Art mural: Les RA sont dans la ville

Ces gens-là, quand ils peignent, ont l’air de gosses qui construisent des cabanes. Les regarder faire, c’est revenir à cet âge où quelques planches, un chêne et deux branches basses suffisent à se lancer dans une construction fragile, inutile et cruciale.

Joe Popi, Mya, K.cendre et Mimo : les quatre membres du crew RA n’ont rien perdu de l’énergie juvénile et de l’effervescence joyeuse des bâtisseurs en culottes courtes. Les voir opérer est un spectacle étonnant, les entendre en parler une expérience des plus rafraîchissante. Rencontre.

NOTRE-DAME DE LA COURROUZE

Jupe vulve poulpe

Cette veine qu’on a, des fois. C’est en se baladant dans les friches de la Courrouze qu’on est tombé sur 3 des 4 hurluberlus, accompagnés d’une amie, en pleine réalisation de cette pièce décadente et bigarrée. L’équilibre de la composition laisserait croire à un crime longuement prémédité, mais pas du tout : les constructeurs de cabanes ne s’embarrassent pas de plans d’architecte. Tout est beaucoup plus simple :

Joe : « Avec Mya, on avait prévu de sortir peindre. K-cendre était chez moi, elle voulait venir aussi. Quand Mya est arrivé, on s’est demandés ce qu’on allait faire. On est partis sur une esthétique style tatouage custom, en reprenant des figures classiques, en mettant des banderoles et des diamants, un truc un peu bling-bling. D’habitude on ne croque pas. Cette fois, avant de partir, on a fait un truc ultra rapide, genre : « toi tu te mets là, toi tu te mets là ».
Mya : « Comme on peint souvent ensemble on se fait confiance, on sait que ça va coller et que les autres ne vont pas faire n’importe quoi. Il faut juste qu’on sache qui va où. De toute façon, sur un mur légal, c’est pas la peine de lancer des projets sur une semaine: ça peut être recouvert le lendemain ».

La qualité de certaines pièces augmente heureusement leur espérance de vie : celle-ci, qui a beaucoup tourné sur les réseaux sociaux et a été publiée dans le Mensuel de Rennes, tient toujours. On y retrouve le vocabulaire graphique para-religieux cher à Joe Popi :

Joe : « Je me suis beaucoup penché sur la peinture religieuse, j’aime bien les symboles occultes qui ont fédéré des communautés, qui ont eu une importance dans l’histoire : la vierge, l’oeil – de Ra ou de Sauron… C’est l’idée d’orienter les gens vers des façons de penser, pour les diriger. On appartient tous à des groupes, des façons de penser ».

PAUSE BIÈRE À SAINT-MICHEL

Comme on ne peut pas toujours compter sur les hasards d’une ballade, on s’échange les adresses, et voici que quelques jours plus tard on reçoit ce message : « On pose à St-Michel cet après-midi ». L’occasion de retrouver les gars s’affairant sous un soleil tapant sur la palissade légale de la rue, aux côtés de leurs collègues du crew CTS, Orgasm et Aeon. La pause est décidée, on commande des bières à la terrasse d’en face, on fait connaissance avec Joe Popi, Mya et leurs comparses : on n’est pas déçu.

Joe Popi et Mya rue St-Michel (c)Gael_T

Ils ont un quart de siècle chacun, mais leurs parcours sont bien différents. Joe vient d’Angers, Mya est Vendéen, tous deux sont de fervents Rennais d’adoption. Mya a fait des études d’art, Joe a quitté les bancs de l’école en seconde pour y revenir très vite… comme intervenant plasticien, un de ses gagne-pain. Le reste du temps il est animateur, tandis que Mya enchaîne les chantiers et autres boulots alimentaires pour constituer le pécule qui lui permet de peindre à plein temps aux beaux jours. Leur engagement total dans leur activité graphique multi-supports en fait des colocataires quelque peu envahissants, si bien qu’ils ont récemment décidé d’emménager ensemble.

