Lorsque nous découvrons au hasard de nos déambulations un collage, un tag, un graffiti qui nous interpelle, nous ressentons à chaque fois l’envie d’en savoir plus. Qui l’a fait ? Depuis quand est-il là ? Y a-t-il un message sous-jacent ou déguisé ?
Une nouvelle fois, c’est notre curiosité qui nous a poussé à en apprendre davantage sur ces mystérieuses affiches dispersées dans Rennes. Vous les avez peut-être déjà vues, elles sont toutes signées d’un étrange parallélogramme coloré. Petit retour en arrière…
C’est en rentrant de soirée que nous avons vu pour la première fois ce dessin, apposé sur ce qui ressemble à un coffret France-Télécom, boulevard Albert 1er. Les traits sont fins, exécutés dans un élan de générosité et semblent être dessinés au feutre noir. La phrase « se battre avec le cœur » est écrite au-dessus comme une « punchline » et ce parallélogramme, si mystérieux, de couleur doré attire le regard.
50 mètres plus loin, nouvelle découverte, nouvelle esquisse. Cette fois-ci, le discours y est plus militant, plus grave, plus sombre. Il évoque la destruction de notre planète et le temps qui s’écoule inexorablement avant notre autodestruction. La figure géométrique est bien présente, seule la couleur diffère. Un·e « Sérial-Kolleur » sévit-il dans la ville car ce seront près d’une dizaine d’affiches, signées à l’identique, qui seront découvertes ?
C’est un peu par hasard qu’une connaissance bienveillante nous a permis d’obtenir le contact de l’instigatrice de cette joyeuse machination. Quelques SMS échangés et rapidement, nous nous sommes donné·e·s rendez-vous au Panama, ce bar de quartier bien connu pour être régulièrement le lieu de réunions militantes et associatives mais surtout apprécié pour son atmosphère conviviale. A 4€80 la pinte, on aurait tort de s’en priver. (NDLR : Dommage que Destination Rennes divulgue l’endroit sur son site web pour vanter son arrière-cour. Il ne faudrait pas que les touristes viennent nous polluer l’endroit).
Rapidement, B. explique ses motivations en évoquant des souvenirs partagés par sa tante. « En mai 68, elle était artiste en école d’architecture et m’a racontée des trucs de dingue sur cette période ultra-dynamique et bouillonnante. Elle m’a expliquée comment les artistes s’impliquaient dans la lutte à travers la création, la sérigraphie, les collages, les dessins… » Beaucoup d’affiches ont été créés au sein de l’« Atelier Populaire » de l’École des beaux-arts(*) et participent à préserver le souvenir d’un mai 68 romantique et révolutionnaire, même des dizaines d’années plus tard. Tellement que certaines sont devenues de vraies icônes publicitaires(*). Cruelle ironie que de voir le capitalisme commercialiser des slogans antisystème.
B. serait-elle nostalgique de ces heures troublées ? Sans doute mais cela ne l’empêche pas de garder les pieds sur terre et la tête tournée vers l’avenir grâce à ses nombreux projets. Militante de terrain, engagée dans de nombreuses causes, B. regrette simplement « un manque d’implication du mouvement artistique dans les luttes actuelles. » Elle a donc voulu combler ce vide en s’exprimant dans l’espace public. « J’ai des coups de cœur, des coups de gueule et j’avais tout simplement envie de les partager. » Étant artiste, il était naturel qu’elle le fasse à travers le dessin.
