regardait ce que l’on avait tourné le soir même. Si c’était médiocre, on retournait le lendemain. Il n’y avait pas de hiérarchie et tout était collectif. Je regardais les rushes avec tout le monde et ça a façonné mon regard.

À quel moment du processus créatif a surgi le titre du film, Luna ?

Au départ, le film s’appelait Terrain vague. Pour moi, c’était l’idée d’une zone non cultivée, en friche. Le film avait deux points de vue. Dans l’écriture, on était en alternance avec Luna et Alex et, finalement, le film s’est concentré sur elle.

Comment s’est opérée la phase de casting ?

J’ai travaillé avec Elsa Pharaon, qui est spécialisée dans le casting dit sauvage. Je voulais des gens locaux, qui aient l’accent de Montpellier. On a commencé à chercher sur place à partir du mois de Mars. Au bout d’un moment, on est tombé sur les bonnes personnes. C’est une question d’organisation et de chance. Mais Julien Bodet (Ruben), Rod Paradot (Alex) et Lyna Khoudri (Chloé) avaient déjà une expérience soit dans le cinéma, soit dans le théâtre, de même que Juliette Arnaud, et Frédéric Pierrot, dans les rôles d’adultes.

Luna : Affiche

Pour les lieux de tournage, aviez-vous d’autres envies qui auraient coûté trop cher ou l’ancrage dans le Midi était présent dès l’écriture ?

Le décor est souvent le préalable à l’idée même du film. C’est ce qui me donne envie d’écrire. J’aime bien l’atmosphère lumineuse du Sud. Les lumières sont très fortes. Pour moi, c’est une histoire d’amour sur un fond difficile et je ne voulais pas que ça soit trop romantique, ce qui explique la potentielle sécheresse de certains décors.

Dès les premières minutes du film, le spectateur est pris à témoin lors d’une séquence de viol filmée par un jeune lors d’une fête. En tant que réalisatrice, comment avez-vous appréhendé cette scène à tourner ?

Ce sont des scènes qui font toujours très peur. Il faut beaucoup de préparation, notamment avec les jeunes acteurs. Pendant le tournage, nous avons pris du temps pour répéter dans le décor. Cela nous a permis de gagner en rapidité. Mais une fois arrivés au montage, nous n’étions pas satisfaits de cette scène et j’ai été amenée à faire un retake au mois de décembre car, entre temps, j’avais eu l’idée d’intégrer des images prises au téléphone portable.

Cette violence contre le corps est présente pendant la première moitié du film. Luna est constamment contrainte par son entourage à faire des choses qu’elle ne désire pas. Dans la seconde partie, la mise en scène se fait plus douce. Au regard de la fin, l’amour permet-il de s’extraire d’un environnement social qui nous prédétermine ?

C’est exactement cela. Il y a très peu de choses dans la vie qui nous font sortir des rails. C’est l’amour qui permet à Luna de faire ce pas de côté par rapport à elle-même. Et c’était effectivement une idée de mise en scène, que le cadre soit plus posé à mesure que Luna se calme elle-même.

La violence est provoquée par des individus qui ne trouvent pas de sens à leurs activités. Luna rétorque à Alex que son boulot n’est pas de la merde et lorsque son ex-copain, Ruben, lui suggère de quitter son boulot, elle s’énerve. Pour Alex, la musique est un moyen de s’évader. Dans ton film, le hors-champ, c’est la mort sociale. Qu’en penses-tu ?

C’est un peu une évidence mais quand on s’ennuie, on trouve quelque chose à faire ensemble, parfois pour le pire. Dans le film, c’est cet acte violent. La culture, le travail, permettent de canaliser nos pulsions, de les sublimer. C’est ce qui permet de ne pas nous « entre-dévorer ».

Il me semble que votre entrée dans le cinéma est liée à l’engagement politique.  Votre court-métrage, C’est à Dieu qu’il faut le dire, raconte le quotidien d’une femme ivoirienne vivant seul à Paris. Pour Luna, quels messages vouliez-vous faire passer ?

Mon idée est que l’humanité est quelque chose qui se gagne. Ce n’est pas un film politique mais un film éthique. C’est vrai que ce n’est pas un film politique dans le sens où je n’attaque pas la société frontalement. Je m’intéresse à des individus.

Aviez-vous des références de films en tête lorsque vous avez tourné Luna ?

Oui, j’ai surtout pensé à Fish Tank d’Andréa Arnold pour le personnage principal et pour la vivacité de la caméra. Au niveau du scénario, L’enfant des frères Dardenne m’a accompagné. S’intéresser à un personnage qui n’est pas moralement blanc est une idée qui me travaille beaucoup. J’avais aussi revu Y’aura t’il de la neige à Noël ? qui est un des rares films français à se passer dans un environnement agricole

Quels sont vos projets pour la suite ?

Je réfléchis à un film sur notre rapport aux pauvres, aujourd’hui. Ce sera un film noir, un polar. Il partirait d’un drame autour d’un sans-abri. C’est encore à l’état de recherche.

 

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