Zone de Confort : « Inconsciemment, il fallait que je me réapproprie l’espace public. »

La ville devient de plus en plus uniforme, monotone. Chiante ? Peut-être un peu… Partout, les mêmes immeubles, les mêmes devantures, les mêmes enseignes. La standardisation est en marche forcée depuis l’émergence du concept de métropolisation. Pire, notre horizon se rétrécit, et devient monochrome. Une récente étude britannique le prouve. Les couleurs disparaissent. Petit à petit. Adieu le vert espoir, le bleu horizon, le rouge frondeur, ou le jaune poussin. Seuls restent les noirs, les blancs, et les gris. S’il fallait vous en convaincre, promenez-vous dans les nouveaux quartiers rennais (EuroRennes, plaine De Baud, Courrouze). Présenté comme une « audace architecturale », le rendu ressemble à une pâle et triste copie de « 50 nuances de gris ».
Mais parfois, au détour d’une rue, collée sur une porte extérieure ou un mur décrépi, une tapisserie d’une autre époque – où l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française) existait sans doute encore – nous saute littéralement aux yeux. À travers ces interventions urbaines, la rennaise d’adoption, connue sous le blase de Zone de Confort et qui aime se présenter malicieusement comme « décoratrice d’extérieur », nous invite à regarder la ville autrement.

Rue de Penhoët, Rennes (2022)

La vie n’est pas un long fleuve tranquille. Parfois même, elle peut se transformer en un océan d’emmerdes. Alors que la ville s’est drapée dans ses plus beaux habits de lumière à l’occasion des fêtes de fin d’année, l’ambiance est tout autre pour Zone de Confort qui broie du noir en ce mois de décembre 2018. « C’était clairement une sale période. Rien n’allait bien pour moi.  En plus, j’étais en galère de thune au point de ne plus pouvoir payer mon loyer. J’envisageais presque de me retrouver à la rue. Il fallait qu’il se passe un truc pour casser cette spirale. », nous avoue-t-elle.

Et, sans crier gare, le 25 décembre, jour férié où la plupart des gens comatent suite à leurs excès de la veille, ou se préparent à engloutir un gueuleton, Zone de Confort passe à l’attaque. La rue est déserte. Il n’y a personne à l’horizon, sinon ce panneau posé là sur une clôture entourant un parking qui lui fait de l’œil depuis longtemps. « J’avais chez moi un vieux rouleau d’une tapisserie un peu cul-cul, composée d’oiseaux et d’un joli vert pomme, achetée à la Belle Déchette. Je ne savais pas quoi en faire quand je l’ai pris, mais sur un coup de tête, ce jour-là, j’ai été collé un petit morceau dessus. » Mine de rien, ce geste parvient à faire de cette journée une réussite. Mieux, il est salvateur, et même revendicatif. « Même si je l’ai fait de manière ludique et désinvolte, le fait de coller dehors m’a permis de conjurer cette trouille que j’avais de la rue. Inconsciemment, il fallait que je me réapproprie l’espace public. » Et pour cause. L’espace public est inégalitaire, non inclusif, car majoritairement conçu par et pour les hommes (tendance blancs, hétéro, cis, et debout). Dès lors, les femmes, lesbiennes, gays, trans… optent pour des stratégies d’invisibilité. Zone De confort n’a pas voulu prendre la tangente cette fois-ci, mais au contraire marquer un territoire, rendre visible son passage. C’est alors le déclic, et le début d’une grande aventure…

La Cour, Rennes (2022)

Ce goût du papier-peint lui vient de sa deuxième passion, l’urbex (exploration urbaine) qu’elle pratique depuis fort longtemps. « Un papier-peint destroy dans un lieu triste et froid est comme une irruption de la gaieté. » Au fil des ans, sa collection de tapisseries vintages qu’elle choisit avec soin, (comprendre fabriquées avant les années 80, NDLR), s’agrandit grâce à des trouvailles faites dans des brocantes ou sur des sites de petites annonces.  « Je n’ai plus assez de place chez moi pour ranger tous mes rouleaux, c’est trop (rires…) » Alors comme pour libérer un peu de place chez elle, l’artiste colle, habille, maroufle dehors. Une tapisserie posée à un endroit inhabituel a le même effet qu’un stabilo : il surligne, met en valeur. La rennaise donne ainsi du relief à nos rues, et nous propose de regarder dans la même direction qu’elle. « On emploie principalement l’expression « zone de confort » pour exprimer le fait d’en sortir justement. Comme une pression permanente au dépassement de soi, à l’inconfort perpétuel.  Moi, à l’inverse, j’invite tout le monde à la retrouver, et à se glisser dedans. J’ai envie qu’on se dise en voyant une de mes tapisseries : ici, c’est chez moi ! »


Un livre sur l’urbex à Rennes comme témoignage d’une époque révolue ?


