Créatives et artistiques, les Curiosités de Roger ne font pas défaut

Il y a toujours une première fois. Toujours. La nôtre avec Les Curiosités de Roger, on s’en souvient encore très bien. C’était un samedi après-midi, rue Le Bastard à Rennes. On écoutait distraitement une conversation, sans vraiment y prendre part, lorsque notre regard a été happé par quelque chose en hauteur, sorte d’excroissance sur la façade d’un magasin. Là, perché sur le mur, un dôme. On s’est approché, intrigué. Puis on a souri : l’objet, aussi étrange qu’hypnotique, nous a immédiatement séduits. Dessus, il y avait une araignée noire peinte au pochoir, et au centre, un camion avec d’énormes ailes déployées qui semblait prendre son envol. Les jours ont passé. Et rebelote, un autre dôme à nouveau ! Cette fois-ci, rue Vasselot, posé à mi-hauteur, laissant entrevoir ce qu’il renfermait. On comprenait alors qu’il ne s’agissait pas d’un hasard, mais d’une série. Quelqu’un·e s’amusait à parsemer la ville de ces petites « capsules ». Et cette personne, on a eu envie de la rencontrer. Car derrière ces œuvres, il y avait forcément une démarche, un travail, et surtout, beaucoup de générosité. Celle de laisser son art dans l’espace public, à la merci des conditions météorologiques et des passant·es, sans rien attendre en retour. Poétiser la rue, quoi !

curiosite de roger, on voit un camion avec des ailes sortir d'un dome sur lequel est poséee une araignée et la signature du blaze de l'artiste
Les Curiosités de Roger – Rennes (octobre 2024 / polly)

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Né à Quimper, Roger a passé près de huit ans à Rennes, ville qu’il chérit toujours autant, même s’il navigue aujourd’hui entre la Bretagne et Paris. « J’adore cette ville, son ambiance, ses rues », nous confie-t-il. Rien ne le prédestinait à l’art sinon des parents curieux, qui l’ont initié très tôt à la richesse des musées et des salles de cinéma. Et son tout premier terrain de jeu, c’est la photo. Une photo brute, parfois crue, qui bouscule. Il cherche à faire réagir, à provoquer. Et ça marche ! Il en est d’ailleurs le premier surpris. Puis viennent la vidéo, le collage, la sculpture. Un parcours libre, nourri par une solide formation à travers des études universitaires, et des expériences professionnelles, notamment aux côtés de compagnies de spectacles vivants. Il crée surtout avec ce qui lui tombe sous la main, sans trop se poser de questions. Bref, Roger touche à tout, avec instinct et passion. C’est dans cette joyeuse ébullition frénétique qu’émergent Les Curiosités de Roger. Un projet d’art urbain né d’un besoin presque viscéral : créer, et partager hors des cadres habituels. Mais pour cela, il lui faut une identité visuelle forte. Alors, le trentenaire s’applique à faire mûrir son projet. Consciencieusement.

Car Roger est exigeant. Surtout envers lui-même. Une exigence née du respect qu’il porte à ce terrain de jeu-à-ciel-ouvert qu’est l’espace public, mais aussi à celles et ceux qui prendront le temps de s’arrêter sur ses propositions. « Je ne pouvais pas me permettre de faire n’importe quoi. Même en pleine rue, je savais que je m’inscrivais dans une histoire, avec ses règles, ses repères, ses codes. Il y a un héritage à préserver », nous affirme-t-il. Guidé à ses débuts par une amie proche, déjà rompue aux subtilités du street-art, Roger observe, écoute, apprend. Il traîne dans les expos, échange, s’imprègne. « Je voulais comprendre qui fait quoi, comment, et pourquoi. Je ne voulais pas débarquer sans légitimité », raconte-t-il. Une curiosité insatiable, un souci de bien faire : difficile de lui en faire reproche. Qui a dit que la curiosité était un vilain défaut ?

