Street Art : BREZE, aux sources du graffiti rennais

chap

BREZE, c’est un genre particulier. Pas franchement versé dans l’auto-promotion, le quadragénaire semble tirer peu de gloire de ses 23 ans de présence sur la scène graff rennaise.

Il faut lui faire remonter le temps pour réaliser, au fil d’anecdotes narrées avec beaucoup d’auto-dérision, la vraie valeur de son parcours. Co-fondateur de la scène graffiti rennaise, activiste de la première heure, témoin et acteur de l’implantation de la culture hip-hop en Bretagne… On fait vite figure de patrimoine vivant dans cette discipline où les acteurs s’épuisent rapidement et disparaissent en un trait de comète.

Rencontre avec Mathias Orhan, alias BREZE, writer, peintre et mémoire vive du graffiti rennais.

 

« MON LETTRAGE EST MON INSTRUMENT. IL S’APPELLE BREZE »

« H.I.P. ! H.O.P. ! HIP-HOP! » Si la référence vous laisse perplexe, aucun doute : vous avez moins de 35 ans. Un rapide sondage parmi vos aînés vous montrera combien l’émission de Sydney, évangélisateur cathodique au service du dieu hip-hop, a marqué les esprits. C’est une révélation aussi pour Mathias, jeune Morbihannais débarqué à Rennes au seuil de l’adolescence.

« Ça a lancé la mode et à partir de 84, j’étais à fond dans le break et le smurf et je commençais à dessiner des graffitis sur papier ».

Il faudra tout de même le temps de grandir et de se faire la main sur les couloirs du lycée : en 1989, avec MOORE, DENZ, DAZEN et KEONE, c’est la fondation du RCK, le premier crew rennais. Dans une ville aux murs relativement vierges, on cherche ses influences où l’on peut : chez MODE2 notamment, découvert sur la pochette du premier album de NTM. Pour autant : « on commençait tout juste, c’était pas jojo… ».

chromeL’époque des chromes… (c)BREZE

 

UN FRISSON VENU D’AILLEURS

Il faudra, pour passer au niveau supérieur, l’arrivée salutaire d’une seconde équipée venue du dehors et nettement plus aguerrie : « les 35RTM, des mecs arrivés de Lille en 91 avec un niveau bien supérieur. SPECK, SPIE, SHOK… pour beaucoup, ils étaient aux Beaux-arts ». Plus tard encore, d’autres nouveaux venus déclencheront eux aussi une saine émulation : ainsi ROCK, venu en 1996 de banlieue parisienne ou DEZER, trainiste aguerri du 92, débarqué la même année aux Beaux-arts de Rennes.

speck 1992SPECK, 1992 (c)BREZE

Mais il y a d’autres fenêtres ouvertes sur l’extérieur, dans ce monde sans internet : des magazines comme « Intox », ou bien les rencontres faites lors de jams auxquelles on participe dans d’autres villes. Il y a aussi les virées parisiennes : « Au début, on chourait les bombes au Leclerc de Rennes. Plus tard, on grillait souvent le train avec un gros sac, on allait aux Halles acheter des disques et des bombes à Ménilmontant ». Le vol des bombes, de grands noms comme BANDO l’ont défendu comme une philosophie (1). « Nous, c’était pas du tout ça. Simplement, on était démerdards et on n’avait pas le choix. Ce que j’aimais dans le hip-hop c’était le côté « fais-le toi-même », on n’allait pas apprendre ça dans une MJC ».

 

DE LA PULSION VANDALE À LA RECHERCHE ESTHÉTIQUE

C’est qu’il existe une autre école : celle de la rue, du graffiti vandale et du flop posé à l’arrache… Le jeune BREZE le pratique avec modération : « D’abord je dealais pas mal à l’époque, j’avais tout le temps du shit plein les poches alors je faisais gaffe à pas me faire serrer. Il y a aussi que péter son nom partout, quel sens ça a ? Avec le recul, je vois plus trop. Surtout, j’ai tout de suite été attiré par la couleur, le flop m’a toujours paru un pis-aller ».

Restent alors les « terrains », usines désaffectées et souvent disparues depuis, ou même… les murs de la fac : « C’était toléré. À Rennes 2 entre 95 et 98 , il y avait carrément un conseil d’étudiants qui décidait quels graffs devaient être effacés et lesquels conserver. C’était souvent des fresques sur des sujets politiques ou d’actualité, comme l’incendie du Parlement ».

