Art mural : Mioshe, semeur de chimères

« Les murs, ça sert d’abord à peindre en grand »

 

Fresque de Mioshe sur l'Antipode, 2011 (c)Gwendal le Flem

Fresque de Mioshe sur l’Antipode, 2011 (c)Gwendal le Flem

 

Depuis plusieurs années, de nombreuses structures associatives et publiques bretonnes se font un plaisir d’offrir à Antoine Martinet, alias Mioshe, des supports à la mesure de ses appétits graphiques; elles y trouvent, pour leurs murs sans vie, comme un supplément d’âme.

Retour sur l’oeuvre d’un street artist mais-pas-que, qui fait surgir comme personne, d’une ligne budgétaire de crédits publics, des mondes étranges peuplés d’énigmatiques chimères.

 

DES BEAUX-ARTS AU BIZARRE

« Mes parents m’ont inscrit à des cours de dessin comme on en met d’autres au piano ; j’y allais parfois en traînant les pattes, comme tous les gamins ».

Ni enfant de la balle, ni gosse de la cité : Mioshe est un pur produit des classes moyennes qui fait tranquillement ses classes, dès 10-12 ans, à l’école des Beaux-arts. En faire un métier, il n’y pense pas. Peindre sur les murs?

« Je suis rentré dans le graffiti par la porte du hip-hop, quand j’avais 16 ans (en 2000). C’était la mode, à l’époque ».

Oui, mais voilà: dans les grandes fresques hip-hop réalisées en crew le lycéen se sent, paradoxalement, à l’étroit:

« Sans cesse faire des lettrages, des persos, et encore des lettrages… J’ai toujours dévié de ça. J’aimais bien faire des trucs bizarres et m’éloigner des poncifs « big up! » habituels. Mais je faisais ça sans le vouloir, pas juste pour me différencier ».

Que faire, alors? C’est à Valencia en 2006 que l’étudiant aux Beaux-arts, lors d’un séjour Erasmus, affine sa patte et trouve sa vocation. Ces quelques mois entièrement dédiés à la peinture, il les consacre à faire surgir des murs de la ville une cinquantaine de personnages baroques, à la monstruosité retenue, dont la présence s’impose avec une telle évidence qu’on a peine à croire qu’ils n’ont pas toujours été là.

Pour Mioshe, une envie fait son chemin : vivre de son dessin.

 

Valencia, 2006 (c)Mioshe

 

Valencia, 2006 (c)Mioshe

 

« DYSNEYLAND SOUS ACIDE »

À son retour à Rennes, les choses s’enchaînent alors assez vite avec des contrats pour des murs légaux, le plus souvent dans le cadre d’ateliers avec des jeunes. L’expérience, souvent réitérée depuis, est un gagne-pain appréciable pour l’artiste débutant.

Les premiers pas en galerie se font en 2010, quand la galerie parisienne Rec met ses murs à disposition. Street art d’intérieur?

« L’idée, c’est toujours de faire des dessins en grand. À l’intérieur ou à l’extérieur, ce n’est pas primordial. C’était pour le plaisir de montrer quelque chose dans un lieu dédié, je n’ai pas été payé pour ça mais ça a été un bon moment ».

C’est l’occasion d’aborder le thème, souvent décliné depuis, de ce qu’il appelle ses « Dysneylands sous acide » : des amas confus de personnages entassés qui se déchirent, s’entretuent, s’exhibent, se masturbent, se dévorent eux-mêmes ou démembrent les autres, tandis que partout les flashs crépitent et ne perdent rien du spectacle. Oppressant et fascinant, à l’image du monde contemporain:

« Je suis entre l’attraction et le dégoût, entre la fascination et la dénonciation: il y a plein de choses géniales dans les technologies et la civilisation modernes et aussi plein de choses absurdes ».

 

Rec galerie 2010. (c)Rec

Rec galerie 2010. (c)Rec

 

Cette même année 2010, Mioshe participe à l’exposition itinérante « Glasnostdead », du collectif nantais 100pressions accueilli à Rennes par les Ateliers du vent, et avec qui il réalise l’impressionnante fresque pata-soviétique qui y trône toujours.

 

Les Ateliers du vent, 2010

Les Ateliers du vent, 2010

 

Puis vient en 2011 le tour de l’Antipode, la salle de musiques actuelles (SMAC) et MJC rennaise. Gaëtan Naël, programmateur et amateur de street art, lui offre ses murs pour un collage géant à l’occasion d’ « Urbaines » , le temps fort annuel consacré aux « cultures, pratiques et tendances urbaines ». Mioshe y dévoile une nouvelle facette de son univers graphique. À l’abondance frénétique du détail il substitue, format oblige, la monumentalité d’une architecture imaginaire et la mise en abyme d’un spectacle étrange orchestré par d’inquiétantes chimères. Au centre, une créature à tête d’oiseau toise le spectateur d’un oeil menaçant.

« Depuis l’Antipode j’ai fait beaucoup de choses sur les masques, le bec, les femmes à bec, les oiseaux chimériques. Le bec évoque la perversion et la puissance. Là encore, c’est en même temps fascinant et un peu dégueulasse ».

La fresque, qui n’aura vécu que 3 semaines avant sa karchérisation, est heureusement immortalisée par ce stop-motion:

 

L’ADIEU AUX MURS ?

Et depuis ? Loin des façades, les projets d’atelier s’accumulent. Le projet Pilot, surtout, travail de titan réalisé en collaboration avec Elsa Quintin: une fresque monumentale dessinée au stylo Pilot sur huit panneaux de 180 x 50 cm, achevée fin 2011.

Projet Pilot, 2011 (c)Martinet/Quintin

Projet Pilot, 2011 (c)Martinet/Quintin

 

Déjà, le deuxième volet du projet est en cours de réalisation et devrait être exposé en octobre au Parlement de Bretagne, dans le cadre du festival Electroni[k]. Est-ce un adieu aux murs?

« J’ai moins de temps pour être présent dans la rue… Ce n’est plus qu’un manière de décompresser, de m’amuser. Je peux très bien y retourner si les beaux jours reviennent, ce n’est pas prévisible ».

Les beaux jours, on n’est pas bien sûrs qu’ils reviendront. Mais c’est à la faveur d’une éclaircie menacée par l’orage que Mioshe a répondu, il y a quelques jours, à l’invitation faite par Žilda de coller dans « le cadre » du Mail pour offrir une nouvelle œuvre à son projet « Palimpseste ».

 

Le Mail, 2012, (c)Gael_T

Le Mail, 2012, (c)Gael_T

 

Žilda ? L’artiste breton, très actif à Naples dernièrement, est de retour à Rennes. On en reparle bientôt !


(c)Stick, http://expotempo.blogspot.fr/
(c)Stick, http://expotempo.blogspot.fr/

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires