« C’est l’incendie, le grand incendie. Y’a l’feu partout… » chantait le groupe Noir Désir dans les années 2000. Celui du Parlement de Bretagne en 1994 restera à jamais gravé dans notre mémoire collective. Pourtant, un incendie peut en cacher un autre. On oublie souvent qu’en plein été 1921, des flammes indomptables ont dévasté entièrement le Palais Saint-Georges. Au petit matin du 05 Août de cette année-là, le spectacle est cruel et désolant : le bâtiment est pratiquement détruit de fond en comble, seules les maçonneries des façades tiennent encore debout…
Retour vers le passé
L’ancienne abbaye Saint-Georges est édifiée en 1032 par le duc de Bretagne, Alain III. Après avoir été pillée et incendiée, elle est reconstruite par Magdelaine de La Fayette. Elle est alors la propriété des religieuses Bénédictine de 1670 jusqu’à la révolution (NDLR : un des premiers couvents de femmes en Bretagne).
Le bâtiment devient ensuite une caserne militaire affectée au 5ième bataillon de chasseurs à pied, elle abrita jusqu’à 950 chevaux et fantassins, puis au 41ième régiment d’infanterie de ligne. La plaque de marbre toujours visible à l’entrée de la rue Gambetta en atteste (voir ci-contre). La caserne abrite ensuite de nombreux poilus de l’Ouest (NDLR : durant la première guerre mondiale, Rennes était la plus importante ville de garnison du grand-Ouest) puis sert de centre de démobilisation pour l’Infanterie.
En 1921, la caserne n’est plus occupée que par des services administratifs, notamment ceux des pensions de la dixième région, des sous-intendances, du recrutement et par la section des C.A.O (Commis et ouvriers d’administration). Le deuxième étage est occupé par des chambres d’officiers (NDLR : certains sous-officiers logeaient avec leurs familles) et des combles mansardés .
La nuit du 05 Août
Alors qu’un vent du sud-ouest souffle sur la ville en cette nuit du 05 Août 1921, trois hommes aperçoivent vers 2h45 les premières flammes sortant de deux fenêtres. L’alerte est vite donnée et le clairon se fait entendre dans les rues. A cet instant, seules quelques pièces sont atteintes par le feu mais tout est fermé à clé et chaque service détient les siennes. Le sinistre est difficilement localisable et on perd du temps à trouver celle du local où le sinistre s’est déclaré. Le quotidien de l’époque Ouest-Éclair, dans son édition du 06 Août 1921, raconte d’ailleurs que le soldat de service censé récupérer la clé du bureau incendié n’a pas pu parvenir à ses fins. Un gradé l’arrêta dans sa course et l’obligea à participer aux premiers secours.
Malgré l’arrivée rapide de l’auto-pompe à eau, une Delahaye, baptisée « Victoire », l’incendie se développe à une vitesse fulgurante. Celle-ci tournera à plein régime 15 heures durant, de 3h du matin jusqu’à 18h le lendemain, aidée par les pompes de la Gare, de l’Arsenal et de la 140ième Compagnie automobile. Au plus fort de l’incendie, on estime à plus de 250 mètres cubes d’eau déversés par heure sur le foyer.
Le vent, les masses de papier, les vieilles poutres de chênes, les murs badigeonnés de coaltar facilement inflammable (NDLR : l’expression être dans le coltar vient de là) sont autant d’éléments pour expliquer la rapidité de propagation. Dans les rues adjacentes, dans la cour intérieure, des kilomètres de tuyaux jonchent par terre, des soldats font la chaîne en se passant des seaux d’eau tandis que d’autres tentent de sauver le maximum d’archives et de documents liés aux pensions de guerre.
Vers 03h30, des tic-tac sinistres et effrayants de mitraillettes se font entendre. Ce sont les chargeurs et des balles Lebel entreposés dans un magasin qui explosent. Une nouvelle alerte de ce genre se renouvellera quelques heures plus tard. A 4h du matin, la toiture est dévorée par les flammes :« C’est le plein jour » constatent les rennais⋅e⋅s venue⋅s voir en nombre le triste spectacle, réveillé⋅e⋅s sans doute par autant d’agitation et par le bruit des clairons. Peu de temps après, les deux étages finissent par céder.