Si l’on vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, qui n’a pas aperçu ce type de papiers-peints ? La cuisine des grands-parents, une chambre d’hôtel ou d’ami·es pendant des vacances, une salle d’attente… Des souvenirs, enfouis dans un coin de la mémoire, peuvent alors remonter à la surface. Parfois de manière agréable. Parfois non. « J’ai grandi dans des maisons avec ce kitch aux murs. Même si je n’ai pas eu une enfance facile, cela m’amuse de faire cela. Je montre ainsi la naïveté de cette époque, de cet enthousiasme sans pour autant l’idéaliser. »

copie écran Instagram _zone.de.confort_

Cela fait donc quatre ans que Zone de Confort, à son rythme, expose sur les murs de la ville. Sans contrainte. Elle n’est pas de celleux qui se lèvent aux aurores pour ne pas se faire choper. Au contraire, Zone de Confort prend son temps. D’abord, choisir l’emplacement, ensuite faire sa découpe chez elle, puis revenir coller en journée, généralement un dimanche ou un jour férié. C’est plus tranquille. Certes, il y a toujours ce risque de se faire emmerder par les flics, mais bon, on espère que ces derniers ont d’autres priorités. Et puis en plein jour, ça a l’avantage de créer des interactions le plus souvent bienveillantes. « Elles sont extrêmement rares, mais j’ai eu deux ou trois échanges assez tendus et hostiles avec des personnes que je qualifierais de réac’ et qui ne comprenaient pas ce que je faisais. Et franchement, j’étais assez contente de moi, car mine de rien, en engageant la discussion à partir de mes collages, j’ai pu les questionner sur le principe de propriété, de qu’est ce qui est beau et qu’est ce qui ne l’est pas… Comme quoi, il suffit de pas grand-chose, comme un simple motif de papier-peint collé sur un mur pour venir bousculer le système (rires…) »

Et c’est l’intérêt de sa démarche. Car une fois enlevée la première couche de colle artistique, il est facile de déceler le message qui se cache derrière. « Sans prétention, ce que je fais est politique ! Il y a aujourd’hui une réelle absurdité dans notre manière d’habiter ou non les bâtiments. J’ai du mal à concevoir que par pure raison financière, on préfère construire de nouveaux immeubles en tocs, qu’on devra sans doute reconstruire dans 15 ans, plutôt que de réhabiliter de vieilles et magnifiques bâtisses. À travers ces collages gentillets, en montrant tous ces logements vides, abandonnés, délaissés, je dénonce finalement le mal-logement. » Sujet ô combien d’actualité, pourtant totalement ignoré lors de la dernière campagne présidentielle. Un seul chiffre : 4 millions de personnes sont non ou mal logées en France, septième puissance mondiale.

rue Hôtel-Dieu, Rennes (février 2022)
rue Hôtel-Dieu, Rennes (février 2022)

Pour accentuer le trait, Zone De Confort ne laisse rien au hasard. « J’aime le contraste, mélanger les univers. C’est ça qui est drôle. Par exemple, j’irais mettre une tapisserie bien bourgeoise, de type salon versaillais, dans un quartier populaire, et réciproquement. » Récemment, elle s’est amusée à coller sur un immeuble flambant neuf un petit bout de papier peint récupéré sur le mur d’une vieille maison abandonnée. « Cela me donne l’illusion de créer une passerelle symbolique entre les endroits désertés et les endroits surpeuplés. »

Mieux, la passerelle se prolonge aussi dans sa vie personnelle, de manière concrète. Sa pratique de l’art urbain lui a permis de faire de nouvelles et belles rencontres. On ne compte plus ses collaborations, qui parfois se sont transformées en une amitié solide et durable. « Arrivée à Rennes en 2001, je suis restée très seule pendant pas mal d’années. Le collage m’a apporté une vie sociale. Je me sens rennaise véritablement que depuis 2018 finalement. » Une zone de confort qui se construit jour après jour, ouverte à qui veut y entrer en toute bienveillance.

Instagram Zone de confort : https://www.instagram.com/_zone.de.confort_/?hl=fr

+ d’1fos :

La ville n’aurait donc de féminin que son nom ?

Un appel salutaire : « La soif aussi nous appartient ! »

 

 


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