1994facCliquer pour agrandir. Fresque de 1994 sur un mur de Rennes2. (c)BREZE

Dans ces lieux de liberté, BREZE et sa bande transforment progressivement leurs pulsions vandales en quête esthétique. Celle qui, finalement, fait grandir.

 

GRANDIR SOUS LES BOMBES (DE PEINTURE)

Parce qu’il faut bien grandir. « J’ai arrêté mes études en 1990, après avoir raté le bac. J’avais montré mes planches de graff aux Beaux-arts : ils se sont foutus de ma gueule en me parlant de Basquiat et compagnie… C’est con, j’aurais bien aimé faire les Beaux-arts ».

Il faudra faire autre chose, autrement. En 1993, le crew RCK se constitue en association. « On voulait pouvoir voyager, organiser des trucs. On a enfin pu payer les bombes et louer une bagnole pour aller en jam dès qu’on pouvait. C’était vraiment une super période. » Sept ans d’activité soutenue, marqués par l’enthousiasme et les interventions tous azimuts, comme sur la façade des Tontons flingueurs (caf’ conc’ mythique aujourd’hui disparu). En 94, les Transmusicales invitent le RCK à exposer à la Fun House ; ils y font venir des noms prestigieux comme Mist, Ozer, Darco. En 96 une expo est montée au CRIJ, où Mathias est bientôt embauché comme animateur.

DarcoDarco, expo de 1994. (c) BREZE

C’est vers cette époque que, jeune père, il abandonne définitivement le tag vandal. Par ailleurs, depuis 93, les pourparlers sont engagés avec la municipalité Hervé pour définir les conditions d’une pratique légale. Un lent processus de rapprochement qui tarde à porter ses fruits, quand survient un épisode fâcheux…

 

DU « PROCÈS DES TAGUEURS » AUX PREMIERS MURS LEGAUX

« C’était en 1998 à Rennes 2, on avait décidé de refaire une de nos fresques qui datait de 94 et des manifs contre le C.I.P. Pas de chance, on tombe sur une journée portes ouvertes ; on y va quand même. Un type de la direction arrive et menace d’appeler les keufs, ce qu’il finit par faire. On les a attendus tranquillement… »

Pas de surprise : direction le poste de police puis le tribunal correctionnel, avec quelques comparses (ROCK notamment, pour une fresque réalisée sur l’ancienne station d’épuration, route de Lorient). Le « procès des tagueurs », comme on l’appelle, offre à ces derniers une tribune et tourne au vinaigre pour la Ville, puisque le président du tribunal s’étonne lui-même : « Est-ce qu’on ne peut pas considérer que les fresques sont préférables aux murs grisâtres d’une station d’épuration ? »

chapoCoupure Ouest-France 08/09/98. Cliquer pour agrandir

Le procureur a beau faire appel d’un premier jugement trop clément, la position de la municipalité est inconfortable : les prévenus demandaient depuis 1993 des espaces légaux et Mathias est désormais animateur salarié du CRIJ (2), association assurant une mission de service public en étroite relation avec les élus, dont certains prennent en privé le parti des graffeurs. Tandis que le tribunal d’appel confirme des peines de principe (amende de 1500 francs – avec sursis pour BREZE, ferme pour ROCK), la définition d’un modus vivendi, aussi imparfait soit-il, devient inéluctable. Ce procès et d’autres qui suivront, aux peines parfois plus sévères (3), sont le point de départ d’une réflexion qui aboutira en 2002 au dispositif de murs légaux « Graff’ en ville »(4). Mathias participera activement à sa mise en place.

 

DEVENIR PRO : CRÉATION DE LA GRAFFITEAM

Ces efforts constants pour défendre la cause du graff au grand jour finissent donc par payer. Fondée en 1998, la Graffiteam prend la suite de l’association RCK et affiche des ambitions professionnelles. BREZE et les 5 autres membres fondateurs (5) décrocheront en 2000 ce qui sera leur vitrine et le point de départ de leur activité : « On voulait le mur du Colombier pour montrer aux Rennais ce que pouvait être le graffiti en invitant des artistes européens, des gens balaises, histoire de monter le niveau. Le mur, c’est la SNCF qui nous l’a donné. La ville l’a nettoyé ; elle nous a accordé 30 000 francs au titre des « festivités de l’an 2000 », soit la moitié du budget. Le reste, on l’a trouvé avec des sponsors ».


