[Histoire] : Quand la piscine de Mr Janvier a bien failli prendre l’eau !

Classée monument historique depuis 2016, la piscine Saint-Georges est un lieu emblématique de Rennes. Réalisée entre 1923 et 1926 d’après les plans de l’architecte Emmanuel Le Ray, cette œuvre est remarquable tant au niveau architectural que décoratif et témoigne du développement des politiques liées au mouvement hygiéniste de la fin du 19ième siècle. Dernièrement, l’œuvre de l’artiste Luke Jerram Museum of the Moon‘ dominant le bassin a fait le buzz sur les réseaux sociaux permettant au plus grand nombre de découvrir l’édifice. Rien d’étonnant donc à la voir classée parmi les 10 plus belles piscines au monde. Pourtant, en 1922, c’est la douche froide pour la municipalité de Jean Janvier. Une large majorité des habitant·e·s de la ville ayant pris part à un référendum organisé par Ouest-Eclair est contre sa construction. Il faut dire que le journal joue un rôle important dans l’opinion.

Baignade au lieu-dit du gué de Baud, en 1940

Rayonnement et attractivité, déjà à l’époque !

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Au début des années 20, le journal Ouest-Eclair ne cesse de promouvoir l’idée que la capitale bretonne a décidément bien besoin d’une piscine de natation. Selon les différents témoignages rapportés dans ses articles, les baignades publiques autorisées dans la Vilaine au lieu-dit Le Gué de Baud ou du Cabinet Vert en amont du pont Laennec ne sont pas dignes d’une grande ville comme Rennes. Et ce, pour plusieurs raisons. On ne peut pas y nager en toute saison et puis, avouons-le, il en faut du courage pour accepter de s’ébattre dans une eau aussi sale. En ressortir avec quelques boutons ou une allergie cutanée n’est qu’un moindre mal… le fond étant parfois rocailleux, les blessures sont vite arrivées ! La nage, oui ! Mais pas à n’importe quel prix.

La patience et la ténacité des amoureu·ses·x du bonnet et du maillot de bain sera vite récompensée. Malgré des réserves du 1er adjoint au maire, Georges Dottin et du conseiller, Alfred Delisle, le projet de construire une piscine avec établissement de bains douches est enfin votée en octobre 1921 pour un montant de deux millions cent soixante mille francs par le conseil municipal. Celui-ci imagine alors son emplacement sur un terrain appartenant aux hospices civils situé en contre-bas de la rue Alphonse-Guérin.

Ouest-Eclair s’en va-t’en guerre

Fin Janvier 1922, le temps de digérer les festivités de la nouvelle année, les premières critiques tombent. L’association des propriétaires de Rennes et de l’Ille-et-Vilaine dégaine la première et publie une lettre dans leur bulletin mensuel critiquant l’opération. « Il semble qu’il serait plus urgent de rétablir l’éclairage de l’avant-guerre avant de construire une piscine […] Il ne faut pas oublier la crise du logement, il ne parait pas douteux qu’il serait plus utile de construire des logements pour des ouvriers qu’une piscine qu’ils n’utiliseront peut-être pas. »

Référendum & concours

Le 07 février, la hache de guerre est définitivement déterrée. Ouest-Eclair, sous la plume de son chef de service s’adresse directement à Monsieur Janvier, maire de Rennes, par l’intermédiaire de deux lettres ouvertes.  L’auteur, Charles Frédouet, dépeint une ville encore meurtrie par la première guerre mondiale. La crise du logement et le manque criant d’infrastructure domine son argumentaire. « Les rennais ont d’autres préoccupations. La vie chère les étreint. Ils sont à la recherche de logements. Ils vivent entassés dans des pièces trop étroites. Ils pataugent dans la boue du matin au soir.  » Selon lui, la dépense est loin d’être prioritaire d’autant plus qu’elle « ne servira qu’à un nombre infime des concitoyens. » Enfin, l’auteur ne cesse d’accuser Jean Janvier d’administrer la ville comme un roi qui règne sur son royaume et de n’en faire qu’à sa tête : « Jamais l’idée ne vous ait venu de consulter les électeurs ? » Il n’hésitera pas à le décrire comme atteint d’hypertrophie du « Moi ». Déjà, un maire Jupitérien ? Dès lors, des illustrations caricaturales du dessinateur Ménard et des témoignages de personnalités diverses et variées – mais toujours hostiles au projet – sont publiés régulièrement.

