Les sentinelles, c’est le titre du film de Pierre Pezerat qui donne la parole aux victimes touchées par l’amiante ou par des pesticides. Ces sentinelles racontent leurs expériences devant la caméra. Pour certains, c’est la première fois qu’on les écoute. Pour d’autres, comme Paul François, c’est l’occasion d’offrir leur aide suite à la médiatisation de leur procès. Le réalisateur se met dans les pas de son père, Henri Pezerat, figure importante du combat contre l’amiante.
Alter1fo : Vous avez travaillé à TF1 avant ce film. Quel poste occupiez-vous ?
Pierre Pezerat : J’ai fait beaucoup de métiers dans la sphère technique. Au départ, j’étais technicien audiovisuel. Je m’occupais des caméras, puis je suis devenu monteur pendant plusieurs années. J’ai terminé ma carrière comme responsable technique dans la fabrication de l’information.
Le film est autant une quête familiale qu’une enquête sur les pesticides. Quel rapport entreteniez-vous avec votre père ?
Mon père travaillait beaucoup et il nous racontait, le soir, les problèmes qu’il rencontrait. On posait des questions mais on n’avait pas de débats au sens où on avancerait des idées. J’ai pris conscience de l’influence qu’il avait sur les gens au moment de son enterrement. Il y avait des gens venus de toute la France et ils nous ont témoigné, à mon frère et moi, l’importance qu’il prenait pour eux. Ils insistaient sur le fait que mon père savait leur parler. Inconsciemment, c’est quelque chose que j’ai partagé dans mon cadre professionnel. C’est rétrospectivement que je me rends compte de cela.
Il vous a passé le flambeau.
J’ai eu l’idée du film en rencontrant Josette [Roudaire], Jean-Marie [Birbès] et Paul [François]. J’allais aux assemblées générales et je me suis dit : « Comment puis-je apporter ma pierre à l’édifice?« . Il y a eu une émission sur mon père diffusée par France Culture. À ce moment-là, je n’habitais plus chez lui et je n’étais pas au courant de ça. Cet épisode frappant m’est apparu comme essentiel à raconter dans le film. J’ai retrouvé des documents de mon père. Le personnel s’est donc lié au collectif.
Pourquoi avoir choisi le cinéma pour mener ce combat ?
J’ai vécu dans l’image toute ma vie. C’est une forme que je connais. Je savais que j’avais des témoins forts et cela s’est fait de façon naturelle.
Comment avez-vous sélectionné les intervenants ?
Sur le Tarn, j’avais au moins cinq témoins. Il n’en reste plus qu’un au montage final. J’ai gardé ce qui était le plus fort mais je ne l’ai pas fait de façon évidente. Pour les agriculteurs, je ne voulais pas qu’il y ait seulement Paul, mais des personnes membres de l’association pour les victimes. Je trouve essentiel que l’on montre l’aspect collectif du combat. Il ne faut pas mettre sur un piédestal une seule personne en oubliant les autres.
Ce qui est intéressant dans le film, c’est de voir des personnes de sensibilités politiques différentes s’entendre sur cette cause.
C’était très important pour moi. J’avais compris que ces questions dépassaient les sensibilités politiques classiques. La rencontre entre Jean-Marie et Paul est allée au-delà de mes espérances. D’un point de vue dramatique et émotionnel, il s’est passé quelque chose. C’est une façon de réunir les personnages par cette séquence dans le film. Une amitié s’est nouée entre les deux hommes par la suite. Il y a un respect profond pour les combats de chacun avec le sentiment que sur un certains nombre de points essentiels, une entente est possible.
Un visage que l’on connait presque tous apparaît au début du film, c’est celui de Paul François, cet agriculteur qui a attaqué Monsanto en Justice. Il a gagné son procès. La médiatisation, c’est une donnée indispensable pour obtenir quelque chose ?
La médiatisation s’obtient aussi grâce à la voie judiciaire. Les journalistes arrivent généralement au moment où les choses sont déjà engagées. Il faut d’abord une action en justice et ensuite, il faut une médiatisation pour que ce combat soit gagné à une plus grande échelle. Il se trouve que Paul avait déjà remporté son procès une fois. De plus, Paul avait donné beaucoup d’entretiens. Pour ouvrir le film, je voulais un plan-séquence où Paul monte les marches. Le générique qui suit, j’ai été obligé de l’inverser pour qu’il revienne vers le début lors de la rencontre avec mon père. À la fin du film, on attend le verdict du procès et le film est donc encadré par ces deux séquences : la montée des marches de Paul et le résultat de son procès.
Cette dernière séquence du film montre Paul François en larmes au moment où il apprend le verdict du procès. La bataille est remportée. Vous êtes optimiste sur la question des pesticides ?
Je suis optimiste mais aussi conscient des immenses difficultés que l’on va continuer à rencontrer. Il y a des consignes très fortes pour cacher tout ce qui pourrait faire du mal à l’emploi, y compris les atteintes à la santé. J’ai des moments de découragement quand j’entends que les ventes au moments du Black Friday ont progressé de 40 %. Des tas de gens mettent la tête sous le sable en attendant que ça passe, en se grisant avec des produits qu’ils achètent, en pensant que le bonheur se trouve dans la possession. C’est donc une bataille permanente.
Le glyphosate est autorisé pour cinq ans de plus dans l’Union européenne. Que pensez-vous de ce vote ?
Je ne suis pas assez spécialiste de la géopolitique pour avoir un pronostic. Mais du côté allemand, les intérêts économiques ont primé. Il faut aussi dire que s’arrêter à l’interdiction du glyphosate, ce n’est pas suffisant. L’horizon, c’est l’arrêt de tous les pesticides et le changement du modèle de production agricole au niveau de l’Europe. On est en face d’un bouleversement nécessaire de l’économie mondiale. Je pense qu’un bras de fer va s’engager entre les citoyens et un modèle d’agriculture qui est défendu par des organisations comme la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles).
Les représentants des grands groupes qui organisent la production de pesticides ne sont pas présents dans le film. Ont-ils refusé d’exposer leur point de vue ?
Sur l’affaire de Paul François, la façon dont les multinationales présentent les victimes des pesticides est incarnée par l’avocat de Monsanto. Pour eux, Paul François n’est pas malade. Il y a une négation totale de la relation entre la maladie et le produit.
En circulant dans les salles avec le film, comment les spectateurs le reçoivent-ils ?
Ceux qui sont venus voir le film lors des rencontres sont majoritairement sensibles à cette question donc il y a le risque de ne parler qu’à un public conquis par avance. Ceci dit, sur l’affaire de Triskalia en Bretagne, très peu de gens la connaissent et ils en sortent bouleversés. Il y en a d’autres qui veulent agir en sortant de la salle. Ce sont les deux types de comportements que je rencontre.
Quels sont vos projets pour la suite ?
J’ai un projet de fiction basé sur une histoire réelle. Des musiciens de rue qui sont presque à la retraite vont être amenés à reformer leur troupe pour mener un combat. C’est aussi les petits contre les gros mais dans un domaine beaucoup plus festif. Sinon, j’en ai un autre sur l’abandon des centres-villes. C’est quelque chose qui me tient à cœur.