La ville de Rennes, en partenariat avec le bailleur social Archipel Habitat, a lancé un appel à création d’une fresque sur le mur d’un immeuble de la rue de Saint-Malo. Et puis, malgré la centaine de candidatures locales, nationales, parfois même venant d’outre-Atlantique, c’est encore WAR!, l’homme à la perche télescopique le plus célèbre de l’ouest, qui a remporté la mise. Oui, oui… notre ton est légèrement taquin, car nous espérions la victoire d’un·e artiste moins connu·e par ici, à l’univers singulier, capable de proposer une approche différente du muralisme. Le comité artistique en a décidé autrement, tant pis pour nous, tant mieux pour les autres.
L’inimitable et talentueux Arzhel Prioul aka Mardi Noir (artiste chouchou de la rédaction, NDLR) n’a pas postulé pour cause d’agenda surchargé… Et pourtant, il avait une chouette idée à proposer. La meilleure, peut-être ? À vous de juger.
►► Bonjour Arzhel ! Comment te tiens-tu informé des appels à projets qui ont cours ?
Certains sont publics, et publiés dans quelques journaux locaux. Il est donc facile de les repérer. Sinon, je suis dans différentes boucles d’échanges qui en font l’écho régulièrement.
►► Quelle a été ta réaction en apprenant l’existence de l’appel à projets pour la création d’une fresque sur l’immeuble situé rue de Saint-Malo ?
J’ai tout d’abord téléchargé, et consulté le dossier, par curiosité. Je me suis ensuite rendu sur place. Enfin, j’ai visualisé via l‘application Google Street View (un service de navigation virtuelle, NDLR) l’évolution de la façade au cours de ces dernières années. Ce mur, et précisément cette large bande de 3 mètres de hauteur au-dessus du magasin de fleurs, est connu pour être un spot prisé et apprécié par les tagueurs, les graffeurs, etc.
►► Est-ce que ces recherches t’ont inspiré ?
L’ensemble des photos disponibles depuis 2008 sur Google Street View crée un patchwork intéressant, une sorte de chronologie du graffiti à Rennes. On redécouvre pleins de vieux graffs « old-school », comme ceux de JOBAR qui est plutôt de l’ancienne école, ou ceux d’OFET avec ses chromes un peu plus léchés. Les derniers graffs sont issus de la nouvelle génération qui sévit sur Rennes. On y retrouve notamment OPUR (cf. OPUR sur les murs, NDLR)
►► Mathieu Tremblin évoquait avec des termes très flatteurs ton projet. Peux-tu nous le décrire, car cela nous a forcément rendu curieux ?
C’est assez simple. Je voulais créer une fresque historique en affichant l’ensemble des graffitis apparus au fil des ans sur cette bande de 3 mètres. Il faut imaginer une dizaine de couches constitutives sur la façade sur lesquelles on aurait repeint à l’identique tous les anciens graffs.
Au sommet, sur la partie haute du mur, j’aurais placé les plus anciens, et vers le bas, les plus récents. Enfin, les derniers 3 mètres auraient été laissés vierges afin de représenter le « futur », puisque je savais pertinemment qu’ils seraient, un jour ou l’autre, recouverts.
Dans l’idéal, j’imaginais retrouver les contacts des différentes personnes pour les convaincre de venir elles-mêmes reproduire leurs propres graffs.
►► Ce n’est pas un secret. Le bas du mur étant régulièrement la cible de tags, cet appel à projets a surtout pour but de freiner leurs apparitions. La commande publique souhaitait même qu’un vernis anti tag soit apposé sur la partie basse du pignon. Ta proposition va donc à l’inverse de l’effet recherché ?
Effectivement. Même si ce n’était clairement pas mon intention, mon projet aurait pu être pris comme un pied de nez par le jury. Et pour cause ! Celui-ci est composé de résidents de l’immeuble, d’habitants et de commerçants du quartier. Tous sont les premiers concernés par la nouvelle fresque, car ils la verront tous les jours. Elle fera partie de leur quotidien. C’est donc logique, et compréhensible d’en choisir une qui « enjolive » ou « rend agréable » leur environnement proche. Cela étant, rien n’empêchait d’expliquer ma démarche, mais encore fallait-il que je me porte candidat.
►► Redessiner les anciens graffitis, comme tu le suggères, avait l’avantage précieux d’accompagner l’arrivée des nouveaux ?
Effectivement. Les nouveaux graffitis auraient été beaucoup mieux intégrés à l’ensemble.
►► Mais du coup, on ne le saura jamais puisque tu as renoncé à candidater. Par flemme ?
Déposer un dossier est certes plaisant à faire, mais aussi très chronophage. Mon agenda à cette période ne me permettait pas d’être sur tous les fronts. Et pourtant, j’aime à dire qu’en tant qu’artiste, je suis en perpétuelle recherche d’emploi. Une prochaine fois, peut-être !
►► WAR! remporte la mise. Quelle a été ta réaction ?
WAR! pratique le muralisme grand format depuis assez longtemps, que ce soit à Rennes ou ailleurs, pour asseoir une vraie légitimité à repeindre ce mur.
►► Comment as-tu perçu le recouvrement de la fresque quelques jours seulement après qu’elle soit terminée ?
À propos de ce qu’« on » appelle communément « dégradation », je trouve que cela fonctionnait plutôt bien. Derrière ces flammes noires et sombres, plaquées à l’extincteur, faisant disparaître le tronc du séquoia, on peut y voir la métaphore d’une forêt qui brûle ; vision apocalyptique d’un avenir proche. Ces questions autour de la nature, et des problématiques environnementales sont des thèmes récurrents dans la pratique et dans le travail de WAR!. Et si c’était lui, l’auteur de cette couche de peinture noire ?
►► La question se pose en effet, mais alors pourquoi l’artiste serait-il venu aussi vite rattraper le coup ?
Est-ce que les habitants, ou les commanditaires ont insisté pour qu’il revienne repasser à son tour ? C’est une possibilité. En pleine saison touristique, alors que les visites guidées et tarifées sur le street-art se multiplient à Rennes, et que tout le monde n’a pas eu le temps d’instagrammer l’œuvre, ce vandale est sans doute apparu trop tôt, trop vite. Ce n’est peut-être que partie remise (rires….).
►► Ne pourrait-on pas envisager que cette bande de 3 mètres appartienne à tout le monde comme à personne ?
Franchement, ce n’est pas parce que, aujourd’hui, la fresque de WAR! trône sur la façade de l’immeuble que cela empêchera une personne motivée de remonter sur le petit terreplein, qui sert de toit au fleuriste, pour aller graffer de nouveau. Et puis après ? Ce ne serait pas si grave ! Jamais, on ne réussira à dépasser la cime de ce séquoia géant… à moins de louer une nacelle, en pleine nuit, bien sûr (rires…)
►► Merci beaucoup !
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