Compte rendu écrit à quatre mains par Mr. B et Yann, et photographié par Mr B.
A notre arrivée au Fort pour la dernière journée de cette Route du Rock 2022, les pattes sont certes un peu lourdes mais l’envie est, elle, toujours au beau fixe. Malgré l’annulation de la tête d’affiche King Lizard & The Lizard Wizard, nous avions tout de même pronostiqué une très grosse soirée avec notamment un déploiement de formations britanniques aussi variées qu’explosives. Punk, dream pop, hip hop hybride, krautrock, noise rock, garage, bordel rock… ce bouquet final de la Route du Rock nous en aura bien fait voir de toutes les couleurs et de la plus belle des manières.
Big Joanie
Pour ce dernier jour, c’est (une fois de plus) sous un soleil radieux que l’on s’installe devant la scène des remparts pour l’ultime concert d’ouverture de soirée avec Big Joanie. Le trio londonien composé de Stephanie Phillips (chant/guitare), Estella Adeyeri (basse) et Chardine Taylor-Stone (batterie) s’était fait remarquer avec Sistahs, premier album signé sur Daydream Library Serie (le label de Thurston Moore). Elles y livraient onze petites bombes de punk hautement mélodiques à l’énergie rafraichissante et aux chœurs teintés de soul. Le trio (accompagné pour le live d’une quatrième musicienne aux claviers et à la seconde guitare) présente également Back Home, son deuxième LP à paraître en novembre chez Kill Rock Stars (Gossip, Free Kitten, Sleater Kinney…). Comme nous l’avions pressenti en visionnant leur Live on KEXP sur la toile, leur punk mélodique ne décolle pas vraiment sur scène, même si la fin de concert est un poil plus enlevée. Paradoxalement, le titre qui ressort de ce set est Cut Your Hair, unique ballade au tempo lent. On n’est pas franchement convaincu mais ce n’est pas désagréable pour un concert d’ouverture, un warm-up pour nos esgourdes fortement sollicitées depuis quelques jours.
Vanishing Twin
C’est ensuite aux Vanishing Twin de se lancer sur la grande scène. La transition vers leur dream pop éthérée est le premier changement de braquet radical mais jouissif d’une longue série. On plonge avec délice dans les volutes pop oniriques des Londoniens. Voix de velours et chapeau le plus élégant de l’édition, Cathy Lucas envoute le Fort avec une déconcertante rapidité. il faut dire qu’elle est remarquablement bien assistée dans cette tâche. Le flegmatique bassiste Susumu Mukai déploie son groove avec élégance. Phil MFU passe avec fluidité de la guitare délicatement aquatique à la flûte traversière rêveuse (instrument qui reste LA grosse tendance de cette année avec le jogging à trois bandes). Enfin notre chouchoute, la batteuse Valentina Magaletti déploie un délicieux toucher free jazz tout en finesse dans son polo rose en parfaite dissonance chromatique avec la bande. Leur set aussi ludique que psychédélique passe comme un charme grâce à de belles variations de tempo et des compositions d’une limpide solidité derrière leur côté faussement complexe.
Wu-Lu
On frémissait d’impatience avec le retour des londoniens de Wu-Lu : la faute à une prestation fiévreuse lors des dernières Trans Musicales (même si le son était particulièrement dégueulasse) mais aussi à un premier album particulièrement réussi, Loggerhead, sorti en juillet 2022 sur Warp. Le guitariste (et multi-instrumentiste) Miles Romans-Hopcraft et ses camarades y lâchent la bride à leur créativité pour notre plus grande joie. On se demandait quand même comment le trio allait rendre l’univers foisonnant du disque en live sans les nombreuses invité.e.s qui le pimentent. Dès les premières notes du trio guitare-basse-batterie, on est rassuré. Le son est cette fois-ci aux petits oignons et l’énergie comme les nuances sont au rendez-vous. C’est une excellente nouvelle quand on a affaire à un tel orfèvre qui triture avec minutie sa six-cordes au début des morceaux pour annoncer la couleur. Et la palette est bien fournie : des déflagrations grunge (Times) à la mélancolie trip-hop (Scrambled Tricks) en passant par les décharges noisy (Broken Homes) et le hip-hop abrasif (Blame), tout y passe pour notre plus grand bonheur. On est fasciné par ces trois gus qui tricotent sévère, mais on savoure tout autant lorsque les deux compères lâchent leurs cordes pour balancer leur flow rageur sur Ten, uniquement soutenu par l’impeccable batteur. Même le petit interlude reggae est joué avec classe. Le set se termine avec le magistral South et son déferlement sonore final. Miles Romans-Hopcraft vient d’enterrer la notion de genre musical en à peine une heure. Ce n’est pas le premier, certes, mais ils ne sont pas nombreux à le faire avec un tel talent.