Les curiosités de Roger (Rennes, Mai 2025)dome sur lequel une araignée est peinte en noir, et une iris dedans
Les curiosités de Roger (Rennes, Mai 2025 / polly)

Après plusieurs mois de cogitation, Roger trouve enfin la forme qui lui convient. Ce sera un dôme, protecteur, tout en rondeur et en volumes, telles des bulles suspendues. « Au début, je pensais dessiner une hirondelle dessus, le dôme pouvant évoquer l’image d’un nid délicatement niché dans un arbre », glisse-t-il. Finalement, il se ravise et choisit l’araignée, créature qui le hante depuis son enfance. À l’intérieur, comme un jouet planqué dans un Kinder au goût chocolat-huile-de-palme, c’est la surprise ! On y découvre des micro-univers visuels singuliers, et personnalisés.

Au début, il colle un peu à l’arrache, sans stratégie. Mais très vite, la réalité du terrain lui tombe dessus. Sans pitié, les pièces s’abîment, disparaissent. Parfois en quelques heures. « Il y a mille paramètres à gérer quand tu colles : l’humidité, l’exposition, la fréquentation, les risques de dégradation… Un jour, j’ai collé à côté d’un bar. Deux jours plus tard, mon dôme était rempli de mégots. Les clients l’avaient pris pour un cendrier ! ». Désormais, ses œuvres grimpent plus haut. Ni tout à fait planquées, ni ostensiblement exposées. Surgissant là où on ne les attend pas, presque en embuscade, mais toujours bien intégrées à l’architecture. À force de pratique, il affine son art, évite les pièges de débutant. Comme ce détail qu’on n’imagine pas : percer un petit trou pour éviter l’inondation et qu’un dôme ne se transforme… en aquarium.

Par contre, entre vandale et street-artiste, le garçon n’a pas choisi son camp. « Aujourd’hui, je ne me considère pas vraiment comme un vandale. Coller un dôme, même si c’est sur de la pierre ancienne, je trouve que cela n’est pas trop intrusif », nuance-t-il. Mais ne vous y trompez pas : le dernier geste n’est que le sommet d’un iceberg créatif bien plus vaste. « Ça ne me prend que cinq minutes pour coller un dôme, mais des heures pour le fabriquer », résume-t-il. Car avant d’apparaître dans la rue, chacun d’entre eux passe par un processus lent, presque méditatif ou au contraire impulsif, fait de découpes minutieuses, d’assemblages sensibles, et d’une bonne dose d’intuition. Chez Roger, l’instinct prime sur la méthode. Il cherche à ressentir, pas à reproduire. « Je veux que le résultat soit parfaitement réussi et que j’en sois pleinement satisfait. Si je sens que ça ne va pas, je recommence. » Il reconnaît volontiers avoir passé des heures à tâtonner, griffonner, raturer, pour faire émerger sa signature, tout comme la forme finale de son pochoir de l’araignée. Anecdote révélatrice, Roger nous avoue avoir hésité à signer une de ses œuvres, car le rendu final ne lui convenait pas malgré plusieurs retouches. Perfectionniste, voire un brin psychorigide ? Peut-être un peu. Il en rit lui-même. Mais  profondément sincère, ça, c’est certain !

*** Galerie composée de photos fournies par Roger ***

Et son exigence paie. À la manière d’une araignée, Roger tisse patiemment sa toile, non seulement sur les murs, mais aussi, hyper-connexion oblige, sur les internets. Son compte Instagram frôle bientôt les 700 abonné·es, dont nous faisons partie. Sa messagerie se remplit régulièrement de messages de soutien et de félicitations. Un jour, une Ukrainienne l’a même contacté pour discuter d’une de ses œuvres mêlant art culinaire et vaisselle d’antan. Elle y voyait une satire religieuse. Une interprétation qui l’a surpris, mais aussi profondément touché. « Elle m’a partagé son analyse et a su mettre des mots sur un ressenti que je n’avais pas encore formulé clairement moi-même. » Ce genre d’échange vaut bien plus que tous les compliments. Comme ces propositions de collaborations qui commencent à affluer, d’ailleurs. Parmi elles, celle de Dr. Bergman, un artiste passé maître dans l’art du trompe-l’œil au pochoir sur d’immenses portes cochères. « Ce gars-là m’impressionne techniquement. Le jour où il m’a écrit, j’étais fou de joie », confie Roger, encore ému.

