La ville de Rennes, en partenariat avec le bailleur social Archipel Habitat, a lancé un appel à création d’une fresque sur le mur d’un immeuble de la rue de Saint-Malo. Et puis… malgré la centaine de candidatures locales, nationales, parfois même venant d’outre-Atlantique, c’est encore WAR!, l’homme à la perche télescopique le plus célèbre de la région, qui a remporté la mise.
Oui, oui… notre ton est légèrement taquin, car nous espérions la victoire d’un·e artiste moins connu·e par ici, à l’univers singulier, capable de proposer une approche différente du muralisme. Le comité artistique en a décidé autrement, tant pis pour nous, tant mieux pour les autres.
Sur le podium, le garçon devance d’un poil de pinceau la canadienne Annie Hamel, et le Français Zoër. Dans ce concours, ce dernier s’est fait accompagner par le collectif nantais Plus de couleurs. Et pour cause ! Répondre à une commande publique peut s’avérer complexe et fort barbant ; l’administration ne rimant généralement pas avec création. L’occasion était donc toute trouvée pour nous d’en savoir plus sur l’envers du décor d’un appel à projet.
Interview de Sarah, chargée de production et de communication à Plus de couleurs !
►► Alter1fo : Bonjour Sarah, pouvez-vous nous présenter votre collectif ?
Sarah : Plus de couleurs s’est donné comme objectif de démocratiser l’art urbain et ses diverses pratiques Nous sommes basés à Nantes, et avons un réseau régional et national d’acteurs. En fonction des projets, nous pouvons faire appel aux artistes de notre collectif, ou bien à d’autres, si nous estimons qu’ils sont plus pertinents. Nous organisons des festivals autour de l’art urbain, mettons en place des fresques participatives, proposons des visites guidées autour des fresques de l’île de Nantes. Nous travaillons également sur la transmission en allant à la rencontre des élèves dans les écoles et collèges. Enfin, nous gérons le MUR de Nantes, un peu comme celui qui existe à Rennes, rue Vasselot.
►► En plus de vos nombreuses activités, vous menez également une action moins connue du grand public…
Oui, depuis plus d’un an, on propose aux artistes de candidater pour eux à des appels à projet. On le fait, car nous savons toute la difficulté à y répondre. C’est chronophage, et un peu prise de tête à cause des démarches administratives. Beaucoup y renoncent justement à cause de ces contraintes. Du coup, notre collectif gère la partie « montage-de-dossiers » afin que l’artiste puisse se focaliser uniquement sur sa partie, c’est à dire, la création, et l’artistique. C’est dans ce cadre-là que nous avons postulé à l’appel à projet de la ville de rennes.
►► Alter1fo : Concrètement, comment cela s’est passé ?
Tout projet ne correspondra pas à tous les artistes. Il y a énormément de critères qui rentrent en jeu. Nous réfléchissions à une véritable cohérence par rapport à chaque situation donnée. Le cahier des charges de Rennes était précis, et assez vite avec l’équipe, nous avons contacté les artistes qu’on estimait les plus pertinents. En l’occurrence, ZOËR et ROUGE HARTLEY.
►► Dans le descriptif de l’appel à création, le champ lexical de la nature est très présent. Cela a-t-il joué dans votre choix ?
En effet ! L’écologie et la préservation de la biodiversité sont deux thèmes très inspirants et importants pour ces deux artistes. ZOËR, par exemple, met régulièrement en avant l’impact de l’industrie sur la nature. Mais au-delà de cela, tout a son importance : l’environnement urbain, le fait qu’un fleuriste se trouve juste en dessous de la fresque, que le mur soit situé à l’entrée du centre-ville…
Pour être honnête, nous savons aussi qu’une ville qui se lance dans un tel projet attend en retour de la visibilité. Disons que c’est du gagnant-gagnant. L’art urbain a le vent en poupe chez les élus et les institutions car ces derniers savent parfaitement que cela est devenu un atout touristique, un attrait moderne à la ville. Cela va donc jouer sur le choix des artistes, irrémédiablement.
NDLR : Nul doute que cette fresque sera rapidement intégrée dans le parcours « street-art » proposé à 7€20 par Destination Rennes et l’Office du Tourisme.
►► On imagine que tout le monde n’est pas capable de réaliser une fresque sur une surface de 225 m²…
Et oui, il fallait proposer des artistes qui ont « de la bouteille », capables de réaliser une œuvre gigantesque en cinq jours, avec une solide expérience de travailler en hauteur, dans une nacelle.
►► La ville dit avoir reçu près d’une centaine de réponses suite à son appel. Est-ce la norme habituelle ?
Clairement pas, c’est même rare qu’il y en ait autant. Cela s’explique parce que la ville a bien fait les choses en donnant du temps pour candidater, et surtout de l’argent. L’appel à projet était très bien budgété, près de 25 000 € en tout. Cela n’arrive pas toujours, malheureusement. C’est même souvent le contraire. La ville a été très respectueuse des artistes, en donnant par exemple, une compensation financière pour les artistes placés en 2ème et 3ème position (700 € chacun).
►► Comment avez-vous vécu l’annonce du résultat, puisque, sans vilain jeu de mots, vous avez perdu une bataille contre War !
On le sait d’expérience, les appels à projets sont très frustrants car on n’en gagne finalement que 10 %. Je suis déçue, cela s’est joué à pas grand-chose. Mais je reste contente de voir que nos deux artistes ZOËR et ROUGE ont terminé finaliste et demi-finaliste. C’est bien la preuve que le jury a été attentif à nos propositions. C’est encourageant pour la suite. Personnellement, je trouve juste dommage que la ville n’ait pas été un peu plus loin dans sa volonté de mettre plus en avant le travail des femmes. Dans le vivier des dossiers réceptionnés, il y avait clairement des artistes-femmes largement capable de réaliser de très belles choses !
Tous les articles sur la fresque de la rue de Saint-Malo
- [Fresque murale rue de Saint-Malo] [4] : « Mon projet aurait pu être pris comme un pied de nez » (Mardi Noir)
- [Fresque murale rue de Saint-Malo] [3] : « Un appel à projets mal conçu génère un gaspillage de créativité » (Mathieu Tremblin)
- [Fresque murale rue de Saint-Malo] [2] : Présentation de l’artiste peintre Annie Hamel, finaliste.
- [Fresque murale rue de Saint-Malo] [1] : Le collectif « Plus de couleurs » accompagne les artistes dans leurs démarches
LIRE : Appel à création 59 rue de St Malo 35000 Rennes_