Elle n’est pas si loin l’époque où nous sortions quasiment tous les deux soirs, allant d’un café-concert à une SMAC, d’une expo à une conférence. Mais l’âge avançant, nos escapades se font de plus en plus rares. Inévitablement, on rate bon nombre d’interventions laissées sur les murs de la ville. La vieillesse est un naufrage, que voulez-vous !
Cependant, depuis quelque semaines, une nouvelle venue sur la scène rennaise (nouvelle pour nous, entendons-nous bien, NDLR) a attiré notre attention. Elle se nomme ou se fait appeler Boudette. Un blaze empreint d’affection. À travers ses créations, Boudette nous interpelle, nous parle, et insuffle une grosse dose de positivité. Une lueur bienvenue en ces temps de crise et de morosité ambiante !
Cela fait presque 15 ans qu’elle a posé ses valises dans la capitale bretonne. Avant de recouvrir les murs de sa ville d’adoption avec sa colle biodégradable, Boudette excellait déjà dans le fait-maison, en mode DIY (do-it-yourself, NDLR). En effet, elle nous avoue avoir toujours confectionné des cadeaux pour les un·es, des messages réconfortants pour les autres, et laissait son imagination s’exprimer en dessinant sur de vieux livres qu’elle offrait ensuite à ses enfants, et à ses proches. Avec un frère illustrateur, le virus de la création a touché toute la fratrie.
Mais d’où vient ce curieux nom ? « C’est mon mec qui me l’a donné. Je boude facilement (rires…) Mais récemment, j’ai découvert que cela signifie aussi mignonne, affectueuse en Gallo. Je préfère cette définition-là ! », reconnait-elle. En l’interrogeant sur son intérêt qu’elle porte à l’art urbain, Boudette nous cite des noms d’artistes qu’elle apprécie. il y en a des connus, et puis des plus confidentiels. Curieuse, ses influences sont riches et diverses. « J’aime me laisser surprendre, être surprise par les cadeaux laissés par les artistes. » Mais plutôt que des graffs imposants ou des fresques trop pompeuses, elle a une préférence pour les petites installations. Celles qui ne se dévoilent pas immédiatement. Celles qui se cachent, ou restent invisibles aux yeux des gens pressés. Un peu dans le style subtil et raffiné d’un Tegmo ou d’une TaTabzh.
Mais à quel moment décide-t-on de se consacrer au street-art ? Pour Boudette, pas de mystère. Un événement vient tout chambouler. Elle nous raconte. Alors qu’elle défile, appareil photo en bandoulière, entourée de milliers d’autres personnes lors d’un rassemblement, elle est témoin de la sévère répression policière (comme d’habitude, hein, NDLR) : gaz lacrymo, usage du canon à eau, arrestations abusives. Colère. Dégout. Deux jours plus tard, elle apprend qu’une de ses connaissances a fait l’objet d’une garde-à-vue. « Sans hésiter, j’ai regroupé des éléments qui traînaient dans mon placard, je les ai assemblés, puis collés près de son lieu de travail », nous révèle l’artiste avant de poursuivre. « Comme un geste de soutien, de réconfort. Je voulais qu’elle sache que je pensais à elle. Elle était ravie ! » C’est alors le déclic. « C’est comme ça que finalement Boudette a vu le jour », se souvient notre interlocutrice.
