Rencontre avec WAR

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Rocade Ouest, 2011. Repassé par War depuis. Crédit : Stick, http://expotempo.blogspot.fr/

Sonnerie de téléphone. « Salut, c’est War. »

War, le poisson mythique du terroir rennais, le calmar géant des eaux troubles de la Vilaine. Cela fait trois ans que ses peintures monumentales sont apparues sur les murs de la ville. Un an déjà qu’on le cherche, sans rien trouver d’autre que des gars-qui-connaissent-War, ou des gars-qui-connaissent-des-gars-qui-connaissent-War ; mais personne pour nous donner son nom. Un intermédiaire serviable avait daigné lui faire savoir qu’on voulait le rencontrer : il réfléchissait, nous avait-on dit. Une réflexion interminable…

On l’a donc relancé plus directement il y a quelque semaines, après qu’une personne bien intentionnée nous a refilé le tuyau au comptoir d’un bar. D’où quelques jours plus tard ce coup de fil, puis ce rencard.

Alter1fo a rencontré War.

 

« Ceux qui savent doivent se taire »

Qui il est et ce qu’il fait le jour : on ne peut pas le dire et c’est bien dommage, ça en surprendrait plus d’un. Seulement voilà, War peint sans autorisation sur des murs qui ne lui appartiennent pas, ce qui – faut-il le rappeler – n’est pas précisément légal. Sortant la nuit, peignant à la lumière de la ville ou à celle de la Lune, et toujours clean – « ne jamais transgresser plus d’une loi à la fois » – : les règles de base de l’artiste vandale, il se les applique à la lettre.

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Boulevard de Chézy, 2012. Crédit : Stick, http://expotempo.blogspot.fr/

Mais War a beau faire preuve d’une prudence de chat, il sait que tout ne dépend pas de lui : « Il y a des gens qui savent, autour de moi. Certains peuvent prendre ça à la légère, je dois le leur rappeler sans cesse : les risques que je prends sont réels, ce n’est pas un jeu, ça peut se terminer par une grosse amende ».

 

Le panache du vandale

On pourrait cependant objecter que les arts muraux semblent être entrés dans une nouvelle ère à Rennes ; qu’entre les murs légaux du dispositif R.U.E. et des événements comme Teenage Kicks, l’intervention sauvage n’est peut-être plus d’une nécessité absolue.

« Ce sont deux démarches différentes. Elles peuvent coexister, ça ne me pose pas de problème. Mais je viens du graffiti. Et la pureté de cette pratique, son origine, c’est le sauvage : c’est la liberté de s’exprimer où l’on veut ».

S’il fait sienne cette éthique libertaire commune au monde du graffiti, chacune des pièces de War sonne pourtant comme un défi lancé à ses pairs : plus grandes, plus hautes, leur apparition donne soudain au nuage de tags qu’elles surplombent l’allure peu accorte d’un marais. Sur lequel, parfois, une fleur qu’il sème peut éclore…

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Rue Saint-Hélier, 2012. Crédit : Stick, http://expotempo.blogspot.fr/ 

« Ce que je fais est plutôt respecté à Rennes. Il y a juste un mec qui m’a fait une petite guéguerre un moment sur la rocade, en repassant mes pièces à moitié. Je revenais derrière, je refaisais le truc en deux fois plus gros… ».

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Porte des Long Champs, 2011. Crédit : Stick, http://expotempo.blogspot.fr/

Au-delà des façons de faire plus ou moins cordiales, il y a là un jeu dont War accepte les règles. « C’est ça, le graffiti : c’est à celui qui prendra le plus d’espace, les murs les plus grands, les plus risqués, pour faire les choses les plus belles et les plus osées. Il y a une compétition dans le graffiti, ça c’est clair. J’ai un côté compétiteur, c’est par ce biais là que je m’adresse aux graffeurs, pour leur dire : ‘Vous voulez faire du vandale ? Faites-le bien !‘. C’est pour aller au bout de la chose, sortir du lot, exploiter les surfaces urbaines le mieux possible. Sur un grand mur, ça ne marche pas de faire un petit machin à la bombe en bas à droite. Donc on développe d’autres outils pour exploiter correctement les murs ».

Est-ce pour cela qu’on ne voit pas War s’adonner à la pratique du lettrage, discipline privilégiée de la plupart de ses pairs ?

 

Rendre les murs aux gens

Ce n’est pas la seule raison. « Quand je m’approprie des espaces, c’est aussi pour les rendre aux gens. Ce que je fais, je veux que ça parle aux graffeurs, mais pas seulement : j’essaie de toucher tout le monde. Or le lettrage, c’est une esthétique assez hermétique à ceux qui ne le pratiquent pas (…) ».

Peinture vandale, service d’utilité publique ? « Comme issu du monde du graffiti, je considère que nous sommes des gens qui aimons la ville ; on la connaît bien, on veut la rendre plus belle, pas la dégrader ».

Même s’il intervient aussi à Redon, Lorient ou Vannes, même s’il n’exclut pas de se choisir un jour des terrains de jeu plus lointains, War a choisi de s’installer à Rennes ; c’est à cette ville qu’il s’adresse en premier lieu.