Son idée en poche et murement réfléchi, B. décide d’en parler autour d’elle, à des connaissances « digne de confiance », ses amies proches. « Faire à plusieurs permet d’imaginer un truc d’une plus grande ampleur et puis c’est tellement plus cool ! Tout le monde était hyper motivé. S’exprimer dans l’espace public s’apparente pour nous à un acte politique, il se suffit à lui-même. Libre ensuite à chacune de composer selon ses envies… »
B. devient alors cheffe d’orchestre mais sans la baguette ou le costume queue-de-pie … A elle de fluidifier les échanges afin de garder une homogénéité du groupe, de faciliter les actions de chacun·e et de se prémunir de tout problème. En effet, même si le collage sauvage est toléré, il n’en reste pas moins interdit et de nombreuses sanctions peuvent être encourues. « Je me sentais responsable. Je ne voulais pas que mes amies aient des emmerdes à cause de moi et que le plan s’essouffle dès le premier acte ! »
Pour des raisons de logistiques, le format A3 et le noir et blanc sont choisis. Cela coûte moins cher à imprimer, tout simplement. D’ailleurs dans cette aventure, le « Do-It-Yourself » est privilégié tout comme le recyclage. Autocollants, seau pour la colle, rouleaux d’adhésifs, balais et brosses ont été récupérés, parfois de manière subtile et maligne.
B. va proposer deux esquisses, effectuées aux pinceaux et à l’encre de chine. Elle nous raconte sa façon de dessiner avec ses gestes spontanés, instinctifs, expliquant ainsi cette impression de « lâcher-prise ». Celui qui porte le titre « se battre avec le cœur » est une référence non dissimulée aux athlètes Tommie Smith et John Carlos montant sur le podium, poing levé et ganté de noir, pendant les JO de Mexico en 1968. Tiens, encore 1968 dis donc… « Le poing levé représente la bataille, la lutte ! Je trouvais intéressant de l’associer au cœur car selon moi, on se bat avant tout pour ce que l’on aime… »
En plus du dessin, ses amies vont explorer d’autres univers : montage photo, écriture poétique, slogans politiques. C’est au cours d’une ultime réunion qu’elles se sont d’ailleurs montrées mutuellement leurs œuvres finalisées en explicitant pour certaines leurs significations ou le message défendu. « Par exemple, c’est à ce moment-là que j’ai appris que le portrait est celui d’une jeune fille qui existe réellement. C’est elle qui a prononcé la phrase écrite à côté, elle évoquait son ressenti vis-à-vis des adultes… » Forcément, avec cette information, on porte un autre regard dessus. Pour le dire clairement, on était refroidi par l’emploi du mot « enculé ».
Au final, la bande va se retrouver avec une soixantaine affiches. « Je souhaitais que l’on nous identifie comme un collectif et non pas individuellement. L’idée de retrouver sur toutes les copies une figure géométrique simple et basique s’est imposée d’elle-même. Cependant, chaque personne a pu choisir sa propre couleur… »
B. déplie alors devant nous une carte de Rennes. On y découvre des annotations et un quadrillage de la ville. Elle nous explique que des binômes ont été formés, « c’est plus drôle de coller à deux et surtout plus sécure » et qu’un « territoire de collage » a été attribué à chacun. Pour cette première, tout s’est passé à l’extérieur du centre-ville. « Beaucoup de choses existent déjà là-bas… », hors de question d’exclure de nouveau les quartiers périphériques.
Jour J. Alors qu’un match important de la coupe du monde de foot est en train de se jouer, le collectif est en route. « On a commencé à coller en plein jour, aux environs de 19h. Les gens nous voyaient faire sans trop y prêter attention. La curiosité a poussé certaines personnes à regarder d’un peu plus près. La BAC nous a même vu faire mais cela s’est très bien passé (rires)… »
La satisfaction du travail accompli, l’équipe s’échange depuis des infos sur l’évolution des affiches. Certaines tiennent bon, d’autres un peu moins. « Un dessin arraché n’est pas une mauvaise chose en soi. Cela prouve qu’il a provoqué une réaction chez l’autre. C’est bien le but du projet. Être visible et interpeller. » Sans trop en dire, ni dévoiler de secrets, une nouvelle session de collage semble se profiler à l’horizon de la rentrée. Les réunions du groupe ne sont pas encore calées mais cela risque de s’enchainer très vite. Alors, un seul mot d’ordre, gardons l’œil ouvert !
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