Rencontre avec Richard Volante, co-réalisateur du film « Anatomie d’un corps urbain »

– « Quoi ?! Encore un documentaire sur le street-art ? »
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Après « J’irai graffer sur vos murs » d’Erwan Le Guillermic et David Morvan diffusé l’année dernière, c’est au tour de Richard Volante et de Jean-Baptiste Gandon de nous proposer leurs visions sur l’art urbain. Longtemps dénigré, ce phénomène a largement pris sa revanche depuis puisqu’il est reconnu comme un mouvement artistique à part entière. Pouvant revêtir plusieurs formes (pochoir, mosaïque, collage, fresque… ), ses codes forment un nouveau langage. Il est devenu tellement « hype » qu’il s’aventure jusque dans les musées, les expositions ou les salles de ventes aux (très chères) enchères. La publicité, la mode, le marketing le scrutent avec un intérêt non dissimulé pour spoiler les prochaines tendances.
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Bien sûr, cette métamorphose ne se fait pas sans dégâts collatéraux. Certain·e·s regrettent le côté subversif tendance libertaire-avant-gardiste qui effrayait le bourgeois et cassait les codes. D’autres s’opposent concrètement à cette tentative de « thésaurisation privée » du mouvement. On pense forcément aux actions de l’artiste Blu.
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Ce changement s’observe aussi à Rennes où l’office de tourisme n’hésite pas à détourner ces œuvres plus ou moins éphémères en outil publicitaire géant. Tous les moyens sont bons pour promouvoir l’attractivité de la métropole ! Mais bizarrement, la municipalité s’insurge dans le même temps de devoir débourser chaque année des centaines de milliers d’euros pour effacer tout ce qui rappelle l’origine même de la discipline : tags, stickers et autres blazes. Y a comme une légère contradiction. Contradiction que le film « Anatomie de l’art urbain » de Richard Volante et de Jean-Baptiste Gandon pointe du doigt en s’immergeant à l’intérieur de la scène locale pour mieux questionner cette mutation qui se dessine devant nos yeux.

 

La définition de l'art urbain selon CACA...
©alter1fo.com/politistution

Légèrement en retard, nous retrouvons Richard Volante déjà attablé à la terrasse du « comptoir », un bistrot de la place Saint-Anne. Emmitouflé dans une grosse écharpe et la voix sonnant dans les graves, le bonhomme lutte contre un mauvais rhum. On le remercie donc bien volontiers pour sa disponibilité. D’autant plus que son agenda est chargé entre ses nombreuses expos photos, ses publications et ses réalisations.

Très vite, il nous explique la genèse du projet. « En 2015, Rennes Métropole souhaitait sortir un supplément sur le street-art. J’ai donc collaboré avec Jean Baptiste (NDLR: Gandon) à ce hors-série qui s’appelle « Les murmur(e)s de la ville ». En réfléchissant à la première de couverture, Jean-Baptiste a eu l’idée de trouver un mur et d’inviter WAR à peindre dessus. C’est à ce moment-là que les suricates sont apparus (NDLR: disparus depuis). Et nous, nous avons pu faire notre photo. »

Richard va commencer à filmer à ce moment-là. A la base, ce n’était qu’un teaser de quelques minutes pour alimenter le site internet de la Métropole. Immortaliser le travail du créateur du coquelicot de la rue Saint-Hélier et du célèbre « Je peins donc je suis ! » n’est pas commun. Surtout en pleine journée. Mais de fil en bombes de peinture, l’idée d’un documentaire de 52 minutes lui est apparue. Comme une évidence. Rennes a une longue histoire et un lourd passif à la « Je t’aime, moi non plus » avec l’art urbain. En effet, dès 2002-2003, la mairie a mis en place le dispositif « Graff en ville » et des espaces dédiés à sa pratique en toute légalité. Bon, ne nous voilons pas la face, les élu·e·s ne l’ont pas fait que par altruisme. Il y avait aussi une volonté de canaliser tout ce p’tit monde.

