(Article écrit à deux mains par Mr B et Yann)
Dernière salve de présentations pour les artistes invités au Fort Saint- Père pour l’édition 2018 de la Route du Rock. Après les frenchies, l’electro et les retours qu’on espère gagnants, nous concluons ce tour d’horizon musical avec les nouveaux venus du festival. Dans cette catégorie un peu fourre-tout, on retrouve aussi bien des espoirs aux styles variés que des légendes. Écoutez voir, vous devriez y trouver votre bonheur.
Honneur à la jeunesse, nous démarrons par les plus vertes des formations qui fouleront pour la première fois les planches des scènes du Fort.
Cut Worms
Difficile de trouver plus raccord que Max Clarke aka Cut Worms pour une ouverture de soirée sur la petite scène des remparts. Des mélodies pop exclusivement estampillées 60’s, un grain de voix qui fait immédiatement penser aux Everly Brothers : si le soleil est en plus de la partie, ça sent le combo gagnant. Son premier EP, Alien Sunset, nous avait séduit par sa simplicité lo-fi, ses mélodies épurées à l’os, son chant aérien et un songwriting poétique (le superbe Song of the Highest Tower est une adaptation d’un poème de Rimbaud). Mais son premier album, Hollow Ground, sorti il y a quelques mois sur Jagjaguwar, nous a (tout d’abord) laissé sur notre faim.
Les premiers titres sont avant tout marqués par une production léchée qui surprend après le côté DIY d’Alien Sunset : les titres pop 60’s y trouvent un écrin luxuriant, How It Can Be et Don’t Want to Say Goodbye ont un potentiel tubesque certain, mais les références y sont tellement marquées qu’on ne peut s’empêcher de trouver ça un poil stéréotypé. Fort heureusement, le néo new-yorkais explore aussi d’autres pans de la musique traditionnelle américaine (folk, country) pour livrer des compositions plus originales, proche de l’americana, comme Till Tomorrow Goes Away ou Hanging Your Picture Up To Dry. Et puis il y a cette petite pépite folk, Like Going Down Sideways (à la fois sur l’EP et sur l’album), qui mérite à elle seule que l’on découvre Cut Worms ce samedi 18 août.
Cut Worms – Samedi 18 août – Scène des Remparts – 18h30.
Jonathan Bree
C’est finalement Jonathan Bree qui remplacera John Maus (annulation de sa tournée suite au décès de son frère, bassiste du groupe) : on avoue être passé à côté de la carrière pourtant prolifique du néo-zélandais. Fondateur, il y a 20 ans déjà, du groupe The Brunettes avec Heather Mansfield, il crée également son propre label 4 ans plus tard, Lil’ Chief Records : il produira, entre autres, Princess Chelsea et The Eversons. Il entame une carrière solo en 2013 avec The Primrose Path, suivi d’A Little Night Music en 2015. Deux albums particulièrement sombres et hypnotiques, dans lesquels on retrouve déjà les cordes soyeuses et le timbre de voix élégant de Jonathan, mais qui manquent un peu de relief.
Mais le troisième album de Jonathan Bree, Sleepwalking, se révèle être un petit bijou de pop orchestrale en clair obscur : les mélodies tendance sixties sont impeccables et ciselées à la perfection, les arrangements de cordes sont somptueux (ce violoncelle en picking entêtant sur You’re So Cool) et la voix suave et mélancolique façon crooner de Jonathan pénètre chaque pore de votre épiderme. Ajoutez à cela des featurings féminins classieux (Princess Chelsea, Clara Vinals, Crystal Choi), des petites touches dissonnantes (Boombox Serenade), une ligne de basse imparable sur le hit Say You Love Me Too et une esthétique mystérieuse et élégante dans les vidéos, et vous avez là tous les ingrédients pour faire de Sleepwalking l’un des disques de cette année.
Jonathan Bree – Samedi 18 août – Scène des Remparts – 20h10.
King Tuff
En découvrant la grille de programmation, on avoue avoir été surpris de découvrir King Tuff, taulier de la scène garage californienne, en ouverture sur la scène des Remparts lors du dernier jour : du rock garage pour un warm-up devant des festivaliers éreintés en mode diesel, le pari semble risqué. Mais après trois albums fleurant bon le garage psyché californien, et sillonné les routes avec The Muggers, le backing band de Ty Segall, Kyle Thomas nous revient plus apaisé. Son nouvel album, The Other est radicalement différent, le garage rêche faisant place à une pop psyché du plus bel effet : le processus de composition, à la guitare acoustique, lui a permis de se recentrer sur les mélodies.
Comme pour marquer ce changement radical, l’album s’ouvre sur le long et planant The Other, avant de nous emmener sur des montagnes russes : des dansants Raindrop Blue et Psycho Star avec leur basse ronde et groovy, au mélodieux Thru The Cracks en passant par le bluesy Ultraviolet et l’hyper-psyché Neverending Sunshine, le panel est large et prend même des accents folk par moments. Le tout est porté par des arrangements soignés et des guests de choix (Ty Segall à la batterie et Mikal Cronin, bassiste de ce dernier). La setlist de King Tuff devrait faire une place de choix à The Other, ce qui conviendrait parfaitement pour ce moment toujours délicat de l’apéritif musical du dernier jour de festival.