Sujet France3 sur la fresque du Colombier. C’est à la fin que tout dérape…

En plus des RCK, on retrouve sur cette fresque longue de 150m de nombreux invités venus de Paris, de Toulouse, de Grèce ou de Belgique (6). « C’était une belle réussite d’obtenir quelque chose d’à peu près homogène sur une telle distance. Par le biais de ce mur, on a eu pas mal de commandes ». En 2002, pour consacrer tout son temps à y répondre, Mathias quitte définitivement le CRIJ.

 

NOM DE CODE : « THE WALL »

Et depuis ? Il faut bien le reconnaître, l’enthousiasme est un peu retombé. « L’inconvénient de passer pro, c’est qu’à force de répondre à des commandes tu finis par faire tout et n’importe quoi. J’ai des enfants, je suis obligé de faire un peu d’alimentaire. Pour le boulot je fais essentiellement de l’illustration, très peu de graffiti. Ça reste un loisir, quand j’ai le temps ».

Si l’exercice est moins libre qu’autrefois du fait des commanditaires qui, quand ils n’imposent pas les tons, excluent quasi-systématiquement les lettrages, BREZE marque encore durablement l’espace rennais. Présent sur la fresque « 1968-2008 » de Cleunay, on le retrouve également au parc des Gayeulles (7), au street park du boulevard de la TA (8), aux Ateliers du vent (9) ou dans deux porches de la rue Saint-Hélier, dont celui-ci :

st helier mai 2010st helierbDeux murs se faisant face dans le porche d’entrée du 36, rue Saint-Hélier. Réalisés en 2010 dans un esprit Art nouveau, façon Alfons Mucha

Et pour le reste ? Perdu pour le graff et rangé des affaires, BREZE ? Pas sûr…

L’homme prépare son retour avec un projet de grand festival graffiti à Rennes. « L’objectif, c’est de refaire le mur du Colombier et quelques autres avec des graffeurs internationaux qui correspondent à ce qui se fait de plus intéressant actuellement. Je ne peux pas trop donner de noms mais ils viendront de toute l’Europe, peut-être même de plus loin. Il s’agit de voir où en est le graffiti aujourd’hui. L’éventail des styles s’est élargi, les gens ont des démarches plus pointues, plus abstraites ; plus verticales aussi, avec un travail sur les murs pignons ».

La date ? Rentrée 2013. Le nom de code (provisoire) ? « The Wall ».

 

 

1Rockadeo2adeosozyseth3deserboule4jabaioye5densreso6brezekeone (2)Fresque Aerosoul2039, mur du Colombier, 2000. Cliquer pour agrandir. (c)BREZE

NOTES :

(1) BANDO, alias Philippe Lehman. Voir le film de Marc-aurèle Vecchione, Writers, 20 ans de graffiti à Paris, 2004
(2) Centre Régional Information Jeunesse
(3) ex : 40 000 € pour KODAK en 2003
(4) Récemment renommé R.U.E. (Réseau Urbain d’Expression)
(5) KEONE, MOORE, DEZER, DENZ et DAZEN
(6) Sur cette fresque intitulée « Aerosoul2039 », toujours visible mais abimée, apparaissent JABA (Belgique), PEE GONZALES (Belgique), IOVE (Grèce), RESO (Toulouse), DIZE, BEARS, TWOROD, ADEO, SETH et JUNKY (Paris), ROCK, DEZER, DENZ, MOORE, BREZE et KOOL KE (Rennes)
(7) avec DENZ, EGO et MOORE
(8) avec POCH
(9) avec POCH et MOORE

7 commentaires sur “Street Art : BREZE, aux sources du graffiti rennais

  1. Dolce

    Graffeurs parisien, pas mal present, j’ai eu le regret de me faire interpeller en 2011 avec la modic somme de 50 000e d’amende… Tres souvent de passage a rennes, j’aurai aimer savoir si une invitation etait possible car c’est un mur hostorique pour mois et y appsser mon blaze ou rien que mon equipe le CES farait tres plaizir.

  2. kozbi show

    bonsoir,

    breze est le seul graffeur de rennes je crois, le premier, le dernier
    un resistant,
    quel homme ! s’autoclame « grand frere du graff rennais »
    le seul aussi a faire des commandes,
    il aime la mairie, et la mairie l’aime bien

    avant lui rien n’existait, et après lui rien se sera !
    il reste malgré tout le seul graffeur à ma connaissance a denigré le tag
    a pretendre ds les mjc et autre structures sponsorizées » » que le tag ne fait pas partis du graffiti
    bla bla bla
    souvient toi , la maison verte, fabienne, et la rousse…,

    aujourd’hui breze affiche sa pseudo jeunesse « vandal » qu’il refutait autrefois
    le vent tourne

    mais au fond on sen fou
    ya plus grave aujourd’hui ils dispersent les regards des français avec leurs mariage gay

    pendant qui partent coloniser le mali
    pretextant combattre des terroristes.

    peut etre que matias va nous en faire une fresque ?

