Souhaitant poursuivre la PMA entamée avec son époux, aujourd’hui décédé, une femme que nous appellerons Laëtitia (le prénom a été changé pour des raisons d’anonymat, NDLR) a demandé au CHU de Rennes de prolonger la conservation des gamètes mâles. Début avril, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa requête mettant un coup d’arrêt brutal au projet parental. Cette histoire tragique, loin du simple fait-divers, soulève des questions complexes qui concernent la liberté de choix des femmes, l’intérêt de l’enfant et le respect des volontés exprimées par le défunt.
Au départ, une rencontre entre deux adultes que nous appellerons Laëtitia et Maxime*. Et puis, l’amour, le mariage, des projets pleins la tête, et le désir de fonder une famille. Les mois passent, le recours à l’assistance médicale à la procréation s’impose comme pour des milliers de personnes. En France, on estime à environ 1 sur 7 le nombre de couples hétérosexuels en âge de procréer qui consultent pour une infertilité.
Leur parcours médical est déjà bien entamé quand Maxime tombe malade. Gravement. Le diagnostic est sans appel. C’est un cancer. Retour à la case hôpital, mais pour des raisons moins joyeuses. Forcément, la PMA attendra. Maxime se soigne et suite à sa rémission, l’espoir renaît. La procédure reprend son cours. Une date est calée dans l’agenda. L’insémination est prévue pour le mois de juin 2021, à l’approche de l’été… Un signe ? Malheureusement, non. Maxime décède le 12 mai 2021, peu de temps après la consultation d’anesthésie préopératoire.
Après le choc du deuil, vient une nouvelle épreuve pour Laëtitia. En septembre 2022, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes refuse de prolonger la conservation des gamètes de son défunt mari déposées au centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS). Car oui, au contraire de la Belgique et de l’Espagne, et malgré des avancées significatives, la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique interdit toujours la PMA post-mortem. En France, les femmes engagées dans cette démarche n’ont d’autre choix, au décès de leur conjoint, que de détruire ou de faire don des gamètes du couple. « Je trouve cela presque inhumain », affirmait alors l’ancienne sénatrice du Finistère Maryvonne Blondin face à ce constat.
Malgré les barrières législatives qui se dressent devant elle, Laëtitia se bat pour mener à terme le projet d’une vie qu’elle avait initié bien avant que son mari ne tombe malade. Elle dépose un recours auprès du tribunal administratif de Rennes en décembre 2022. « L’infertilité du couple était connue depuis 2017, le projet est donc solidement établi. », rappelle son avocate, Maître Véniard. « C’est toute la spécificité du dossier, l’insémination aurait pu être réalisée à quelques semaines près. » Ce point crucial constituera le cœur de l’argumentation lors de la phase d’instruction. À l’audience, Laëtitia est présente, bien que cela ne soit pas obligatoire. « Venir au tribunal était important pour ma cliente. Elle souhaite ainsi montrer toute sa détermination. », témoigne Maître Véniard.
Malheureusement, les conclusions du tribunal leur sont défavorables. Elles suivent celles du rapporteur public qui estime que « les attestations des proches et médecins produites ne permettent pas d’établir explicitement » le consentement à l’utilisation des gamètes après sa mort. Une thèse que réfute l’avocate de la plaignante : « Ma cliente en a discuté avec son mari avant son décès, bien évidemment. Elle lui a même fait la promesse d’aller au bout de la démarche. Il y a une inadéquation entre le droit qui demande une preuve écrite de l’accord à l’insémination post-mortem, et la situation délicate de la fin de vie. »
La PMA Post Mortem bouscule nos certitudes, touche à l’intime. Elle nous confronte simultanément à deux notions en apparence contradictoires et antinomiques : la mort et la vie. Mais n’est-il pas paradoxal d’empêcher une femme dont l’époux est décédé de poursuivre un projet de PMA avec ses gamètes, alors qu’elle serait autorisée à l’entreprendre seule avec un donneur tiers ? La mort interrompt-elle forcément un projet parental ? Enfin, qu’implique pour le développement d’un enfant le fait de naître dans le deuil ? « Je sais que l’on ne peut pas répondre à toutes les souffrances, répondait la sénatrice Laurence Rossignol, et de poursuivre, à la recherche d’une boussole dans ma tête, je suis revenu à un principe qui marche pour tous ces sujets : l’autonomie des femmes.»
À l’heure où nous publions, Maître Véniard nous confirme qu’il sera fait appel du jugement. « Si notre présentation n’a pas satisfait le Tribunal, nous pouvons la revoir avec ma cliente afin d’obtenir gain de cause. Ce sera tout l’enjeu devant la cour d’appel de Nantes. »
(*) Prénoms d’emprunts
Entretien réalisé avec Maître Véniard le lundi 29 avril 2024.
- Laetitia n’est pas seule. Plusieurs femmes se battent pour changer la loi. Certaines ont déjà mis en ligne plusieurs pétitions pour faire entendre leur voix et celles de toutes les veuves dans le même cas : ici ou là
- Rappelons que seule une fécondation in vitro (FIV) sur cinq aboutit. C’est aussi parfois la dernière chance pour une femme d’avoir un enfant.
- Rappel : à Rennes, le 27 octobre 2016 → le tribunal autorise une insémination post mortem
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