En réalité, toutes ces interactions l’aident à desserrer l’étau d’un sentiment d’ « illégitimité » selon ses propres mots. Le syndrome de l’imposteur n’est jamais bien loin, à l’écouter. « Quand je crée, je donne le meilleur de moi-même, j’y mets tout ce que j’ai… Mais parfois, je doute. » Un doute qui, chez les artistes, est souvent bon signe. Tant qu’il ne devient pas un frein, il ouvre la voie à la remise en question, à une évolution constante. Et puis l’art urbain est peut-être à l’art ce que le punk est à la musique : inutile d’être un virtuose pour créer, s’exprimer, et toucher ses semblables. Quoi qu’il en soit, malgré ses tiraillements, Roger semble avoir trouvé son rythme. « Cela fait deux ans que je travaille sur ce projet. Au début, c’était un peu à l’arrache, je me testais. Maintenant, c’est presque devenu un boulot à plein temps (rires). Je me suis imposé un rythme : publier tous les trois jours. Ça peut sembler contraignant, mais en réalité, ça m’aide à rester créatif ». Et d’ajouter : « Au tout début, je collais presque une dizaine d’objets par mois. Aujourd’hui, je suis redevenu plus raisonnable, car en moyenne, la fabrication de quatre dômes me prend quasiment une journée entière. »

on voit la degradation d'un dome de Roger, avant present et puis plus rien seul reste le tag du coeur sur le mur
L’art urbain est éphémère… (rue Vasselot, Rennes / polly)

De plus, une fois l’œuvre installée dans l’espace public, rien n’est jamais vraiment terminé. « C’est un jeu de ping-pong, un échange constant entre l’art, et le public », explique l’artiste qui porte une réelle attention aux réactions qu’il provoque. Roger aime guetter celles et ceux qui s’arrêtent, s’approchent, hésitent. « Au début, j’étais obsédé par mes pièces, je revenais les voir, je les bichonnais. Un jour, j’ai photographié quelqu’un qui les contemplait… Un peu par hasard. Et là, j’ai eu un déclic. Ce moment-là, c’était de l’art aussi. » Depuis, il collectionne avec une certaine tendresse ces visages anonymes intrigués, ces postures suspendues, parfois drôles, parfois émouvantes. De dos, le plus souvent. Une manière discrète de prolonger son geste artistique, en révélant tout ce que l’art peut déclencher pour peu qu’on prenne le temps de s’y attarder.

Quant au futur ? Pas de plan sur la comète. « J’aimerais explorer d’autres sens : le son, la lumière… Même les odeurs. En ce moment, je teste un système solaire rue Saint-Georges à Rennes, pour que le dôme s’éclaire la nuit. » Avec son rythme effréné de création, Roger pourrait facilement exposer en galerie, vendre, capitaliser, se faire un nom dans le game du street-art. Mais ce n’est pas ce qui l’anime. Roger ne cherche pas à braquer le projecteur sur lui. Peut-être juste à laisser une trace. « Mes Curiosités sont comme un blaze sur un mur. C’est avant tout une manière de dire qu’on existe. » À sa façon, il redonne à l’art urbain un sens altruiste qui semble se perdre peu à peu. « J’ai toujours des idées. J’ai envie de continuer, aussi loin que possible ! » Nous, on a hâte de découvrir la suite !


Instagram des Curiosités de Roger

Carte des curiosités 


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