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Boulevard Villebois-Mareuil, 2013. Crédit : Stick, http://expotempo.blogspot.fr/ 

« C’est une ville que j’aime. J’y suis venu pour sa réputation d’endroit assez agréable, je m’en suis imprégné, j’ai eu envie d’y prendre ma place d’artiste ». Attend-il des édiles rennais une politique particulière de promotion de la pratique libre, ou de protection des œuvres, ou encore de médiation avec les particuliers ? « Il faut qu’il y ait une tolérance à l’égard de ce qui n’est pas réglementé, qu’on ne tombe pas dans une répression démesurée. Mais pour l’instant, ça semble être le cas : à Rennes, c’est plutôt calme… »

Rien de plus que la liberté, donc ; mais rien de moins. L’œuvre de War réside dans l’acte -téméraire et subversif- au moins autant que dans le résultat visuel.

 

Les influences de WAR

C’est pourquoi, quand on tente un rapprochement entre son travail et celui de l’artiste belge Roa, il nous oppose une différence fondamentale dans la démarche :

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Roa, NYC-Brooklyn, 2013

« Je connais ce qu’il fait, il n’est pas exclu que cela m’ait influencé inconsciemment. Mais l’approche n’est pas du tout la même. Roa, le plus souvent, peint sur des murs autorisés. Quand on regarde une œuvre vandale, si on la compare à un travail légal, on peut trouver qu’elle est approximative, imparfaite techniquement. En fait, les deux n’ont rien à voir : toute la préparation de la chose, toute la démarche est différente ».

Rien n’illustre mieux cette façon de penser que le récent clin d’oeil de War au festival graffiti rennais Teenage Kicks. L’artiste espagnol Aryz y était invité à peindre sur un mur situé face aux lignes de chemin de fer. Ce mur, les Rennais le désignaient depuis quelques temps par « le train-train quotidien », reprenant les mots que War y avait tracé d’une écriture gigantesque ornée de coulures. La phrase a aujourd’hui disparu sous les autruches monumentales de l’Espagnol. Aux majestueux volatiles, War répond alors avec ses moyens de peintre vandale : il leur oppose, quelques mètres plus loin, trois fiers coucous de Rennes…

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Allée Ferdinand, 2013. Crédit : Stick, http://expotempo.blogspot.fr/ 

Ainsi pour lui, c ‘est la démarche qui prime. Il cite Bob Marley, dont une chanson lui a inspiré son nom d’artiste : «J’aimais bien son côté rebelle, son message ». Il évoque aussi Banksy : « l’aspect technique est anecdotique chez lui : il n’y a rien d’extraordinaire techniquement. La seule chose importante, c’est de faire la bonne peinture au bon endroit, au bon moment. Il y a aussi la pureté de la démarche, le propos. J’aime notamment ce qu’il dit sur le marché de l’art, les mécanismes absurdes qui font que tel ou tel artiste s’y voit reconnaître de la valeur. Le fait que ce soit un échec, pour un graffeur, de réussir commercialement ».

Banksy
 Banksy, Boston

Il nous parle surtout de Bonom, un incroyable artiste bruxellois adepte du muralisme sauvage et des façades peintes en rappel au beau milieu de la nuit. (Bonom, alias Vincent Glowinski, a cessé son activité illégale depuis son interpellation par la police bruxelloise en 2010 et travaille désormais au grand jour).

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Bonom, Paris

« Il est vraiment libre dans le premier tracé, il n’est pas bridé par une volonté de réalisme. J’aimerais être aussi spontané que lui dans le premier jet… »

 

Les ficelles du métier

On n’en obtiendra guère plus sur les aspects techniques de son travail : il trouve manifestement le sujet trivial, inintéressant. On tente, pour le rendre plus disert, de lui faire commenter quelques-unes de ses œuvres :

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Plaine de Baud, 2011. Crédit : Stick, http://expotempo.blogspot.fr/ 

Comment peindre aussi haut, aussi grand ?
-« Il y avait un vieux car garé juste en bas du bâtiment, j’étais perché dessus. Dans ces cas-là on ne peut pas trop prendre de recul pour voir ce que ça donne de loin ».

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Canal Saint-Martin, 2012. Crédit : Stick, http://expotempo.blogspot.fr/ 

Pourquoi cette série de poissons ?
-« J’ai pas trop réfléchi au début, c’est venu comme ça. Je me disais que ce ne serait pas trop compliqué. C’était histoire de trouver quelque chose, pour commencer. Et puis une fois que t’es lancé…

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Pont rocade ouest, 2013. Crédit : Stick, http://expotempo.blogspot.fr/

Une barque pour peindre ?
-« Non non, j’étais dans la flotte, j’en avais jusqu’à la taille. Mes pots de peinture étaient sur le bord ».

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Gare, 2012. Crédit : Stick, http://expotempo.blogspot.fr/ 

Combien de temps pour une pièce?
-« Ça peut me prendre un quart d’heure ou six heures. Pour celle-ci, j’ai dû mettre une heure ou deux ».