Beak>
Nouveau virage au frein de la soirée pour prendre cette fois la bretelle qui mène sur l’autoroute krautrock avec Beak>. Là encore, nous piaffions d’impatience de voir ce qu’allait donner le trio sur la grande scène et de nouveau ce fut une confirmation éblouissante. On retrouve donc l’immense Geoff Barrow (Portishead, Quakers…) derrière sa batterie customisée avec tête de zombie grimaçante au-dessus de la cymbale et autocollant Boris Johnson collé sur un tom pour bien lui en mettre plein la gueule. Il est toujours aussi bien accompagné par le monstrueux bassiste Billy Fuller et le génial bidouilleur de claviers Will Young. Comme d’habitude avec eux, le set démarre plutôt en douceur et, comme à chaque fois, on est frappé par la monstrueuse qualité sonore du trio. Ce qui est vraiment savoureux c’est que l’ambiance entre les morceaux est carrément détendue. Barrow toujours aussi bavard, rigole avec ses collègues, nous parle avec une franchise et un humour désarmant de son trac qui revient malgré les années, du chaos social en Grande Bretagne ou commente la programmation du festival. Sauf que dès qu’ils se remettent à jouer, nous sommes saisis et captivés par la précision, la richesse et l’énergie qui se dégagent de leurs compositions. Nous ne sommes pas les seuls et, même si l’assistance est nettement plus clairsemée que les jours précédents, le public se masse et va progressivement entrer dans la plus délicieuse des transes. La setlist n’en finit pas de monter en puissance avec un apocalyptique triplé final Wulfstan III / Blagdon Lake /Yatton qui met tout le monde à genoux (en fait, on n’est même pas très sûr des titres tant on était occupés à savourer ce moment d’apocalyptique bonheur).
DITZ
On a encore la tête dans les nuages et un sourire béat aux lèvres mais on ne traine tout de même pas. On a en effet bien coché en rouge sur notre programme le moment du concert des furieux de Brighton de DITZ. La nouvelle alternance des groupes entre les deux scènes avec seulement cinq minutes de pause entre les concerts a le mérite de ne pas nous laisser le temps de nous ennuyer mais elle laisse peu de respiration quand tout s’enchaine avec cette qualité. C’est maintenant sur les terres sombres et dévastées du noise rock que va s’orienter la soirée. Les cinq lascars ne vont pas se faire prier pour mettre le feu aux poudres. Ça tombe bien, le public ne demande que ça. Avec une réjouissante férocité pimentée d’un flegme incendiaire, ils nous balancent en pleine tronche et sans échauffement préalable des monstrueuses versions des bombes soniques de leur excellent premier album The Great Regression sorti en mars 2022 sur leur label Alcopop. Un duo de guitaristes délicieusement abrasif, un batteur avec une frappe de destruction massive, un bassiste en transe et un chanteur entre hurlements et mimiques lunaires, le tout est un bonheur de furie retorse enchainant déflagrations dévastatrices et breaks vertigineux. Le frontman est un peu moins en mode total balek à la Mark E Smith que lors de leur tout aussi mémorable concert à l’Antipode en avril dernier mais apporte toujours ce savoureux décalage ironique qui achève de rendre le groupe totalement incendiaire. Dans ce splendide moment de chaos sonore, ils nous offrent en guise de cerise sur la bouteille de nitroglycérine une énorme version live de leur reprise du déjà terrible Fuck The Pain Away de Peaches.
