C’est aux alentours des années 1640-1650 qu’est bâti le couvent de la congrégation des Ursulines à Montpellier. Érigé par l’architecte Jean Bonnassier, il a pour vocation l’accueil et l’éducation chrétienne des jeunes filles. Mais un siècle plus tard, la révolution Française secoue le pays et sonne le glas aux vieillottes ambitions. Depuis, on crie « ni Dieu, ni maître » et « vive les mâtons » ! Le couvent se transforme tour à tour en prison, en caserne puis de nouveau en prison pour femmes, en 1825. Elle accueille alors des condamnées aux peines diverses, allant du simple emprisonnement jusqu’aux travaux forcés à perpétuité (NDLR, généralement dans le cas des infanticides).
À l’intérieur, les détenues sont exploitées employées à la fabrication de mouchoirs, de percales de coton, de bretelles… On dénombre plus de 90 métiers de bonneterie et un atelier de corsets emploie 40 d’entre elles. De quoi faire hurler les syndicats des Bouches-du-Rhône qui crient au scandale d’une concurrence déloyalenote1. Le salaire dans le milieu carcéral est notoirement connu pour être largement inférieur à celui des ouvrières de l’industrie. « Un travail qui demande de l’attention et qui les empêchent de parler entre elles », souligne même un député en 1873note2.
Dans les années 1930, le gouvernement, toujours prompt à trouver un équilibre financier, décide de se séparer de plusieurs établissements pénitentiaires et, par la même occasion, de diminuer le nombre d’agents de l’État. Décidément, peu importe la période, la fonction publique reste et restera une variable d’ajustement budgétaire. Ainsi, aux côtés de plusieurs autres maisons d’arrêts, comme « Le dépôt » ou « La conciergerie », la maison centrale de Montpellier sait ses jours comptés. L’incendienote3 de janvier 1934 ayant provoqué d’importants dégâts n’a sans doute pas contribué à sa survie, bien au contraire… Il est alors décidé de transférer les 126 prisonnières vers la prison de Rennes. Un périple, sous haute sécurité et long de plus de 1000 km, se prépare…
Montpellier – 28 juin 1934.
Il est à peine 4 heures du matin et pourtant c’est l’effervescence aux abords de la « centrale ». Ça grouille, ça s’affaire, ça s’agite… les cellules sont déjà éclairées. Par intermittence, des silhouettes, sorties de nulle part, se dessinent furtivement à travers les fenêtres, comme des ombres chinoises. L’heure du départ a sonné.
Garées le long du boulevard Louis-blanc, les autos cellulaires, vulgairement appelées « paniers à salade », se mettent en route et s’approchent en file indienne pour se garer devant la porte de l’entrée principale, comme des taxis attendant le chaland. Les détenues sont invitées à prendre place ; 16 femmes par fourgon. Elles sont vêtues du costume pénitentiaire traditionnel qui se compose d’une robe de bure et camail de toile à petits carreaux bleu et blanc. Leur tête, rasée, se coiffent d’un petit bonnet et les pieds se chaussent de lourds souliers montantsnote4. Chacune emporte, emballées dans un baluchon, quelques menues affaires de toilettes et une couverture afin de ne pas prendre froid.
Certaines sont si âgées qu’elles doivent se faire aider par les gardiens pour monter à l’intérieur. Il faut dire que la haute marche à l’arrière du véhicule n’est pas facile à franchir. Et ce n’est pas la seule difficulté : au milieu, un long et large couloir à traverser sur lequel donne l’entrée aux minuscules cellules (à peine 1 m sur 75 cm). L’écrivain Maurice Leblanc livre dans une nouvelle narrant les aventures de son héros Arsène Lupin, une description détaillée. « Chacune de ces cases est disposée de telle façon que l’on doit s’y tenir assis, et que les […] prisonniers, outre qu’ils ne disposent chacun que d’une place fort étroite, sont séparés les uns des autres par des cloisons parallèles. Un garde municipal, placé à l’extrémité, surveille le couloirnote5 ». Le voyage risque d’être long. Long et pénible…
L’information de cette « chevauchée atypique » étant largement partagée et commentée dans la ville depuis quelques jours, quelques curieux et curieuses se sont levé·e·s aux aurores pour observer ce balai improbable. Malheureusement, des agents veillent au grain et forment un épais cordon de sécurité ne laissant rien transparaitre. Deux heures plus tard, la dernière voiture disparaît au loin, tournant à gauche sur la rue Michel Vernière. Un fin nuage de poussière s’élance dans le ciel, ultime preuve de cette agitation matinale. La prison de Montpellier que certaines n’hésitent pas à appeler le « cimetière des vivantes » redevient silencieuse et retrouve un semblant de quiétude. Seules 8 femmes restent encore à l’intérieur : 3 sont toujours soignées à l’infirmerie tandis que les 5 autres sont libérables dans quelques jours.
