Certain·es travaillent le bois, d’autres le verre, ou bien encore le cuir. Et puis, il y a Emmanuelle, plus connue sous le nom de Petite Poissone, artiste grenobloise qui jongle avec les mots, le marouflage et la colle. Au fil des ans, la rue est devenue son terrain de jeu favori, son aquarium aux parois extensibles qui l’empêche de tourner en rond. Et pour cause. Petite Poissone affiche dans l’espace public, à qui veut les lire, ses pensées et ses réflexions souvent drôles, parfois revendicatives. Assurément percutantes !
Voilà maintenant 12 ans exactement que Petite Poissone colle ses textes dans la rue. « Ce que j’aime, c’est le décalage, que ce soit dans les propos ou dans la forme », nous explique-t-elle*. Pourtant, rien ne la prédestinait à suivre cette voi(x)e. « J’ai toujours été fascinée par le street-art, mais ce n’est absolument pas ma culture à la base. J’ai grandi à la campagne. Mon rapport au graffiti se réduisait aux tags peints sur les murs d’un tunnel où nous nous réunissions, moi et mes potes, quand j’étais adolescente. »
Passionnée dès son plus jeune âge par la bande dessinée, c’est aux Beaux-Arts de Caen qu’elle fera ses premières armes, crayons et pinceaux à la main. Touche-à-tout, elle s’essaie à plusieurs démarches artistiques telles que l’écriture, la peinture, le Do-It-Yourself dans l’édition, la sculpture, avant de tenter l’expérience du collage en extérieur. Comme ça ! Parce que cela l’intriguait ! « Je pensais ne coller qu’un seul texte, et puis passer à autre chose… Mais finalement, cela m’a plu. Et cela fait 12 ans que ça dure. »
Prise au jeu des mots, l’artiste va jusqu’à investir ses propres deniers pour s’offrir une machine capable de créer ses propres cartels qu’elle pose ensuite à même les murs ou sur le mobilier urbain. Avec le choix d’une calligraphie fine et élégante, la rue se transforme en un véritable livre ouvert. Le sien.
À force, et à Grenoble où elle habite, les empreintes qu’elle laisse derrière elle comme les petits cailloux blancs du petit Poucet sont de plus en plus remarquées. Petite Poissone commence à se faire un nom, comme on dit, même si « pendant longtemps, je ne signais pas mes textes ». Le milieu du graff (majoritairement masculin, comme beaucoup de milieux, hein, #noussachons, NDLR) va lui tendre la main. L’autre étant prise par une bombe de peinture. Première participation à un festival de street-art ☑, check ! C’est le début, non pas de la fin, mais de l’affinité avec le monde et la mode de l’art urbain « J’étais agréablement surprise. Dès le début, j’ai tout de suite été bien accueillie par le milieu grenoblois. Je n’ai pas ressenti de sentiment d’exclusion, ni de misogynie. »
Une fois lancée, on ne l’ar(r)ête plus. (Arête-Poissone, jeu de mots, t’as capté ?, NDLR) Après Grenoble, Petite Poissone s’en va régulièrement nager dans les eaux polluées-au-caca de la saine capitale. Une semaine par mois, après sa journée de travail en tant que graphiste, elle colle sur les murs de la Ville-Lumière. Paris, la nuit, ce n’est pas fini ! Et tant pis pour la décentralisation, mais « c’est à partir de moment-là que je commence vraiment à être connue. », nous avoue-t-elle. Tellement, que cela fait maintenant plus d’un an et demi que c’est devenu sa principale activité, même si elle s’en défend malicieusement dans son livre Je ne suis pas une street-artiste. « Je trouve qu’il existe en France une approche élitiste de l’art, où il y règne un entre-soi. Aujourd’hui, des personnes ne se sentent pas légitimes à entrer dans un musée, ou n’osent pas franchir les portes d’un festival de micro-édition, par exemple. Toutes ces barrières disparaissent dans le street-art. Il touche tout le monde. Peu importe que tu sois ouvrier, PDG, jeune, vieux… »
Au départ de l’aventure, ses phrases évoquent des déboires amoureux, les pérégrinations d’une vie sentimentale désabusée, les emmerdes d’un quotidien un peu bancal, mais toujours dans l’optique « de faire sourire les gens ». Et elle y arrive ! L’artiste manie avec talent l’ironie, le second degré et l’humour affûté à l’anglaise, affiliation Monty Python garantie. Toujours inspirée, jamais à court d’idées, Petite Poissone note tout ce qui lui passe par la tête dans des carnets qui lui servent d’exutoire ou de journal intime. « J’en ai toujours un sur moi. À l’intérieur, c’est un bric-à-brac de dessins, de textes, de phrases qui ne sont pas finies… » Il ne reste alors plus qu’à y puiser pour dénicher la prochaine maxime à faire éclore. Désormais, Marseille, Bayonne, le Havre, Paris, Toulouse, Lyon, Rennes accueillent ses punchlines au ton décalé, reconnaissable entre mille et images.
Et c’est ainsi que via les réseaux sociaux, elle reçoit beaucoup de messages d’encouragement, de remerciements pour ces bouffées d’oxygène que ses aphorismes procurent. Rançon de la gloire, ceux-ci sont souvent ©instagramés, tagués (pour identifier quelqu’un·e, NDLR), partagés, mais rarement dégradés. L’artiste ne s’en cache pas. Ses collages sont suffisamment propres et bien exécutés pour être tolérés par les services municipaux souvent prompts à dégainer le Kärcher. Et ce, même si ses textes sont plus rentre-dedans, voire plus caustiques.
Car oui, le Girl Power n’est jamais très loin ! Petite Poissone n’hésite pas à prêter sa plume, à collaborer avec des organisations qui luttent contre la misère et l’exclusion comme ATD Quart Monde, à participer à des événements autour de thématiques qui lui tiennent à cœur, telles que la lutte contre les violences faites aux femmes, l’écologie, l’inclusion. « Au fil des années, je m’autorise de plus en plus à écrire sur des choses plus engagées, plus politiques même si je trouve cela délicat. Coller simplement Non à la guerre ne m’intéresse pas. Il faut trouver la bonne formule ! »… Et la bonne formule, elle l’a trouvée une nouvelle fois, ici à Rennes.
Invitée par l’association qui gère le M.U.R, Petite Poissone a eu « carte blanche » pour ajouter sa patte ou sa nageoire sur ce panneau géant de 21 mètres carrés, rue Vasselot, destiné à accueillir des fresques éphémères. Le choix s’est rapidement porté sur Erratum, qui évoque les injonctions et les pressions liées aux genres. « C’est sans doute un de mes textes les plus connus et appréciés. Je ne l’avais jamais fait en aussi grand. C’était l’occasion. » Ainsi, on peut lire « Erratum – Contrairement à ce qui a été annoncé, la femme ne sera pas l’avenir de l’homme… Qu’il se démerde ! ». Rapidement customisé par un « mais sa grand-mère .·. », l’artiste avertie n’y prête pas plus attention que ça. « Cela ne me dérange pas. Au contraire, si cela fait réagir… Une fois que c’est dans la rue, ça ne m’appartient plus. » La capitale bretonne restera cependant la première ville à avoir une œuvre de Petite Poissone toyée. Rennes, la rebelle ne faillit pas à sa réputation ! Et finalement, ce n’est pas si grave.
* Entretien réalisé par téléphone le jeudi 18 avril
- (oueb) https://www.petitepoissone.com/
- Facebook : petite poissone / Instagram !
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