Deux heures avant son concert à la Nouvelle Vague à Saint-Malo, le compositeur Fakear nous a accordé du temps pour revenir sur l’élaboration de son nouvel album intitulé All Glows dont la sortie est prévue le 13 avril. Il s’agit de son deuxième album après le très réussi Animal et plusieurs EP aux sonorités variées. Du haut de ses vingt-six ans, il expérimente constamment avec toujours le même objectif : faire dialoguer sa musique avec le monde. Cette tournée 2018 est l’occasion de présenter ses nouveaux morceaux sur scène et de confronter All Glows à de nouvelles oreilles.
©Boris Allin
Alter1fo : Dans un peu plus d’une heure, tu seras sur scène. Comment te sens-tu ?
Fakear : Plutôt serein. Le cadre de la tournée aide à faire la séparation entre les soirs de concert et les moments où on traîne. Je ne mets pas encore dans l’ambiance du concert, ce sera après le repas. On essaye au maximum de conserver notre santé.
En attendant la sortie de All Glows, Animal me semble être une de plus belles productions. Comment procèdes-tu pour composer tes morceaux ?
C’est très différent selon les EP et selon les albums. Avec le temps qui est passé, j’ai changé de méthode de composition. Pour Animal, j’ai été très spontané. Pendant trois ou quatre mois, je prenais cinq heures environ pour faire une piste. Je voulais que ce soit cohérent et je voulais tenir un propos dans la même vague d’inspiration. Finalement, Animal et Vegetal sont sortis de cette vague-là. Pour All Glows, je m’y suis pris différent. J’ai peut-être fait 12 ou 13 pistes en peu de temps, mais j’y suis revenu toute l’année. J’ai taillé mes outils au fur et à mesure. Maintenant, la marge de progression, elle est en live.
Sur scène, tu vas jouer des morceaux du nouvel album ?
Carrément. On a pensé la tournée comme si l’album était déjà sorti. C’est un défi vraiment passionnant puisqu’on découvre la réaction des gens en direct. Pour l’instant, ça fonctionne bien.
L’électronique, chez toi, est toujours rattachée à un autre genre musical. Tu sembles garder un attachement profond à l’instrument, à la musique organique. Pourquoi ce choix ?
Ce n’est pas ma culture. J’aime beaucoup l’outil électronique parce qu’on peut tout faire avec. C’est une possibilité pour contourner l’apprentissage instrumental. Par exemple, les musiciens qui m’entourent sur scène sont bien meilleurs techniquement que moi.
©Instagram de Fakear
Animal est un album qui tourne autour de l’amour. C’est une inspiration indispensable pour toi ?
Ce n’est pas forcément une dépendance vis-à-vis du sentiment amoureux. En composant Animal, ma copine est devenue ma muse et c’est quelqu’un qui m’inspire beaucoup, par sa manière d’être et ce qu’elle défend dans la vie. Elle est beaucoup plus présente dans l’album All Glows que dans Animal. L’amour est un message général vers lequel je tends mais c’est davantage lié à sa personne. Pour le coup, All Glows possède cette teinte de spiritualité que n’avait pas le précédent album. C’est l’ouverture que j’ai entrepris pendant ces deux dernières années.
Tu es parti vivre en Suisse après avoir vécu à Paris. Te retrouver, c’était une étape essentielle pour continuer à créer ?
Quand je vivais à Paris, j’étais essoré. Je n’avais plus l’esprit assez clair pour composer honnêtement. À Paris, la scène est tellement grande et fourmille dans tous les sens que tu es tout de suite rangé dans une case. M’isoler, ça a été un peu difficile au début mais je me suis vite rendu compte que je pouvais mener ma barque tout seul sans l’aide de producteurs qui étaient là à tout juger. J’ai ouvert mes frontières en m’isolant.
Il y a une vraie influence asiatique dans tes productions. D’où vient ce goût ?
Je m’étais tourné vers la musique asiatique au début, car je pensais que c’était la plus facile d’accès. Ça projette immédiatement dans un univers de samouraïs avec tous les fantasmes que ça implique. Pour All Glows, il y a toujours cette patte puisqu’elle fait partie de moi. J’ai plein de samples qui se réfèrent à l’Asie, mais il y a aussi une note très africaine dans certains morceaux. Maintenant, j’aimerai bien me tourner vers l’Amérique du Sud et le Moyen-Orient. J’ai fait quelques tentatives avec des morceaux comme Damas ou Ankara. Il ne s’agit pas tant de se rendre sur place mais plutôt de se projeter dans cet univers pour voir ce qui m’anime maintenant.
Comment en es-tu arrivé à composer un morceau pour la bande originale du film Ghost in the shell ?
J’ai peu travaillé sur le projet. En fait, ce sont eux qui m’ont sollicité pour obtenir un de mes morceaux. Je l’ai retravaillé pour l’occasion. J’aimerais bien travailler avec la musique à l’image. À l’époque, j’avais travaillé sur la bande originale du film de Marion Vernoux qui s’intitule Et ta soeur. J’ai aussi été demandé pour travailler sur Dheepan de Jacques Audiard. Finalement, le gars retenu c’était Nicolas Jaar donc je m’incline (rires).
Quel rapport as-tu avec le cinéma ?
Je vois beaucoup de films. Cependant, en Suisse, le cinéma coûte très cher. Pour l’instant, je me cantonne aux services de vidéo à la demande.
Musicalement, quelles sont tes influences ?
Pour Animal et les EP d’avant, il y a toujours cette présence de Bonobo. Pour All Glows, je ne l’ai pas abandonné puisqu’on a joué ensemble mais je remarque que les influences sont davantage américaines. J’ai tourné avec Odessa dans beaucoup de festivals. Aux États-Unis, les gens sont très enthousiastes et très ouverts au niveau des genres musicaux. En France, on aime bien enfermer dans des cases très précises.
Sur ton prochain album, tu as composé un morceau avec Clément Bazin et Polo & Pan intitulé Lost in time. Comment s’articule le processus de production lorsque tu te retrouves avec d’autres compositeurs ?
Pour la plupart des collaborations, exceptée celle avec Ibrahim Maalouf, c’est parti du label qui a envoyé des demandes pour prévenir que j’étais en studio pendant une dizaine de jours. Clément Bazin et Polo & Pan ont flashé sur le morceau Lost in time qui ne ressemblait pas du tout à la version finale. Ils l’ont filé à la chanteuse Noraa puis à Clément. La majorité des échanges se faisait par clé USB.
Pour All Glows, quelle a été ton ambition ?
Aborder la question spirituelle à travers la musique. Au fil de l’année, j’ai commencé à croire au karma, à des choses qui ne relèvent pas de la raison. Je ne parle pas en terme de religion mais c’est une ouverture par rapport à mon milieu familial très cartésien. Ça m’a aidé au quotidien et ça touche tous les côtés de ma vie.
Sur quoi travailles-tu en ce moment ?
Je continue de composer constamment. Il n’y aura pas de pause avant la prochaine sortie.