Pour traverser la France, le convoi suivra un itinéraire précis, découpé en plusieurs étapes comme pour un tour de France mais sans le maillot jaune et les Champs-Élysées à l’arrivée !
- jeudi : Montpellier → Toulouse (arrêt pour la nuit à la prison Saint-Michel);
- vendredi : Toulouse → Bordeaux (arrêt pour la nuit à la maison d’arrêt);
- samedi : Bordeaux → Rennes (arrivée prévue vers 19 heures) avec une halte de quelques heures à Nantes.
Les détenues ne sont pas toutes des inconnues du grand public. Parmi les plus célèbres, on retrouve Rachel Galtier, l’empoisonneuse d’Auch, condamnée pour avoir tué son mari, sa mère et son frère après leur avoir fait souscrire à son profit des polices d’assurances ; Madeleine Mancini, condamnée aux travaux forcés à perpétuité (à tort, graciée en 1937) et maîtresse du célèbre bandit corse Romanneti ; Catherine Schmidt, et sa sœur Philomène, deux Allemandes condamnées à 10 ans de réclusion ; Jane Girard, née Drouhin, la femme d’Henri Girard, un empoisonneur célèbre qui faisait contracter des assurances-vie par le biais de cette dernière et de ses différentes maitresses ; Marie Ducret, condamnée à mort puis à la prison perpétuelle pour espionnage durant la Première Guerre mondiale.
Rennes – Samedi 01 juillet.
Il fait encore chaud en cette fin d’après-midi et pourtant les rennais·es s’agglutinent devant le porche de la maison centrale de Rennes. Avec son fronton triangulaire, son vantail à clous et son judas, ce dernier ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de la centrale de Loosnote 6. Mais actuellement, l’architecture importe peu. Tout le monde espère être aux premières loges pour voir l’étrange convoi qui tarde à arriver. « Le retard est la politesse des artistes », dit-on. Les instructions données aux forces de l’ordre sont pourtant claires et le commissaire central Mr Basilaire n’a rien laissé au hasard. Ce dernier a établi un rude service d’ordre d’une efficacité redoutable. Depuis la rue de Nantes, quartier pigeon Blanc, la route est jalonnée de gendarmes pour mettre tout ce p’tit monde à bonne distance.
Ce n’est qu’à 20 heures que les portes de la prison Jacques Cartier s’ouvrent enfin pour laisser passer le cortège. Sans se faire prier, les camions s’engouffrent à l’intérieur. Les journalistes tentent de jouer des coudes, de quémander quelques faveurs au nom de « l’information » pour aller au plus près de l’action. Même si l’on distingue parfois quelques surveillantes avec leurs pèlerines noires, c’est peine perdue. Les agents sont d’une discipline inflexible et referment les portes du lourd portail en bois une fois la dernière voiture rentrée, au nez et à la barbe de la foule compacte et forcément déçue. Le milieu carcéral aime garder ses secrets.
Après plusieurs longues minutes d’attentes, les gardiennes venues en renfort depuis Montpellier quittent la prison. D’un pas rapide, elles se dirigent vers le centre-ville. Peut-être se dirigent-elles vers la gare afin de rentrer chez elles ? Peut-être vont-elles profiter d’un peu de repos et d’une soirée rennaise bien méritée ? Malgré l’insistance des journalistes, aucune information ne filtre. L’un d’entre eux terminera son récit par un laconique « les langues méridionales ne sont pas faciles à délier. »
PS : classé à l’inventaire des Monuments en 1991 et racheté par la ville de Montpellier, le Couvent des Ursulines accueille désormais le Centre chorégraphique national et les bureaux de Montpellier Danse. De nombreux spectacles se déroulent dans sa cour, à l’occasion des festivals d’été (enfin, ça, c’était avant le confinement…)
note 2 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9696440h/f203.item.r=%22centrale%20de%20montpellier%22.zoom
note 4 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7640192j/f1.item.r=Maison%20centrale%20de%20Montpellier.zoom
note 5 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fourgon_cellulaire
note 6 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6591176/f7.item.r=%22maison%20centrale%20de%20rennes%22.zoom
[Histoire] : A Rennes, il s’évade de prison travesti en femme…