Louise Michel, libertaire, féministe et figure emblématique de la Commune, n’a eu de cesse de porter la parole révolutionnaire. Sa vie entière fut mise au service de ses convictions politiques et de leur transmission. Ses conférences en France, en Angleterre, en Belgique et en Hollande se comptent par milliers. Malgré la prison, le bagne, une tentative d’assassinat à son encontre en 1888 au Havre(1), la fatigue et la maladie qui la guette, elle n’abandonne pas. En 1903, âgée alors de 73 ans, un périple breton va l’amener à rencontrer les citoyen·n·e·s de Rennes, de Brest, de Saint-Brieuc et de Lorient…
Tout est prêt pour l’accueillir. Les affiches vertes collées sur les murs de Rennes annoncent la réunion publique depuis quelques jours déjà et, au doigt mouillé, on sent bien une frénétique agitation. Mais voilà, le maire en a décidé autrement. Alors que l’autorisation était accordée à l’équipe organisatrice de disposer des Halles de la place des Lices, Eugène Pinault(2) changea d’avis pour des raisons fichtrement vaseuses lorsqu’il apprit que celle que l’on surnomme la « vierge rouge » et son compère Ernest Giraud allaient prendre la parole au cours de cette soirée. D’ailleurs, il n’est pas le seul à se faire du mouron ! Tout comme lui, une grande majorité d’élus locaux bretons et une frange de la population s’inquiètent de cette tournée politique sur les terres bretonnes. On craint des débordements. L’imaginaire collectif de l’anarchiste, armé jusqu’au dent, sans foi ni loi, est bien tenace en ce début des années 1900. Le drapeau noir fait peur. La liberté aussi. A Lorient, personne ne veut louer de salle tellement on craint la mise à sac de l’immeuble par l’enthousiasme effréné de l’assistance. On ira même jusqu’à demander le renfort de gendarmes des alentours (Quimper, Quimperlé, Vannes…) afin de garantir l’ordre public et prévenir toute velléité révolutionnaire. Mais peu importe, les ressources et les bonnes idées ne manquent pas du côté des partisan·ne·s et à Rennes, un nouveau lieu est rapidement trouvé. Malgré l’exiguïté du local, c’est à l’intérieur de l’Université Populaire du centre-ville que se tiendra le meeting.
29 septembre 1903. Dès le début de la soirée, une centaine de personnes se pressent déjà devant le 14, du Quai Dugay-Trouin. Il y a là des ouvriers, des ouvrières, des prolétaires, des révolutionnaires… mais pas seulement. La réunion étant publique, des bourgeois·es s’acquittent du billet d’entrée à 10 sous pour voir de plus près l’infatigable et acharnée militante. Cette dernière est arrivée la veille aux aurores par le train et est hébergée sous le faux nom de Mme Gérard à l’Hôtel de France. En toute discrétion. Forcément ! Elle ne compte pas que des ami·e·s. On se souvient encore qu’à Hennebont, une femme lui ressemblant a été vivement chahutée d’abord par une trentaine d’enfants à la sortie de l’église et puis par les adultes l’obligeant à se réfugier chez une voisine.
Une heure plus tard, la salle est comble. Louise Michel monte sur l’estrade et prend enfin la parole sous le regard circonspect de quelques flics et du commissaire de police Mr Déblais. Sans détour, elle entame sa première charge contre le « joug clérical » et contre tous les préjugés que sont l’enfer, l’idée du ciel et de ses récompenses. « Il faut dégager nos enfants de la chaîne cléricale. En les empêchant d’être infectés par les manuels cléricaux, nous les arrachons au vice. » « Toutes les religions ont eu du sang pour origine, des sacrifices d’animaux, des hommes même ! Voilà pourquoi nous ne voulons plus de Dieu […] Défiez-vous de la haine cléricale, il faut qu’elle périsse ! » Après un rapide chahut au fond de la salle et à l’extérieur suite à quelques invectives rapidement stoppées sur ordre du commissaire lui-même, celle aussi nommée « Louve noire » déclame ses arguments anti-militaristes. « L’antimilitarisme consiste à empêcher les soldats de tirer sur leurs frères qui descendent dans la rue et qui se mettent en grève. Comme le dit Tolstoi, la caserne est l’école du meurtre… »
Saluée par une salve d’applaudissements, Louise Michel regagne sa chaise. Le président de la séance demande alors au public s’il y a des contradicteurs dans la salle. Personne. La soirée se poursuit donc avec le discours d’Ernest Giraud, militant qui contribua à enrichir la presse révolutionnaire. Au cours de la soirée, il n’a de cesse de réclamer l’existence de l’internationalisme au sein du monde ouvrier avant de conclure par une véritable punchline « Ce à quoi nous aspirons, ce que nous voulons tous, c’est l’anarchie ! »
Tard dans la soirée, la salle se vide. Deux cent personnes attendent patiemment la sortie de Louise Michel. Par un précieux stratagème et afin d’éviter toute manifestation spontanée, des complices font courir le bruit que la révolutionnaire est déjà partie par une porte de derrière donnant sur la rue du Carthage. Mais en réalité, il n’en est rien. Louise Michel s’est laissée enfermer, toute lumière éteinte. « Je ne veux aucune manifestation d’aucune sorte » explique-t-elle. « Je suis vieille, fatiguée et plus d’âge à supporter les cris de la foule. »
Ainsi, une demi-heure après la fermeture des portes, un petit groupe d’hommes et de femmes vient la délivrer pour l’accompagner à pied jusqu’à la gare où elle doit prendre un train à la première heure pour Brest, prochaine étape de son périple. Mais avant, elle prendra le temps de revoir un ancien communard qui avait pris les armes avec elle en 1871 et qui habite la ville. L’occasion sans doute de se remémorer les journées sanglantes de la Commune et des épisodes terribles dont ils furent, tous deux, des témoins actifs.
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(1) Louise Michel et le Havre : L’attentat du 22 Janvier 1888
(2) Eugène Pinault, Maire de Rennes –
(3) Ouest-Eclair du 10 octobre 1903
Source Gallica – Ouest-Éclair Septembre/Octobre 1903
|PLUS D’1FOS|
► Association Louise Michel ;
► Maison Départementale du Tourisme de la Haute Marne ;
► Le site Gallica de la Bnf propose de nombreuses œuvres de Louise Michel ;
► Centenaire de la mort de Louise Michel .