Impressionnée par la foisonnante et prolifique créativité qui a enjaillé les manifestations de l’année dernière (slogans, happenings, chansons…), Boudette ressent le besoin d’exprimer à son tour ce qu’elle gardait en elle jusque-là. « Ma colère et mon sentiment d’injustice m’ont fait sortir de ma tanière, de ma réserve. J’ai eu envie de dire tout haut ce que je ressentais dans l’ombre, et de le partager avec les autres. » Sa bio’ disponible sur son compte Instagram, Invisible parmi les invisibles, mais qui n’a pas sa langue dans sa poche, résume cet état d’esprit. D’ailleurs, pour accentuer ce côté anonyme, les visages de ses figurines sont le plus souvent enlevés, découpés, remplacés. À la manière d’une pochette d’album de Jonathan Bree qu’elle écoute régulièrement. « Finalement, ce n’est pas tant leur visage qui importe, mais plutôt ce qu’ils ont à dire. Ces derniers mois, avec la politique menée à coup de 49.3, j’ai eu l’impression qu’en tant que citoyenne, on m’interdisait d’avoir une opinion. Je trouve cela violent ! »
Bien sûr, certains messages sont plus éphémères que d’autres. C’est un peu le jeu de la rue. Cependant, Boudette n’est pas dupe. « Un truc mignon peut rester des mois sans un seul accroc. En revanche, dès qu’on critique la police, le gouvernement, c’est parfois arraché dans l’heure. Se réapproprier l’espace est une prise de risque quelque part… » Comme dit fort justement Zone de Confort avec qui elle a collaboré près du Théâtre du Vieux Saint-Etienne, « un collage d’enlevé, ce sont deux de recollés. » Boudette prend alors un malin plaisir à venir repasser. Et tant pis pour les esprits chagrins. « Je me rappelle en avoir fait un dans la foulée représentant une bulle contenant que des points d’exclamation et d’interrogation. Cela illustrait cette sensation qu’on m’interdisait de m’exprimer. » Parler, revendiquer, penser… ces mots sont notre fil rouge de notre entrevue. On le formalise nous-mêmes en écrivant ces lignes, son art est politique car il permet de se réapproprier l’espace public. On n’est donc pas étonné de constater que ce sujet est central dans ses collages.
D’ailleurs, ces derniers sont créés de manière artisanale, grâce à de la récup’, à de vieux magazines, à d’anciens livres démodés que plus personne ne lit. Boudette a pour le coup métamorphosé sa cuisine en un atelier joyeusement bordélique, comme elle aime en rire. On l’imagine envahi de cartons, de papier kraft, de papiers cadeaux encore chiffonnés, de divers magazines des années 70, et d’odeur de colle qui tarde à s’estomper. Son activité occupe désormais une grande place dans son appartement. Tout comme dans sa vie ! « Cela me fait du bien. C’est un peu comme une thérapie (rires). Ce que j’aime, c’est qu’à chaque fois que j’en commence un, je ne sais jamais ce que cela va donner à la fin. Le résultat peut faire faire sourire, parfois réfléchir. »
Cela fait donc un an que l’artiste a débuté sa carrière de street-artiste invisible. Depuis, les réactions s’enchaînent. Merci les réseaux sociaux. « Les gens te disent qu’ils apprécient ton travail. Certains t’invitent. J’ai plusieurs collaborations à venir, c’est chouette. Grâce au collage, je fais la rencontre de personnes que je n’aurais jamais croisées autrement. » Boudette aime coller de nuit. Parfois au péril de quelques acrobaties, comme cette fois où, maladroite, elle est tombée dans les ronces. Les risques du métier, que voulez-vous ! En même temps, quand le choix du lieu est trouvé, il faut assumer. « L’emplacement est souvent choisi en lien avec le message. Mon collage préféré est celui avec ce petit garçon terrifié par ce qu’il se passe dans son pays, et que j’ai collé par opposition à côté de la salle de théâtre comique du BACCHUS. »
Alors que nos verres se vident et qu’il est bientôt l’heure de se quitter, on comprend que l’artiste en garde encore sous le pied. Boudette avance à son rythme, sans griller les étapes. Cela explique sans doute pourquoi elle ne se focalise pas que sur le thème de l’actualité politique. À la manière d’un FatherFucker qui alterne militantisme et collages qui font rire (Georges Cleunay, pour ne citer que cet exemple, NDLR) , elle partage également beaucoup de messages positifs, enthousiastes et magnanimes. « Récemment, j’ai créé un calendrier de l’Avent bienveillant et bien vénère. C’est un peu ma façon de faire : j’essaie d’être bienveillante tout en étant parfois vénère. » D’ailleurs, un de ses premiers collages que nous avons croisé contenait un énorme POWER dessus. « Ce mot est devenu un slogan avec mon entourage, j’aime redonner l’énergie positive que je reçois. » Une positivité bienvenue en ces temps de crise et de morosité ambiante ! Merci à elle !
Merci à Boudette pour sa disponibilité et confiance.
Boudette photo by @politistution
Page Instagram de BOUDETTE
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