C’est assez perturbant qu’on en viendrait presque à douter de nous-mêmes. Laissez-nous vous raconter…
Personnellement, on adore relayer ici ou là des photos d’œuvres urbaines disons décalées dans le sens où elles ne plairont pas forcément au plus grand nombre. Vous savez, celles qui sont un peu ratées ou vite gribouillées, celles qui ne se voient plus, à moitié effacées par le temps, ou alors suffisamment percutantes pour cliver voire déranger. On aime surtout mettre en avant ces coups rageurs de Posca ou de spray, motivés par la fièvre de « l’instant ».
Et puis, parfois, allez savoir pourquoi, on tombe raide dingue de peintures murales dessinées avec minutie et subtilité, où l’artiste a pu se concentrer sur ses gestes pour parfaire sa composition. Bref, un style à cent mille lieux de nos sempiternelles publications.
Aujourd’hui, ce phénomène se produit dès que l’on se trouve devant une production de l’artiste Naga. Son univers complexe et intimiste nous touche particulièrement comme un uppercut en pleine face ; le knockout en moins. Suivre ses travaux, c’est se laisser aller au grès de ses pensées, voyager entre le rêve et l’éveil, car l’artiste laisse une grande place à l’imaginaire. On y voit ce que l’on veut, finalement. Mais pour l’appréhender, pas de mystère, il faut prendre son temps. D’abord, regarder l’œuvre de loin pour saisir l’ensemble du tableau. Ensuite, venir se rapprocher doucement et débusquer tous ces détails minutieux tel un inspecteur-des-travaux-finis découvrant des indices laissés par un gentleman-cambrioleur. Bref, il faut ob-ser-ver. Paradoxe frappant, le regard de ses personnages est généralement masqué ou caché. « Voir sans être vu » pourrait être le fil rouge de l’artiste.
En juillet dernier, nous l’avions rencontré par hasard en train de peindre le mur d’un spot bien connu à Rennes. Lui avec ses pinceaux, et nous avec notre appareil photo. Par peur de déranger, nous n’avions pas voulu le questionner à ce moment-là. Dommage. Acte manqué ? Certainement pas car depuis, on s’est rattrapé en lui demandant de répondre à quelques-unes de nos questions.
[Alter1fo] : Bonjour Naga, peux-tu te présenter ?
[Naga] : J’ai 30 ans et j’habite actuellement à Guichen, près de Rennes. Je suis né à Rambouillet et j’ai grandi dans la Sarthe. Je suis venu à Rennes dans le cadre de mes études en 2010.
D’ailleurs, « Naga », ça vient d’où ?
Naga est mon surnom que je traîne depuis les années collège (rires…)
Quel est ton premier vrai souvenir d’ « art urbain » ?
Un pote m’avait montré le travail des Polonais Etam Crusource quand je devais avoir 23 ans. Avant cela, je ne m’intéressais pas vraiment aux fresques, ni aux graffs ou au Street-Art. Mais depuis, je suis à fond (rires…) !
Peux-tu nous raconter ta première « empreinte » laissée sur un mur ?
Au tout début, je travaillais aux crayons de couleur en créant des personnages assez ronds ou assez longs. Petit à petit, je me suis mis à la peinture à partir de 2014. Mon premier mur, je l’ai peint avec deux de mes amis. Il se situait près de la Fac de Droit. Mon travail à l’époque était bien différent de celui que l’on peut voir aujourd’hui. Après 4 années, j’ai décidé de faire une pause.
Et puis, l’artiste Misst1guett m’a motivé à m’y remettre en m’invitant à exposer avec elle au Oan’s Pubb en Novembre 2019. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de changer totalement d’univers, de repartir de zéro. Après cette expo, elle m’a de nouveau demandé de peindre un mur avec elle situé à l’Impermanence Galerie. Depuis je n’ai pas arrêté et cela m’a permis de faire pas mal de rencontres qui m’ont encouragé à continuer. Je peux citer par exemple les artistes Thiago Ritual, Coralie LR, Jacqueline, Etiou, Avyse et Go Maurice… Merci à eux donc ! Tu vois, tout ça est assez récent au final (rires…)
As-tu suivi une formation artistique précise ?
J’ai suivi un cursus au sein d’une faculté d’arts plastiques, et j’ai poursuivi dans une école de graphisme sur Rennes. Mais à vrai dire, j’ai toujours dessiné donc je me considère plutôt comme un artiste autodidacte.
Comment définirais-tu ton style ?
Pour le décrire en quelques mots, mon univers est souvent mélancolique, poétique, sombre et fragile… J’utilise principalement de la peinture acrylique, et je peins aux pinceaux. Seuls quelques éléments sont dessinés à la bombe.
À travers tes œuvres, essayes-tu de nous transmettre un message ?
Non, je n’ai pas de message précis. Libre à chacun d’interpréter ce qu’il voit ou ce qu’il veut voir. À travers mes peintures, j’essaye avant tout de créer et de susciter des émotions chez les gens, de créer un monde parallèle ou un échappatoire en les invitant à rejoindre mon univers. La plupart des retours que j’ai pu avoir sont d’ailleurs assez touchants. Souvent, on me dit que mes peintures « reflètent certains moments de leur vie. »
As-tu eu des ennuis pendant une performance ? D’ailleurs, es tu plutôt team « légale » ou team « vandale » ?
Pas vraiment d’ennuis, non. A part une fois avec la police maritime de Marseille mais rien de grave… ça ne compte pas (rires…) Je travaille de manière légale pour ma part. Je n’ai pas toute cette culture du « graff/vandale » qui est super intéressante. Je suis plutôt de la « team » qui va peindre des murs légaux un dimanche ou dans des lieux abandonnés toute une journée, tranquillement, avec des amis et à échanger avec les passants qui s’intéressent à ce que l’on fait.
Comment décrirais-tu l’art urbain à Rennes ?
La scène rennaise est riche et très diversifiée. On a la chance de pouvoir voir les œuvres créées par les pionniers du street-art que tout le monde connaît, qui sont pour beaucoup issus du monde du graff. Mais à coté, et depuis quelques temps, d’autres artistes émergent et descendent dans la rue. Cette diversification permet à des autodidactes, à des illustrateurs ou d’autres artistes plus contemporains de rendre visible leur travail et même à se challenger entre eux ! Cette émulation apporte une autre dimension à l’art de rue, à l’image finalement de ce qu’est l’art urbain aujourd’hui.
Quels sont tes futurs projets ?
J’ai plusieurs événements déjà planifiés en juin et en septembre prochain dans le cadre de festivals. Mais aujourd’hui, je cherche avant tout un lieu pour accueillir mon travail. Depuis le début du confinement, j’ai réalisé pas mal de toiles qui n’ont jamais été exposées à l’heure actuelle et ça c’est frustrant.
Le message est ainsi passé ! Merci Naga. ( PS : On peut te suivre sur les différents réseaux sociaux dont ton instagram )
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