Certaines personnalités nous intéressent plus que d’autres. Fatherfucker, puisqu’il s’agit là de son blaze, en est une. Malgré un travail professionnel exigeant et prenant, une vie familiale bien remplie, Fatherfucker aime consacrer son temps libre à imaginer, créer, puis coller des affiches grand format sur les murs de Rennes, quand la ville s’endort. Peut-être sans le savoir, avez-vous déjà croisé une de ses œuvres ? Le portrait géant au-dessus du Biocoop de la rue Papu, c’est de lui ; les enfants réclamant un toit pour dormir, encore lui. Macron grimé en Bonaparte sur son cheval blanc, ou Pécresse en train de mendier quelques euros, pareil, c’est de lui ! À travers ses performances, Fatherfucker dénonce, revendique, se moque, s’amuse, et rien ne lui échappe.
En 2020, alors en plein confinement, nous nous étions entretenus avec lui par téléphone. Quand d’autres s’initiaient à la pâtisserie, ou rêvaient du monde d’après, il nous expliquait poursuivre son activité d’artiste-maroufleur-insomniaque. Il avait alors eu la gentillesse de nous dévoiler le mystère de cet homme barbu et chevelu qu’il affichait si souvent. Pour ce second entretien, nous nous sommes focalisés sur son activité militante. C’est ainsi qu’un soir de mai, on s’est retrouvé devant une bière avec lui, ou devant lui avec une bière. Et bonne surprise, le garçon est à l’image de ses collages : incisif, sans concession ! Décollage immédiat vers l’art du collage militant.
►► ALTER1FO : Te rappelles-tu de ta première intervention dans la rue ?
Oui, j’avais collé le portrait de Salah Hamouri (avocat franco-palestinien, arrêté par les services de sécurité israéliens, placé en détention administrative, NDLR). J’avais composé un visuel en bichromie à la manière d’un pochoir. Je l’avais fait sur 4 feuilles A3, je trouvais ça grand à l’époque, même si aujourd’hui cela me semble petit (rires). J’avais noté dessus « Libérez Salah Hamouri ». C’est mon premier acte de vandalisme « street-art » !
►► Pourquoi utiliser cette forme d’expression ?
Il y a quelques années de cela, j’étais très impliqué dans différents collectifs militants exigeant un investissement personnel de chaque instant. Aujourd’hui, ma situation familiale n’est plus compatible avec ce mode de vie. Je ne peux plus être aussi disponible. Étant quelqu’un de sanguin, le street-art permet de canaliser certaines de mes pulsions disons… radicales. Il allie également l’artistique – car j’ai toujours dessiné, l’escalade nocturne – que je pratique encore de temps en temps, et le côté « activisme illégal. »
►► Concrètement, ça te prend combien de temps pour réaliser un collage ?
Par exemple, celui que j’ai fait avec les parents d’élèves du Collectif élèves protégés Rennes m’a pris presque deux heures. Il faut photocopier, découper, assembler puis coller ensemble chaque partie. Cela demande de l’attention, personnellement, je ne peux le faire que si je sais que je ne serai pas dérangé. Du coup, je m’en occupe généralement le soir, après le coucher de mes enfants, ou alors pendant ma pause rapide d’une dizaine de minutes au travail. En amont, l’idée de l’affiche ou le message à faire passer me vient souvent d’une indignation. Pour la concrétiser, je crée un montage photo à partir de mon ordinateur, que je modifie ensuite avec une palette de couleurs qui me permet de garder une vraie cohérence avec mes précédents travaux. Comme une signature.
►► Est-ce une impression faussée de notre part, mais il nous semble que le collage est de plus en plus utilisé. Toi-même, tu nous expliquais auparavant avoir laissé tomber le pochoir. Pourquoi ?
Je trouve cela plus fastidieux de faire des pochoirs. Il faut le découper au scalpel, c’est minutieux. Et tu ne peux pas le préparer n’importe où, n’importe quand. Mais je pense que j’y reviendrais un jour. Forcément. Pour le moment, c’est le manque de temps qui me freine pour réaliser et accomplir tous mes projets.
►► L’art urbain est par essence éphémère. On le voit tous les jours à Rennes, certaines œuvres sont parfois toyées. N’est-ce pas frustrant de voir les tiennes rapidement dégradées, ou arrachées ? T’en préoccupes-tu ?
De temps en temps, j’aime bien aller voir mes anciennes affiches. Cela me donne des idées de balade avec mon fils. Après, je ne suis pas naïf. Je connais d’avance celles qui ne tiendront pas très longtemps. C’est le jeu. Tout ce qui est clivant provoque chez certain·e·s l’envie irrépressible de les arracher. Je suis toujours surpris de voir qu’il reste encore des soutiens à Macron (rires). Par contre, j’étais très étonné dernièrement de voir que le collage en hommage à la journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh, tuée le 11 mai en Cisjordanie occupée, n’a pas tenu plus longtemps que ça, tout comme celui représentant Poutine tenant un flingue sur sa tempe, près de la terrasse du Gazoline.