Fan du travail de Jérôme Mesnager, Richard Volante a toujours été immergé dans le street-art. « Tellement que paradoxalement, je n’y prêtais parfois presque plus attention. C’est un peu comme une visite dans un musée, il y a tellement de tableaux que tu n’en vois plus aucun… Et puis arrive ce moment où pour une raison inexpliquée, tu t’arrêtes pendant des plombes à observer un graff. »

Le documentaire qui a pour fil rouge le travail de WAR contient les témoignages de plusieurs artistes comme Žilda, Mémé et Martin Dezer alias DJ Marrrtin (NDLR : que des hommes, certes, le milieu artistique ne déroge pas à la règle de la faible représentativé des femmes). Tous se racontent et livrent leurs visions personnelles sur leur art. Approches différentes les unes des autres, parfois poussées à l’extrême. La réflexion de Žilda est, par exemple, aussi radicale qu’un black-bloc dans une contre-manif du G20, celle de Dezer explore le coté humaniste et citoyen.

« Le sujet principal tourne autour de l’institutionnalisation du street-art et de l’ambiguïté qui gravite autour » explique alors notre interlocuteur. La narration du film, sous les mots justes et soigneusement étudiés de Jean-Baptiste Gandon, pose effectivement la question épineuse mais centrale : « en devenant à la mode, le street-art a-t-il signé son arrêt de mort ? » Et pour y répondre, il faudra aussi passer par la case non pas « prison » mais « vandale ». Une personne qui le pratique pendant des années se fourvoie-t-elle en acceptant de temps en temps des commandes ? Pour Jef Aerosol, pilier du photo-graphisme, l’interdiction, l’autorisation ou la non autorisation n’a aucune emprise sur la qualité de l’image : « un type qui joue de la guitare à la terrasse d’un café, si on est ému par sa musique, peu importe si le patron du bistro lui donne des sous ou s’il ne vit que par ce qu’on lui donne dans son chapeau… » Pour d’autres, impossible d’envisager une quelconque notion marchande dans leur discipline. Seule la beauté du geste, illégal ou désintéressé, prévaut.

[23 Décembre 2017] – Un jour, une photo : l'art s'expose (aussi) dans la rue...
©alter1fo.com/politistution

Et que penser de la position de la ville de Rennes vis-à-vis du mouvement ? D’un côté, en partenariat avec l’A.S.A.R.U.E, elle accompagne et encourage cette pratique. La capitale bretonne accepte de financer des fresques dans le cadre du budget participatif. Vecteur d’attractivité, elle propose même des visites guidées – payantes – autour des œuvres urbaines et en achète également via le fond municipal d’art contemporain (NDLR : une de WAR et une de BREZ) . Mais de l’autre, elle communique sur le coût que représente le nettoyage de ces « pollutions visuelles » selon ses propres termes… comprendre les tags, les stickers et les blazes. « Les politiques publiques n’échappent pas à l’ambivalence » indique le narrateur du documentaire. « Elles sont sommées de trouver l’équilibre entre les graffitis sauvages qui déplaisent aux citoyens et le graff artistique photographié par d’autres ». Verra-t-on un jour une police municipale imposant les règles du beau graff et verbalisant le mauvais ? Un tag à l’esthétique calligraphique douteuse contrarie sans doute les riverain·e·s mais pris à l’échelle d’une ville envahie par la publicité (NDLR : chaque individu reçoit en moyenne entre 1200 et 2200 messages publicitaires par jour), qui pollue visuellement le plus ?

Richard Volante se souvient de sa rencontre avec le 1er adjoint au Maire, Sébastien Sémeril. « Toutes ces questions, il se les pose aussi. Tout comme celle de l’achat d’œuvres. Selon lui, acheter est un gage de liberté donné à l’artiste. Surement qu’il sait bien communiquer mais ses réponses ne sont pas définitives et laissent à chacune et chacun la possibilité de se forger sa propre opinion… »

 

Autre gros point positif de ces 52 minutes, la bande son ! Cette dernière colle parfaitement au sujet. On peut entendre deux morceaux de Post-Punk-No-Wave de l’excellente Mistress Bomb H (NDLR : alias Hélène Le Corre) accentuant un peu plus le côté urbain du film. On apprécie le clin d’œil oreille. « Je l’ai photographiée il y a quelques années déjà. J’essaye de me tenir au courant de son actualité et de choper tout ce qu’elle sort. Pour le film, j’avais le choix de proposer qui je voulais. Je n’ai pas hésité à lui demander. Elle a composé un morceau original et on a intégré un extrait de son dernier album. »