Ty Segall & The Freedom Band
Troisième venue dans le fort pour le prolifique Ty Segall accompagné de son Freedom Band. On se demandait si, cette fois, le Californien allait nous offrir une petite ouverture acoustique pour faire un clin d’œil à Hello, Hi son dernier disque. Pari perdu. Le plus blond des rois du riff garage entouré de ses quatre fidèle acolytes donne le ton d’entrée de jeu en faisant déferler un tsunami rock’n’roll fracassant sur les premiers rangs. Il faut dire que sur la scène rock garage, le garçon est l’un des plus doués de sa génération (avec Thee oh Sees). C’est donc un set festival qui se deploie dans le Fort Saint-Père, mélangeant fougue punk, garage qui tache, influences métal, saturations grunge et riffs psychés. Le tout pied au plancher, avec un brio indéniable : le jeu de guitare, les compos malignes, la voix, tout est impeccable et redoutablement précis chez Ty Segall. Impossible, de plus, de cantonner les quatre compères de son Freedom Band dans la case backing band : chacun apporte sa pierre à l’édifice garage qui crame de plus en plus fort et incendie inéluctablement les festivaliers. On doit cependant avouer qu’on avait le secret espoir que Ty Segall module un peu plus comme il a su le faire en ouverture de certains concerts récents. Alors forcément, en format festival, derrière les furies DITZ et avec Fat White Family en embuscade derrière, difficile de faire retomber le soufflé, mais on commence à fatiguer un peu après trois jours de festival : on s’éloigne de la scène pour suivre la fin du concert en remplissant nos estomacs, histoire de reprendre quelques forces.
PVA
Les Londoniens de PVA tentent ensuite de nous transporter sur un dancefort débridé avec les compos évoquant l’electronic body music des années 80 de leur premier album BLUSH à sortir en octobre 2022. Hélas, et ce sera un des seul bémols de la soirée pour nous, la formule ne nous convainc pas vraiment. Il y a de l’énergie et de l’implication mais le jeune trio souffre un peu de la comparaison avec l’énorme set de Working Men’s Club de jeudi qui avait mêlé rock et électro rétro avec plus d’inspiration et de fougue. Nous nous offrons donc une petite respiration. Ce ne sera pas de trop vu le chaos final qui nous attend.
Fat White Family
On ne sait jamais trop à quoi s’attendre avec les sales gosses hirsutes et dépravés de Fat White Family mais après être complètement passé au travers du concert lors de l’édition 2014, on s’était régalé devant la superbe explosion au ralenti qu’ils nous avaient offerte en 2016. On se doutait qu’ils allaient bien soigner comme il faut le bouquet final de la soirée. On ne se savait juste pas à quel point. Dès leur arrivée sur scène, on ressent l’électricité dans le regard de chaque membre du sextet cockney, et plus spécialement dans le regard fiévreux de Lias Saoudi, le chanteur du groupe.
Fat White Family, c’est l’anti Fontaines D.C. : là où les Irlandais ont soigné leurs looks et musclé jusqu’à l’excès leur set, les Anglais prennent un malin plaisir à proposer un concert chaotique et joyeusement approximatif et à saboter leur apparence, Lias Saoudi en tête, simplement vêtu d’un caleçon à bretelles jaune pisseux bien moulant.
Après dix secondes de pose flippante, le frontman commence tambour battant, en fendant la foule dans une hystérie collective, balançant le chant chamanique de Wet Hot Beef, au bord de la transe. Lias Saoudi reprend place sur scène (on ne sait toujours pas comment) et puise dans les trois albums du groupe pour un set bordélique (même s’il serait bien dommage de le réduire à ça et aux pitreries régressives de son leader). Le groupe a des compos malignes, comme sur son dernier EP, Serfs Up !, et des larges rasades de pop, disco ou boogie injectées de façon très inspirée (Feet, Fringe Runner). Les Anglais revisitent également leurs deux premiers albums, Champagne Holocaust et Songs for Our Mothers, de Cream of the Young et son petit riff nonchalant au punkissime Heaven on Earth. Le groupe termine avec l’imparable enchainement Whitest Boy on the Beach / Bomb Disneyland qui finit d’achever le public exsangue et conquis. Un show particulièrement intense délivré au pied levé par les meilleurs remplaçants de dernière minute du monde. On ne pouvait pas imaginer plus parfaite manière de conclure cette trentième édition de la Route du Rock.
Il est presque trois heures du matin. On n’a pas vu passer cette journée. On rentre méchamment moulu mais ravi en profitant sur le chemin du retour du merveilleux Who Loves The Sun du Velvet Underground sélectionné par Pépé Jerk qui assure l’aftershow jusqu’au petit jour.
Notre galerie des photos de la soirée par Mr. B :
La Route du Rock Collection Eté 2022 a eu lieu du mercredi 17 août au samedi 20 août.
Merci pour ces excellents comptes rendus !