►► En novembre dernier, la presse locale a énormément relayé l’opération consistant à coller un peu partout dans Rennes la même affiche, pour alerter sur la situation des enfants scolarisés et vivant à la rue. Comment cela s’est passé ?
Très simplement. Je discutais avec une copine qui faisait partie du collectif. J’ai ensuite échangé avec les autres parents via une messagerie privée, en proposant différentes suggestions, et aussi un tutoriel pour savoir comment faire. Ce qui est intéressant, c’est d’avoir réussi le même soir à coller plus de soixante-dix affiches dans tous les quartiers rennais. Impossible de ne pas en voir au moins une ! Même moi, j’en découvrais au fur et à mesure les jours suivants.
Pour l’anecdote, j’ai collé celle qui se trouvait sur le pignon du 33, boulevard de la Liberté, en dessous de la sculpture UNITÉ (de l’artiste américain minimaliste Peter Downsbrough, NDLR). Et franchement, j’en ai bavé ! Tellement que j’étais persuadé soit de me faire choper par les flics, ils sont passés plusieurs fois sans me voir, soit finir électrocuté (rires) Une fois sur le toit, j’ai découvert une mare de flotte, dans lequel se trouvait une installation de ventilateurs ou climatiseurs pas très aux normes, avec des fils électriques totalement pétés. Avec la pluie ce soir-là, ça grésillait de partout. Le mal-logement est un sujet qui me touche depuis longtemps. Dans le passé, j’intervenais régulièrement pour ouvrir des squats, afin de mettre à l’abri des personnes. J’étais comme une sorte de prestataire de services (rires). On m’appelait, et si j’étais dispo, je fonçais.
« ARTIVISME », un deuxième acte pour alerter sur la question des élèves sans toit !
►► Ce n’est pas ta seule collaboration. Tu t’amuses régulièrement avec d’autres personnes bien connues par ici, on pense notamment à la fresque géante posée sur l’ancienne boucherie près des Horizons avec Bouchon, Le Justicier, Kim…
Oui, on forme un petit groupe de copains et copines, avec le même état d’esprit. Bouchon m’a filé plein de conseils, et m’a fait rencontrer d’autres personnes. Lui et Michto m’ont aidé à coller un jour en pleine manifestation contre la réforme des retraites. Je trouvais intéressant de le faire en direct en mode « OK, c’est illégal mais on peut le faire, la preuve ! » On a eu de bons retours, c’était cool. Peut-être que ça provoquera quelques vocations, qui sait ? L’« art urbain » et la « contestation » sont depuis toujours intimement et étroitement liés. Écrire des messages politiques sur les murs permet de les imposer, et surtout de prendre la parole sans attendre qu’on nous en donne la permission.
►► Certaines personnes qui ont commencé à créer dans la rue, sans autorisation, ont pu surfer sur leur réputation grandissante, pour finalement réussir à vivre de leur passion. C’est un souhait chez toi ?
On me sollicite de plus en plus, c’est clair. Récemment, un festival des côtes d’Armor m’a contacté pour m’inviter à performer chez eux. L’équipe doit mettre à dispo une sorte d’espace, comme celui du M.U.R de la rue Vasselot. J’ai aussi vendu quelques créations, mais pour la bonne cause. Les bénéfices étaient directement reversés à la caisse de grève.
Dans l’absolu, j’aimerais bien que cette activité me permette d’en vivre. Mais, je ne sais pas comment cela peut marcher. Je pense que mes messages politiques, et mon humour noir-caustique ne sont pas compatibles avec le côté mercantile du street-art. Et comme je n’ai absolument ni envie de me freiner, ni de me censurer… Aussi, j’ai déjà un gros problème : je ne sais pas « me vendre » (rires). En vrai, c’est compliqué pour moi de fixer un prix sur mes affiches. Je laisse donc les gens donner ce qu’iels veulent ou peuvent. Et puis, je ne suis pas du tout dans un délire d’accroître ma notoriété, seules priment mes idées politiques. Alors, tu vois, je ne pense pas pouvoir en vivre un jour. Mais je continuerai quand même !
►► Avec le risque de te faire prendre en flag’ ?
Clairement, mais je ferai tout pour ne pas me faire attraper ! D’autant plus que je n’ai pas envie d’avoir affaire aux flics. Sérieusement, je repense à ce non-lieu prononcé ces derniers jours à l’encontre du policier qui a tué Babacar Gueye, rien que d’en parler, j’ai les poils qui se hérissent. Mon prochain collage dénoncera justement les violences policières, et rappellera l’histoire tragique d’Allan, mort dans une cellule du commissariat de Saint-Malo, peu de temps après avoir été placé en garde à vue !
►► Merci Father Fucker !
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