« Le graff est une étincelle qui a changé nos vies ». Francois Tworode (2rode) et Martin Dezer le revendiquent, ils n’ont eu de cesse de vouer toute leur énergie à leur passion commune, le graff, à son perfectionnement et à son rayonnement. Ces deux-là ne se quittent d’ailleurs plus depuis leur rencontre sur les bancs du lycée en région parisienne. Au fil des ans et de leurs travaux, ils se sont respectivement forgés une solide réputation nationale et internationale. Ici à Rennes, ils sont connus notamment grâce à leurs participations actives à la toute première fresque du Boulevard du Colombier, projet à l’initiative de l’association Graffiteam avec l’aide de Mathias Breze en 2000 (relire l’article d’alter1fo : Street Art : BREZE, aux sources du graffiti rennais )
Aujourd’hui, François est de nouveau invité par Martin Dezer et par l’association Stereophonk pour exploiter entièrement toutes les surfaces d’un appartement dans le cadre de l’exposition « In Situ » dont le vernissage est prévu vendredi 13 Juin à 18h30, 3 place du Banat au Blosne.
Pour rappel, Stereophonk existe depuis à peu près 15 ans et a pour but de promouvoir les nouvelles pratiques artistiques dont le graffiti. Elle organise régulièrement de nombreuses soirées sur Rennes et gère en parallèle un label avec pressage de vinyles, tendance soul/funk.
L’expo « In Situ » fait suite à plusieurs rencontres programmées entre jeunes et artistes : scénaristes, dessinateurs de BD, réalisateurs de film : l’ensemble étant chapeauté dans le cadre d’un contrat urbain de cohésion sociale. Le CUCS est un dispositif partenarial de lutte contre les phénomènes d’exclusion et de ségrégation sociale et spatiale. Et en ce moment, au vu de la mauvaise image renvoyée par la presse régionale du quartier du Blosne, de tels projets, tout comme celui du Temps Fort Hip-Hop organisé par le triangle, sont toujours les bienvenus.
Cette exposition renvoie de nouveau Martin Dezer aux questions qu’il s’est toujours posé depuis son passage aux Beaux-arts de Rennes ou bien au moment de sa participation à la première Biennale d’art contemporain de Rennes : « Qu’est-ce que la peinture ? À quoi sert l’art ? À être exposé dans les galeries ou à faire plaisir ? »
Une lecture intéressante de cette exposition « In Situ » est donc de nous questionner sur l’art urbain : le Street-Art peut-il s’exposer dans des galeries sous les néons délicieusement tamisés à travers de toiles facilement transportables sans perdre l’essence même du graff. En effet, le graff n’est-il pas indissociable de son environnement généralement populaire, urbain et quotidien bien à l’opposé d’un lieu d’art? Et comment revenir à la finalité du graff dans un endroit clos sinon apprivoiser un appartement qui, lui, est par définition populaire, urbain et quotidien ?
Francois Tworode : « Je me considère en tant que graffeur comme un embaumeur. Je peins souvent dans des endroits voués à la destruction, à la rénovation ou en fin de vie comme des usines désaffectées, des dessous de pont. Par contre, par rapport aux expos classiques où les toiles sont juste posées mais ont été faites ailleurs dans un atelier, là on peint directement sur le support de l’exposition, directement sur les murs de l’appartement, un peu comme avant finalement dans les terrains vagues…
L’idée de l’expo est aussi de présenter l’ensemble de mon parcours et mes 25 années de graffeurs et de dessiner une sorte de panel de mes différents styles. J’ai voulu jouer sur pas mal d’oppositions : ambiances colorées ou pas, dessins réalistes/ dessins abstraits et présenter aussi différentes techniques avec l’utilisation des murs mais aussi des toiles. Il faut aussi comprendre que dans une pièce d’appart’, il existe très peu de recul, cela m’oblige à dessiner plus finement que sur une fresque de 6 mètres de long où l’on a 40 mètres de recul par exemple… »
Martin Dezer : « On est assez fier car c’est la première fois qu’un événement de type graffiti est soutenu par le service culturel de la ville de Rennes et non pas par le service de la Jeunesse. Et sans prétention aucune, le fait de peindre au sein du quartier permet de créer du lien social : les gens viennent et se demandent ce qu’il se passe. Ils s’intéressent, au contraire d’événements qui viennent seulement s’implémenter dans leur propre quartier mais qui ne les touchent absolument pas »
L’appartement en lui-même va donc devenir un petit musée. Le mot « In Situ » prend alors toute sa dimension et résonne comme un pléonasme. Musée éphémère car personne ne sait encore si l’appartement sera de nouveau habité ou bien transformé pour laisser la place à des bureaux ou bien à un foyer, qui sait…
Par contre, ce qui est sûr, c’est que l’expo sera ouverte tous les weekends au public pendant un mois jusqu’au 30 juillet et aux scolaires en semaine. 25 enfants de Maure-de-Bretagne sont même déjà venus voir le travail de François et se sont initiés au graff. Belle revanche et joli pied de nez que d’amener du monde au Blosne, c’est trop souvent l’inverse qui se passe.
Martin Dezer : « En tant qu’ancien mec de quartier et sans angélisme aucun, cette expo est aussi une façon pour nous de dire qu’au Blosne, il n’y a pas que des trafics de drogue ou des problèmes avec les flics. On essaye finalement de casser un peu le quotidien avec ce truc. C’est une grande victoire pour nous que d’avoir pu organiser ce vernissage par la ville de Rennes et de voir un peu le centre-ville descendre jusqu’ici, aux pieds des tours.»
Grande victoire sans doute en opposition à la dernière image des élus se promenant dans le quartier, protégés par une rangée de CRS, aux côtés d’un certain Manuel Valls, encore Ministre de l’Intérieur… Image pénible qui a du mal à être digérée pour beaucoup.
Martin Dezer : « On va essayer de faire parler de notre quartier, d’une autre façon et avec le sourire. »
Bref, ce projet culturel qui aura mis près d’un an et demi à voir le jour, entre les démarches administratives, les négociations, les signatures de contrats, prendra son envol vendredi prochain. L’œuvre de François sera ainsi restituée aux habitants. A eux d’en prendre pleinement possession, à eux de le faire vivre. « Une fois que le graff est fait, il ne nous appartient plus. Il appartient au lieu et aux gens. Nous, notre travail est fini, on réfléchit au suivant…» nous avouera Martin. Affaire à suivre…
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► Page Facebook de Martin Dezer
► Page Facebook de Francois 2Rode
Francois Tworode est un Graffiti Artist qui œuvre depuis plus de 25 ans sur les murs et dans les galeries du monde entier. Travaillant sur la technique de la lettre associée aux formes et couleurs, il investira à sa manière cet appartement en jouant sur le fond et les formes.
Tour Banat, 3 place du Banat à Rennes.
#exposition du 13 juin au 13 juillet :: vernissage le 13 juin à 18H30
► Graffiti, street art, muralisme… Et si on arrêtait de tout mélanger ?