 

Rester WAR

Quelles sont les perspectives pour War ? L’anonymat sera-t-il longtemps tenable ?
« J’espère qu’il durera toujours, je fais tout pour ça. Je n’attends aucun bénéfice de ce travail, de toute façon : ce que je fais n’a pas de prix, dans tous les sens du terme. Quand je suis War je suis maître de tous les paramètres, je n’ai pas à m’inquiéter des questions financières ou de trucs comme ça… »

Et si, malgré cela, le masque devait tomber ? « Si je me faisais choper, je me défendrais avec les moyens que j’ai, j’essaierais de jouer sur l’opinion publique ». Bosser à visage découvert ? « Quand on découvre qui t’es, il y a une magie qui tombe. Ça va quand même, mais on passe à autre chose… »

Tourner la page War ? On n’est pas pressé.

 

 

Merci à War de nous avoir réservé la primeur de cette vidéo, tournée récemment sur le bâtiment K3 de l’ancienne base sous-marine de Lorient. On peut désormais lui écrire sur cette adresse mail (réponse non garantie) : warindawest[at]yahoo.fr

L’intégralité des photos d’œuvres de War présentées dans cet article sont issues de l’excellent blog expotempo.blogspot.com , incontournable pour les amateurs rennais de street art. Merci à son propriétaire, Stick, pour l’impressionnant travail de collectage réalisé depuis 3 ans.

Cet article a été relu par War avant publication, conformément aux conditions établies avant sa rédaction.

12 commentaires sur “Rencontre avec WAR

  1. Gardan

    Merci pour ce travail de « collectage ». Toujours fascinée par ses oeuvres. Pour moi, c’est le vrai rôle de l’artiste: enchanter le quotidien. Et il le fait parfaitement bien.

  2. Mr B

    Bravo war, merci pour tes œuvres…

  3. Miss Alphonse

    Merci, j’ai commencé à photographier également ses « parenthèses graphiques »…

  4. Julie

    excellent !!! par contre ça fait tomber un peu le mythe; je croyais que WAR était pour Woman Art Revolution 🙁
    j’avais moi aussi commencé une ‘tite collection de photos, j’adore déambuler en ville et prendre les traces de ces peintres des rues et des murs..
    démarche très intéressante, tout à fait dans l’esprit du graff’ avec un graphisme étonnant !!! Bravo !!!

  5. ZZZZZZZZZZZ

    La typo War en rouleau noir est vraiment mortelle, elle interpelle à chaque fois, bien placé là où on l’attend pas. Dommage qu’il y ait d’autres mots écrits parfois, que ça devienne du graffiti banal avec ses codes.. quelle utilité de mettre la date, d’écrire autre choses que ce que c’est ?
    Quelle utilité de reprendre des bestiaires d’animaux déjà fait, vu, revu et surtout maitrisé par d’autres à la perfection (je parle de Bonom surtout là)? Je comprends pas du tout, on dirait que tu t’es égaré de ton message initial pour proposer des animaux aseptisés tout mignon..
    « War » se suffisait à lui même, c’était plein de sens, ça développait une image, là ça devient juste un dessin de plus, comme une pub finalement.

  6. MathGon

    En effet, on sent bien l’influence de Roa. Bravo pour cette archivage des murs qui parlent et pour le titre de paragraphe « rendre les murs aux gens ».

  7. Aelim

    Merci pour ces peintures superbes!!! Elles touchent autant les jeunes que les plus vieux…

  8. Dave Wire

    Salut à tous, cet artiste m’a également interpellé et si ça vous dit je lui ai consacré un album sur mon flickr de tous ceux que j’ai pu réunir 🙂 #Enjoy http://www.flickr.com/photos/davewire/sets/72157632464389338/

  9. François

    Bonjour,
    Voici une vidéo réalisée dans le cadre d’un projet d’arts plastiques à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne. Elle est orientée sur le street art à Rennes et plus particulièrement sur le travail de l’artiste WAR.
    Si vous le voulez, n’hésitez pas à partager !
    http://www.youtube.com/watch?v=tB_U-KvvX8s

  10. "bubba"

    LZN support WAR!

  11. Jill

    Et comment on fait quand on a aucune idée de comment et qu’on voudrait le/ la rencontrer?!

  12. MOIGNE HERVE

    Juste après ces évènements je souhaiterais une de vos réalisations afin d’égailler mon quartier.
    ILs viennent de faire un très beau rond de 5m de diamètre en peinture blanche sur la route en plein carrefour ou il y a le café la Rotonde et l ‘agence LE stratt ,dans le quartier de rochebonne ;à l’intersection du boulevard de rochebonne,boulevard de Kennedy,boulevard de Chateaubriand à 150m du café de la Caravelle qui donne sur la mer.Tout près de la plage de rochebonne là ou j’habite.Commune de Paramé .
    Je vous propose un bon repas face à la mer quand vous voudrez
    Souhaitant bonne réception
    HERVE MOIGNE
    J AURAIS ENVIE D’UN GENRE PEACE AND LOVE car je suis de cette génération homme 64ans

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