Des paroles aux actes, le quotidien organise un référendum ouvert à toutes et tous, petit·e·s et grand·e·s, pour connaitre l’opinion de la population sur le sujet. La question – basique – est la suivante « Etes-vous POUR ou CONTRE la création d’une piscine à Rennes (coût 2.164.000 Francs) ?  » Lumineuse idée et afin de recevoir des réponses du plus grand nombre (carte d’électeur en main ou non), le journal associe un jeu-concours avec des lots à gagner d’une valeur totale de 5.000 Frcs. De quoi attirer le chaland. Des affiches au titre raccoleur « La valse des millions  » sont apposées dans les rues rennaises pour en faire la publicité.

Malgré ces attaques, le maire ne se laisse pas intimider et expose son point de vue. Enfin, surtout le détail de l’opération financière puisque tout n’est qu’une question d’argent. On apprend que son dessein se compose en trois axes : une piscine, des bains-douches et un parc municipal de sport. Pour rassurer les habitant·e·s, le Maire prévient que des subventions seront accordées par l’Etat dans le cadre des travaux d’hygiènes et de salubrité. Pour finir, le maire va accuser le journal de fomenter une cabale contre sa personne et ses alliés.

En tout cas, force est de constater que le sujet permet au Ouest-Eclair de surfer sur la vague polémique et même de l’autoalimenter. Le 19 février, il envoie une invitation à la municipalité pour se joindre au dépouillement. Il ne faudrait pas qu’une suspicion de fraude vienne ternir les résultats, l’urne étant posée dans les locaux mêmes dans la salle des dépèches. Quelques jours plus tard, ces derniers sont enfin connus. La victoire des « contres » est nette et sans bavure. Une grande majorité des votant·e·s est hostile à l’idée de dépenser en 1922 plus de deux millions d’euros pour une piscine.

EPILOGUE

Si vous êtes un·e fidèle lect·rice·eur d’Alter1fo, vous connaissez la fin de l’histoire. En 1922, le Maire de Rennes change ses plans. La caserne Saint-Georges, détruite par un terrible incendie l’année précédente [Histoire] – « C’est l’incendie, le grand incendie » du Palais Saint-Georges !, devient propriété de la ville  pour seulement 300 000 francs. Mr Janvier a l’idée originale d’y construire la future piscine tant décriée, les bains douches et une caserne pour loger les pompiers et leurs familles. Malgré les incessantes protestations en raison du coût et des nombreux travaux de la ville qui n’en finissent pas (achèvement du Palais du commerce, construction d’une caserne de cavalerie, aménagement des bibliothèques et Facultés de droit… ), 5 millions de Francs vont être de nouveau empruntés.

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Malheureusement, Jean Janvier décèdera l’année suivante, le 26 octobre 1923. A l’occasion, le quotidien régional écrira sa nécrologie en ces termes :  « il voyait grand, ce qui est une qualité mais il voulait réaliser trop vite, ce qui est un défaut. De là, ces projets audacieux qui, intéressants en soi, parurent dans les temps difficiles inopportuns. Janvier aimait Rennes d’une affection passionnée […] et ces travaux qu’on lui a reprochés et auxquels nous avons fait allusion, il ne les avait conçus qu’à cause de cette ambition qui l’animait de faire de Rennes l’une des premières villes de France. » 

L’inauguration de la piscine se tiendra début juillet 1926. L’architecte de la ville Emmanuel Le Ray, ayant sans doute une pensée émue pour son compagnon de route, affirmera bien fort lors de la remise des clefs :  « on a beaucoup critiqué la piscine, l’avenir prouvera que les critiques n’étaient pas fondées. » En réponse, Ouest-Eclair mettra un terme à cet épisode par une pirouette lexicale : « la piscine municipale et le palais Saint-georges ont été noyés dimanche matin sous les flots de l’éloquence officielle. » Après un faux départ, l’ouverture au public reprendra le jour de la fête nationale. On apprendra alors que la natation n’était pas un sport mixte puisque femmes et hommes avaient des horaires distincts. Mais ça, c’est une autre histoire !

 

 

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► Saint-Georges, saint patron des nageurs rennais ?

►  [Histoire] – « C’est l’incendie, le grand incendie » du Palais Saint-Georges !

Emmanuel Le Ray – Archive Rennes 

 

 

 

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