King Tuff – Dimanche 19 août – Scène des Remparts – 18h30.
Superorganism
La formation du collectif Superorganism résume à elle seule les possibilités offertes par le net : à l’origine, il y a The Eversons, un groupe néo-zélandais (signé sur Lil’Chief Records, le label de Jonathan Bree). Ils se produisent au Japon et rencontrent une jeune fan, Orono, qu’ils recontactent via la toile quelques années plus tard pour poser chant et paroles sur une mélodie : Something For Your M.I.N.D. est né et marque le début d’une aventure musicale pour le moins originale. Le collectif de huit musiciens venus des quatre coins du monde (Angleterre, Australie, Nouvelle-Zélande, Japon) s’est installé depuis dans une grande maison de l’est londonien, dans laquelle ils composent, enregistrent, réalisent leurs clips, dans une démarche totalement Do It Yourself.
Leur premier album éponyme (sur Domino Records) est à l’image de leurs clips : un kaléidoscope coloré, un poil foutraque, avec pour seul maitre mot la recherche du fun. Orono, Emily, Harry, Ruby, B, Robert, Tucan et Soul marient harmonieusement synthés et guitare, boite à rythmes et batterie, choeurs enlevés et voix nonchalante d’Orono. Les mélodies, sucrées à l’envi, se révèlent être addictives et passent allègrement du psyché (SPRORGNSM) à la balade bizzaroïde (Nai’s March) en passant par la pop joyeuse et débridée (Everybody Wants To Be Famous). Cette toute jeune formation a déjà écumé bon nombre de festivals (We Love Green, Les Nuits Sonores, Les Eurockéennes…) et devrait assurer une respiration sonore fraiche et spontanée entre les deux têtes d’affiche de la soirée.
Superorganism – Dimanche 19 août – Scène des Remparts – 21h50.
The Lemon Twigs
Deux titres extraits de leur nouvel album, et la toile s’enflamme pour le retour très attendu du duo The Lemon Twigs. Il faut dire que les deux frangins D’Addario, Brian et Michael avaient surpris tout le monde avec l’étonnant Do Hollywood il y a deux ans. Bien accompagné par Jonathan Rado (Foxygen), le duo de 16 et 18 ans à l’époque donnait l’impression d’avoir digéré l’ensemble de l’histoire du rock pour délivrer des mélodies surprenantes, puisant allègrement dans les sixties (Beatles, Kinks…) mais aussi dans le glam-rock des années 70 avec une aisance bluffante et un sens de l’harmonie sidérant pour leur jeune âge.
Après un EP Brothers of Destruction paru l’année dernière, et un deux titres il y a quelques mois (Foolin’ Around / Tailor Made aux forts accents Rolling Stones), ils sortiront leur deuxième album le 24 août prochain, Go To School. Un album concept sous la forme d’un opéra-rock, qui racontera la vie d’un chimpanzé élevé comme un humain et devant s’adapter à notre mode de vie. Les deux premiers extraits sont radicalement différents, mais restent dans la même veine, celle d’une pop baroque sophistiquée et inventive : If You Give Enough est délicat et aérien, vocalement et musicalement (avec de très jolis arrangements de cordes), alors que Small Victories est le parfait contre-pied, une espèce d’ovni pop-rock joyeusement bordélique. Même si on avoue avoir quelques craintes sur la transposition live de cet album concept, on est impatient de découvrir sur scène de nouveaux extraits de Go To School quelques jours avant sa sortie.
The Lemon Twigs – Dimanche 19 août – Scène des Remparts – 23h55.
Marc Mélià
On termine notre petit tour des nouveaux avec une invitation à vous rendre à la plage le samedi après-midi. Pieds dans le sable et tête tournée vers les cieux devraient être les conditions parfaites pour apprécier l’électro pop rêveuse et spatiale de Marc Mélià.
Né à Majorque mais résidant aujourd’hui à Bruxelles, on retrouve le bonhomme derrière ses claviers chez Françoiz Breut, Borja Flames ou encore Le Ton Mité. Il a par contre composé seul dans son coin un album/performance hommage au mythique synthétiseur Prophet 08. En onze variations sensibles, il explore avec une grâce certaine la mélancolie profonde et le potentiel mystique d’une musique froide et robotique. La légende veut qu’il aurait glissé dans la main de Flavien Berger, lors d’une rencontre imprévue après un concert à Liège de ce dernier, une K7 de l’album. Heureux hasard qui permettra la sortie du disque sur le label Les Disques du Festival Permanent dans la série La sélection de Flavien Berger. Il jouera donc sur la scène de la plage du Bon Secours son sensible et éthéré Music for prophet et comme la K7 aventureuse du clip du disque, préparez-vous à décoller bien au-delà de la stratosphère.
