Rennes, au 19ième siècle…
Âgée de 48 ans, madame Querret(*) vit seule. Dans son misérable appartement au 10, rue Saint-Georges, elle exerce la profession de tailleuse-couturière. Même si elle s’épuise à travailler plus de dix heures par jour, elle gagne à peine de quoi subvenir à ses besoins. Etre femme et célibataire en 1832 sous le règne de Louis-Philippe n’est pas un gage de prospérité ! Il faut croire que les choses n’ont pas tellement changé depuis…
Pourtant, elle n’était pas destinée à vivre chichement. Issue d’une famille bourgeoise, née à Evran, son père était un médecin reconnu et respecté autour de Dinan. Il avait maintes fois prouvé son dévouement à la cause royaliste sous la Révolution. Mais à sa mort, il avait laissé sa fille sans le sou. Un événement va cependant bouleverser le cours de la vie de Madame Querret…
En septembre de cette année 1832, Rennes est en pleine agitation. Un des fils de Pierre Guillemot, l’un des principaux chefs chouans du Morbihan surnommé le « Roi de Bignan » vient d’être arrêté et transféré à la prison Saint-Michel. Condamné à la captivité perpétuelle pour avoir participé à l’insurrection dans le Morbihan, des sympathisants de Charles X commencent déjà à fomenter un plan pour le faire libérer.
Voulait-elle poursuivre l’œuvre de son père qui partait parfois en pleine nuit soigner des légitimistes blessés ou uniquement servir la cause royale ? En tout cas, madame Querret accepte de prendre part au projet malgré les nombreux risques. En effet, une surveillance accrue est exercée sur le prisonnier et ordre est donné de prendre toutes les précautions nécessaires : pas plus de deux visites par jour et impossible d’entrer ou de sortir de la cellule sans être vu par le concierge de la prison, monsieur Thomas. Mais tout est savamment calculé et l’idée est simple : rejouer la scène de l’évasion de Lavalette(1).
Le 8 septembre 1832, c’est le grand jour.
En fin d’après midi, Madame Querret se présente à l’entrée de la prison aux cotés d’un complice, le jeune Thébault, qui exerce la fonction de domestique auprès du concierge de la prison depuis quelques mois. Madame Querret prétexte son souhait de déposer une modique somme d’argent pour faire dire des messes. Vêtue d’une robe aux couleurs foncées, d’un châle noir et d’un chapeau gris avec un voile recouvrant entièrement la tête, Madame Querret est introduite par le gardien Echelard « doué de peu d’intelligence » écrira-t-on dans les procès verbaux. Elle traverse la cour puis passe devant les geôles. En deux temps, trois mouvements, elle se débarrasse de la première couche de vêtements et s’assoit dans la loge du concierge.
Par chance ce jour-là, ce n’est pas Monsieur Thomas qui la reçoit. Celui-ci s’est absenté avec sa femme. C’est sa belle-sœur, Madame Gougeon, veuve de l’ancien concierge qui le remplace. Madame Querret va n’avoir alors de cesse de retenir toute son attention. Elle prend même soin de fermer la fenêtre donnant sur la cellule de Guillemot prétextant de vilains courants d’airs. Inexpérience ou manque d’habitude sans doute, mais la dame Gougeon ne se méfie pas et laisse le prisonnier sans surveillance. Le piège se referme.
Pendant ce temps, libre de ses mouvements, Guillemot revêt à la hâte le même costume que portait Madame Querret à son arrivée. C’est encore le jeune Thébault qui a réussi à faire introduire ces vêtements en toute discrétion. Guillemot enfile la même robe aux couleurs foncées, le même châle noir et le même chapeau gris. Il prend soin de rabaisser le voile bien pratique pour recouvrir sa tête. C’est ainsi travesti et donnant le bras à Thébault que Guillemot passe sans encombre devant les sentinelles qui le prennent pour la femme venue quelques instants plus tôt. Ils n’y voient que du feu. Il faut dire que Madame Querret est de grande taille, « aux allures d’une virago » selon les termes du Ouest-Éclair. Une dernière porte à franchir et c’est enfin la liberté. Vite, un cabriolet les attend au bout de la rue, direction : la côte ! Quelques jours plus tard, Guillemot et Thébault se retrouveront à Jersey puis en Angleterre où un émissaire de Charles X les recevra.
Et madame Querret, me direz-vous ?
Lorsqu’elle est certaine de la réussite de l’évasion, Madame Querret se décide à prendre congé de son interlocutrice et à rentrer chez elle. En toute tranquillité. Elle pourrait prendre la fuite, elle aussi… partir loin du lieu de son méfait. Mais non ! Elle retourne à sa routine quotidienne et c’est dans son misérable appartement au 10, rue Saint-Georges que la police viendra l’arrêter. Son procès se tiendra en octobre au tribunal correctionnel de Rennes en présence du concierge Thomas et du guichetier Echelard, jugés tous deux pour négligence. Dans une atmosphère lourde, acclamée comme une héroïne, Madame Querret sera condamnée à 5 ans de prison en première instance puis sa peine sera réduite à deux ans par la Cour Royale. Étonnamment, elle refusera plusieurs fois la grâce offerte par le gouvernement.
Après deux ans de captivité et devenue libre, elle reprendra son travail de tailleuse-couturière comme si de rien n’était. Toujours dans son misérable appartement. L’entourage de Charles X et de la Duchesse de Berry lui enverra des messages de soutien mais peu à peu, elle tombera dans l’oubli. Au journaliste Théodore Muret venu la rencontrer, elle avouera qu’ « elle n’a pas de chance et qu’elle ne rentrera jamais dans l’histoire… »
(*) On trouve deux orthographes : Querret ou Queret
(1) Les évasions célèbres – Évasion du comte de Lavalette (1972)