Se professionnaliser? Joe n’a jamais peint que gratuitement ou presque, mais en vivre reste un but et il se sent prêt travailler sur commande pour peu qu’on lui laisse assez de liberté. Pour Mya, c’est loin d’être une priorité. L’idée d’exercer un boulot alimentaire pour financer son art lui va parfaitement, et l’expérience qu’il a déjà faite de l’exposition en galerie lui laisse un goût amer :

Mya : « Ça m’a fait chier. L’argent et l’art, ça ne se mélange pas bien. Tu mets du cœur à ce que tu fais et puis on te demande d’y mettre un prix, c’est glauque. Le pire c’est quand tu vois quelqu’un qui kiffe vraiment mais qui n’a pas 300 euros, quand d’autres mettent les biffs le portable à la main, comme un investissement. Je préfère faire du troc, esquiver l’argent, faire un boulot à côté ».

Au risque d’avoir moins de temps pour progresser?

Mya : « J’ai vu ce que certains artistes ont perdu en passant en galerie. Ça te ralentit parce qu’on te demande toujours de refaire ce que tu as fait la fois d’avant, tu n’innoves plus. Moi je veux pouvoir me perdre, avancer dans ma pratique, je suis encore en recherche ».

LE VERDICT DES CABAS

Il est temps d’y retourner : on vide les bières et les gars reprennent leur étrange ballet. Pas de croquis, cette fois. En guise de point de départ, une envie de Mya et d’Aeon (des CTS) de peindre ensemble, autour d’un mot clef : « égouts ». Alors on s’organise pour que tout le monde puisse jouer : Mya pose les entrées et les perspectives, en ménageant des ouvertures pour les nuées courbes ou géométriques de Joe et de Mimo. Il se charge aussi des personnages immergés, tandis qu’Aeon réalise les figures militaires, puis ils achèvent ensemble de fixer l’ambiance en fignolant pierres et câblages.

Fresque de la rue St-Michel. (c)Stick

Le lendemain matin, c’est le marché des Lices et on est là, galette-saucisse à la main, à scruter la réaction des passants. Il y a toujours les pressés, les distraits, et ceux qui regardent leurs pieds. Pour le reste : des gamins qui pointent la palissade du doigt en tirant la manche de leurs parents, des poussettes qui marquent un temps d’arrêt, et même des cabas sexagénaires qui s’immobilisent, le temps pour leurs propriétaires de se reposer les yeux en s’étirant les reins :

« C’est drôlement bien fait, hein? ».

À voir aussi:
Mimo et K.cendre, le 2 autres membres du crew RA injustement absents de cet article (collaborations avec Joe Popi)
-L’incontournable site rennais http://expotempo.blogspot.fr/ , tenu par Stick, qui a fourni la première et la dernière illustration.



« Joe: Avec Mya, on avait prévu de sortir peindre. K-cendre était chez moi, elle voulait venir aussi. Quand Mya est arrivé, on s’est demandés ce qu’on allait faire. On est partis sur une esthétique style tatouage custom, en reprenant des figures classiques, en mettant des banderoles et des diamants, un truc un peu bling-bling. D’habitude on ne croque pas. Cette fois, avant de partir, on a fait un truc ultra rapide, genre: « toi tu te mets là, toi tu te mets là ».
Mya: Comme on peint souvent ensemble on se fait confiance, on sait que ça va coller et que les autres ne vont pas faire n’importe quoi. Il faut juste qu’on sache qui va où. De toute façon, sur un mur légal, c’est pas la peine de lancer des projets sur une semaine: ça peut être recouvert le lendemain ».

2 commentaires sur “Art mural: Les RA sont dans la ville

  1. @clairette5

    Bonjour à tous !

    Il y a quelques temps, j ai lancé un petit « urban game » consistant à photographier les oeuvres de l’artiste WAR dans Rennes. Ça se passe sur Instagram avec le hashtag #wardansrennes.

    Voici les trouvailles du moment http://www.gramfeed.com/instagram/tags#wardansrennes

    À vos smartphones ! La chasse est ouverte 🙂

  2. baps

    fuck les smartphones. bravo les gars je suis fier de vous.
    un panda.

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