©Candela Productions

On vous encourage donc à découvrir cette « dissection artistique locavore » (NDLR: uniquement en replay sur le site de France 3 jusqu’au 17 janvier). Il s’agit là d’une autopsie parfaitement maîtrisée. Quelques questions restent encore sans réponse mais peu importe, la vérité est ailleurs. Une certitude cependant s’impose. Le graffiti a toujours existé et existera toujours. A l’inverse, il n’est pas assuré que le street-art survive à l’évolution consumériste de notre société :  de la rue aux galeries, des galeries aux salles de ventes, des salles de ventes aux grands groupes privés, du privé jusqu’aux murs de la salle de sport d’un commissariat de police de Rennes et même décorant le bureau de l’Élysée… difficile d’imaginer la prochaine étape !

En attendant son éventuel effondrement et sa renaissance sous une autre forme ou sous une autre appellation, on peut toujours se réjouir d’observer ici ou là, la naissance d’une radicalisation en confrontation avec cette mutation populaire (NDLR : Sur les murs de Rennes, il affiche sa haine du street-art !). Ainsi, l’art urbain se renouvelle tout en s’auto-alimentant. « Au jeu du chat et de la souris, qui attrape l’autre ? »

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DOCUMENTAIRE. Anatomie d’un corps urbain, parcours au cœur du street-art.
Site web de Richard Volante
Site de 
Candela Productions
Pétition demandant le retrait des panneaux publicitaires numériques installés à Rennes

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1 commentaire sur “Rencontre avec Richard Volante, co-réalisateur du film « Anatomie d’un corps urbain »

  1. LE SAUX-SLIMANE

    « La narration du film, sous les mots justes et soigneusement étudiés de Jean-Baptiste Gandon » :

    Monsieur Jean-Baptiste Gandon sait aussi très bien profiter du travail d’autre(s) personne(s) sans jamais les citer ou les évoquer !!!!
    Doctorante en Sociologie, j’effectue depuis 2012 une recherche portant sur les mondes du Graffiti à Rennes et Montréal (5 ans d’observation – participante-observante , plus de 120 personnes interviewées – dont 80 graffeur-se-s, 2 ans de retranscriptions et d’analyse, …) .
    En 2015, suite à la demande de l’ex-gestionnaire du volet  » des pratiques graffiti » de la DVAJ, j’ai accepté d’être interviewée par Mr Gandon. Ce dernier préparait alors son fameux supplément sur le street-art pour Rennes Métropole. Pendant plusieurs heures j’ai donc joué le jeu ! Jeu qui reposait sur un accord simple : j’acceptais de discuter de mes données de recherche et de mes analyses (en ce sens de répondre aux NOMBREUSES questions de Mr Gandon (très profane à l’époque) à condition qu’une trace de cette longue interview soit gardée. C’est-à-dire qu’un résumé a minima de mes dires soit publié dans le hors-série : « Les murmur(e)s de la ville ». Bien entendu Mr Gandon ne respecta pas cet accord! La veille de l’envoi à l’impression du supplément Mr Gandon m’annonce, d’un simple mail, que mon entretien ne sera pas publié! Raison donnée par Mr Gandon : mes propos étaient devenus du jour au lendemain trop scientifiques! Le papier avait pourtant été revu suite à ses demandes un mois avant, puis validé; tant par lui que par mes responsables de recherche (mails à l’appui).

    Ayant été longuement questionnée par Mr Gandon sur divers points-questionnements évoqués/discutés dans le documentaire, comme dans le numéro de 2015, etc. et puisque mon nom n’a jamais fait surface, il me paraissait important de signaler/signifier mon travail (« un long et laborieux travail de recherche »).

    Citer ses sources ou l’honnêteté intellectuelle, n’est-ce pas là l’une des caractéristiques de tout travail sérieux?

    Le résumé de mon entretien de 2015 est disponible ! en format article, signé par Mr Gandon en sus; ainsi que l’enregistrement de toute l’entrevue (petit réflexe de sociologue).

    Cordialement,
    Aude LE SAUX-SLIMANE

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