Il est 04h30 du matin.
Le bilan est lourd, il ne reste plus grand chose du bâtiment. Des logements de sous officiers au deuxième étage, une ou deux maisonnettes flanquées contre la caserne, le corps de garde et l’aile droite de la partie Nord sont épargnés. L’eau utilisée a énormément fait de dégât, notamment dans le pavillon Est. Pour l’anecdote, le feu a failli reprendre au petit matin à cause de l’amoncellement des poutres enchevêtrées et fumantes dans une des caves dont le plafond avait cédé sous l’amas des plâtras. Mais plus de peur que de mal, il est vite circonscrit. Il y aura plusieurs blessés au cours de la nuit. Quelques semaines plus tard, Ouest-Éclair (NDLR : source principale de cet article) annonce que les cultivateurs ou particuliers possédant des jardins sont autorisés à enlever les gravats et les cendres provenant de l’incendie.
L’après : Vélodrome, piscine et caserne !
Il sera question d’abattre les ruines ce qui provoqua un tollé général et une vive réaction de la population rennaise ! Emmanuel Leray, l’architecte de la ville (1895 à 1932) mène alors campagne pour la restauration de l’édifice. Il sera entendu.
Le 05 octobre 1921, le Maire de Rennes, Jean Janvier, évoque pour la première fois son projet d’offrir aux habitant⋅e⋅s une piscine municipale. L’idée est alors de la construire dans le quartier Saint-Hélier, à coté de l’ancien vélodrome « Laennec » (NDLR : qui n’a rien à voir avec le vélodrome actuel). La municipalité envisage en plus l’achat du terrain adjacent « Le Champ de la Vergne », rue Alphonse Guerin, appartenant aux hospices civils. Mais revirement de situation !
En 1922, le conseil municipal décide de tirer profit de la caserne incendiée. En effet, en piteux état, l’armée se refuse à la restaurer et la cède à la ville pour la modique somme de 300 000 francs. L’idée est donc d’y construire une piscine (NDLR : la future piscine Saint-Georges), des bains-douches et la nouvelle caserne des pompiers. C’est à cette occasion que les deux petits bâtiments, situées de part et d’autre de la grille d’entrée (rue Kléber) seront démolis et que sera crée le jardin « à la Française ».
Le terrain, « Le Champ de la Vergne », évoqué plus haut, servira d’emplacement au futur stade municipal, le « stade Commandant Bougouin », notre vélodrome d’aujourd’hui.
L’inauguration de la piscine (NDLR : la décoration de ses bassins et des bains publics, réalisée par le mosaïste Isidore Odorico, représente l’une des réalisations majeures de l’art déco en France) et de la caserne rénovée a lieu en 1926. Le conseiller d’Etat Picquenard, d’humeur taquine, viendra jusqu’à plaisanter auprès du maire Bahon (NDLR : succédant à Janvier décédé quelques années plus tôt) en lui disant : « Ainsi, le feu aura été votre collaborateur du passé, j’ose espérer que vous vous passerez de lui à l’avenir. » Le bâtiment fera l’objet d’une inscription au titre des monuments historiques en 1930. La piscine le sera à son tour plus récemment, en 2016.
Aujourd’hui, le Palais Saint-Georges accueille des services administratifs de la ville et surtout la caserne des pompiers. Mais pour combien de temps encore ? Son transfert sur le site de Moulin-de-Joué en 2020 semble déjà acté et même s’il n’y aura pas d’hôtel de luxe, certains promoteurs avides de transformer la ville pour y faire de bonnes affaires surveillent avec attention son devenir…
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bibliographie :
- Ouest Éclair,
- Place Publique,
- Livre : Rennes, des combattants du feu aux techniciens du risque (Raymond fillaut)
- Livre : Catastrophes, accidents et faits-divers en Bretagne (Alain Lamour Celine Lamour-crochet /Coop Breizh)
Les pompiers de Rennes en 1920 avec Jean Janvier, Maire de Rennes (1908-1923) assis sur l’avant de la première auto-pompe VICTOIRE
— Histoire de Rennes (@Histoire2Rennes) 29 septembre 2014