Marc Melià – Samedi 18 août – Plage du Bon secours, intramuros, Saint Malo -16h.
Le festival malouin n’accueille évidemment pas que des formations toutes récentes. Il y aura bien sûr quelques vieux briscards qui franchiront les murs du Fort pour la première fois, mais qui le feront en portant sur leurs épaules le poids d’une carrière déjà bien riche.
Patti Smith
Ce sera bien évidemment le cas de la très attendue Patti Smith. Comment résumer en quelques lignes le parcours d’une artiste aussi prolixe qu’essentielle ? Égérie du mouvement punk dans le New-York des années 70, auteure, compositrice et interprète, poétesse, photographe, peintre, écrivaine, militante… elle n’aura eu de cesse, au fil de 50 années marquées par une liberté féroce, d’explorer et de tisser des liens entre les arts et les styles.
Dès 1975, avec son séminal et indispensable album Horses, elle mêle avec une ferveur tétanisante les ambitions littéraires et poétiques du Velvet Underground ou de Bob Dylan avec la rage incendiaire d’un punk-rock naissant et même les rondeurs d’un reggae rock hypnotique. Elle redéfinit au passage rien de moins que le Rock’n’Roll. Suite à ce brillant coup d’éclat, elle a pris à bras le corps les disciplines artistiques les plus variées pour concevoir une œuvre remarquablement hors-norme. Après trois autres albums, elle met en pause sa carrière au début des années 80 pour s’occuper, entre autres, de ses fils ou visiter le bagne de l’île du diable où Jean Genet a écrit une partie de son œuvre, mais les décès brutaux et successifs de son mari, de son frère et de son ami pianiste la pousse à reprendre sa carrière musicale dans un élan de survie au milieu des années 90. Elle remonte donc sur scène seule ou en compagnie de Bob Dylan ou REM pour y chanter ses chansons ou lire des poème d’Arthur Rimbaud ou William Blake, compose un hommage vibrant à Kurt Kobain (About a boy), milite pour le Tibet, tourne avec Godard… Pour les 40 ans d’Horses, elle a interprété le disque en intégralité à deux reprises en 2016 à Los Angeles. Les concerts ont été captés par le réalisateur Steven Sebring qui en a fait un documentaire qui sera projeté au cinéma le Vauban le samedi 18 août et sera précédé d’une présentation de Patti Smith (La séance est hélas d’ores et déjà complète). Le film sera suivi par une conférence de notre musicologue favori Christophe Brault qui vous retracera bien mieux que nous la carrière de la dame.
A plus de 70 ans, Patti Smith semble avoir conservé une flamme intérieure intacte qui devrait illuminer la prestation qu’elle nous livrera lors de la soirée du samedi au Fort Saint-Père. Pour notre part, nous avons pris avec une impatiente ferveur rendez-vous avec la légende.
Horses : Patti Smith and her band, Projection du film et conférence – Samedi 18 août – Cinéma le Vauban 2, la Grande Passerelle, Saint Malo – 14h ( complet)
Patti Smith – Samedi 18 août – Scène du Fort – 21h15.
The Brian Jonestown Massacre
Ceux qui, comme nous, ont vu le documentaire Dig! d’Ondi Timoner sorti en 2004 devraient être plus que surpris par l’impressionnante longévité de The Brian Jonestow Massacre. On y suivait le destin parallèle de la formation et de leurs d’abord camarades puis rivaux confrères de The Dandy Warrols. L’impressionnante spirale autodestructrice du leader Anton Newcombe, mêlant ego et drogue, tout deux à haute dose, laissait subodorer une fin tragique ou pathétique à l’aventure. Pourtant, ils seront bien là sur scène à la Route du Rock le vendredi 17 août 2018.
Depuis maintenant 25 années, le groupe mélange avec application, dévotion, et un talent certain (à défaut d’une inspiration toujours constante) rock psychédélique, shoegaze, new wave, folk rock et rock expérimental. Au fil d’une discographie démente (une vingtaine d’albums, cinq compilations et autant de live) et d’une formation entourant Anton Newcombe d’une extrême volatilité (à l’exception du guitariste Matt Hollywood et de Joel Gion et ses tambourins qui sont des collaborateurs réguliers pas moins d’une soixantaine de musiciens se sont succédés aux line-up), le groupe aura finalement duré, acquis un statut de groupe culte et trouvé une place toute particulière chez les amateurs d’un rock brumeux et obsédant. Anton Newcombe a également prix soin de multiplier les collaborations fructueuses. On citera notamment le très beau disque qu’il a sorti en compagnie de Tess Parks en 2015 et sa toute récente collaboration avec The Limiñanas qu’il devrait donc rejoindre sur scène ce soir là.
The Brian Jonestow Massacre – Vendredi 17 août – Scène du Fort – 01h05.
La Route du Rock aura lieu du 16 au 19 août 2018.