  3. brez

    Salut Kozbishow,

    Tout d’abords merci de m’avoir honoré de ta lecture, parfait inconnu, je ne suis pas du tout surpris de l’importance que tu me portes.
    Je vois que mes propos peuvent être interprétés, donc même si j’ai autre chose a faire, je vais quand même ajouter quelques précisions afin qu’il n’y ai pas de doute.

    En premier lieu, je ne m’autoproclame pas grand frère de rien du tout, a part de mes petits frères, tu fais référence a un article du Rennais, et je ne suis pas journaliste au Rennais, dois je te préciser que je ne suis pas l’auteur de cet article mais seulement le sujet.

    Je ne dénigres pas le tag, je donnes mon avis sur ma propre pratique, ça n’engages personne d’autre que moi, d’autres on un autre avis, ça les regarde, j’aime les beau tags, j’adore les beau throwup, mais je n’ai jamais été un bon tagueur, et je n’ai jamais fait de throwup magnifique, donc je m’abstient. J’ai un regard esthétique par rapport au graffiti, et c’est MON regards, chacun le sien.

    Si je me suis posé des questions sur l’utilité de ma démarche lorsque je taguait, c’est parfaitement légitime, a part le plaisir égoïste que j’en retirait, je ne voyais pas vraiment mon utilité dans la société, c’est MON point de vue, rien de plus, car il s’agit de MOI.

    Je n’ai jamais prétendu que le tag ne faisait pas partis du graffiti, mais que dessiner le contours des lettres ou les calligraphier ce n’est pas la même chose, techniquement… parfois on n’entends que ce que l’on veux entendre.

    Une dernière fois, quand quelqu’un est interviewé, il parle en son nom, le graffiti n’est pas une entité, c’est la somme d’individus dont les points de vue varient, je ne parles jamais au nom des autres, je ne suis pas la voix du graffiti Rennais, je ne représente que moi même.

    merci a kozbishow pour m’avoir permis de préciser mon point de vue.

  4. ILLUMINATI DU GRAFF

    TU PARLES D UN POINT DE VUE
    GENRE TA PAS ASSEZ D ESPACE DEXPRESSION MA PAUVRE ?

    Y EN A MARRE DES ARTISTES SPONSORISES PAR BABYLONE

    APRES LE JEU DE SOCIETEE BREZE ET LES MUGG BREZE BIENTOT LES STING BREZE ??

    SI AU MOIN TU AVAIS DU TALENT FRERO
    TES LETTREAGES SONT DE PLUS EN PLUS CATASTROPHIQUE

    PS : OUBLI PAS LA PETITE PIRAMYDE
    TU SAIS LE CLUB AIME CA

  5. Doku

    Salut je suis de l île de la réunion j ai découvert vos graff j adore ça m encourage de continuer à faire mes graff sans lâcher l affaire big up les gars

  6. Shendo

    Pardon, mais Brez élude toute le reste de la scène graffiti de Rennes. Les premiers ce furent les TMA (Kero, Siase, Fly, etc…) du quartier La Touche. Ils avaient déjà pété les voies ferrées quand Brez rencontrait Spek. Aucun mot sur Goover, membre du crew de Brez, NSP/RCK. Un pur tagueur, sans doute l’un des meilleurs qu’ait connu Rennes. Et puis il « oublie » tous les graffiteurs de Rennes qui ont prêté leur concours aux animations du Crij/Cijb auxquelles Brez les avait invité à participer. La première fresque autorisée, boulevard du colombier, fut peinte par mon crew DB, MAB crew, et Moore (Rck !). Brez n’a pas voulu s’y joindre contre toute attente. Merci de publier, merci aux journalistes d’alter1fo.

  7. Tof

    Merci pour vos mémoires…
    Il ne faut pas oublier la naissance du nom RCK, un certain soir sous un préau: keone moore jc, nomad et tof du possee City King groupe de danse hiphop fondé en sup zud de Rennes ). Comme vous l avez compris il manquait le R de Rennes lancé par ke one à l’époque pour finir sur la belle touche du RENNES CITY KING. Un an après arrivé du Nous Sommes Partout NSP, même Association composée de plusieurs activistes du tag de Rennes de Sup Zud à Villegean
    J espère faire plaisir avec les petits détails.

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires