« Joe le taxi, il va pas partout », chantait Vanessa Paradis en 1987. Quarante ans plus tard, cette maxime trouve une résonnance inattendue dans la capitale bretonne. En effet, tel un videur de boîte de nuit filtrant les entrées, un arrêté municipal de 2022 interdit à certains taxis d’opérer à l’intérieur d’une zone géographique bien définie, dénommée zone unique de prise en charge (ZUPC) regroupant les communes de Rennes, Bruz, Cesson-Sévigné, Chantepie, Saint-Grégoire et Saint-Jacques-de-la-Lande. Depuis son entrée en vigueur, le texte divise la profession : soulagement pour les un·es, colère pour les autres. Et pour cause : le partage de la route est non seulement un enjeu de sécurité routière, mais aussi financier.
Aujourd’hui, deux groupements de taxis indépendants, la fédération des taxis indépendants et Taxi Métropole, ont déposé un recours auprès du tribunal administratif. L’audience, prévue dans quelques jours, est très attendue. Le verdict pourrait bien se transformer en une nouvelle épine dans le pied de la majorité. On vous explique tout cela.
En août 2022, alors que Rennes souffre de la canicule et bat un record historique de température, la municipalité prend un arrêté municipal sur la réglementation des taxis en y ajoutant une clause controversée concernant la Zone unique de prise en charge (ZUPC) qui regroupe les 6 communes du cœur de Métropole : Rennes, Bruz, Cesson-Sévigné, Chantepie, Saint-Grégoire et Saint-Jacques-de-la-Lande [i]
Désormais, les taxis sans autorisation de stationnement (ADS, nom administratif des licences de taxis, NDLR) au sein des territoires mentionnés ne peuvent plus prendre en charge de client·es sur réservation à l’intérieur de cette zone sauf si le départ ou la destination se situe en dehors de cette dernière. De nombreuses personnes justifient cette décision par la volonté de limiter une concurrence jugée déloyale. Les licences étant moins coûteuses en périphérie. « Trop de taxis provenant de zones hors ZUPC exercent à Rennes tout au long de la journée », explique le président des Taxis Rennais, Christophe Jan (Ouest-France, édition 13/03/2023[ii]).
En concentrant la majorité des services (hôtels), des entreprises et des infrastructures de transports (gare, aéroport), la ZUPC est une source de revenus substantiels, et suscite de nombreuses convoitises. Sauf que… Les taxis sans ADS au sein de la ZUPC se trouvent pour le coup désavantagés par rapport aux véhicules de transport avec chauffeur (VTC), qui – eux – ne sont pas soumis à cette même obligation. Les VTC peuvent répondre aux réservations quel que soit leur emplacement. C’est ce que fait le groupement UBER qui exploite sa marque partout sans faire l’achat d’une seule licence. L’arrêté municipal n’a donc qu’un effet limité. Pour preuve, deux ans après son entrée en vigueur, une manifestation des chauffeurs de taxi s’est déroulée à Rennes en début d’année pour protester contre la multiplication des VTC (Ouest-France, 30/01/2024[iii])
Mais alors pourquoi alors avoir pris cet arrêté ?
La municipalité agit ici en toute légalité, disposant de l’autorité nécessaire pour réglementer la circulation routière. Elle peut instaurer toutes les mesures restrictives qu’elle juge nécessaire… Mais à la seule condition de ne pas porter atteinte à une norme supérieure. Or, « cet arrêté a été suggéré par l’ancien vice-président d’un groupement de taxis rennais, qui siège également à la commission du syndicat des taxis en négociation avec la ville. », nous confie lors d’un entretien téléphonique Maître Bonte, avocat au barreau de Rennes. Ce dernier défend la société Taxi Métropole qui, aux côtés de la Fédération des taxis indépendants d’Ille-et-Vilaine (FTI35) conteste l’arrêté, et demande son annulation. Ses arguments sont clairs. Partant du postulat que le marché de la « réservation » est distinct de la maraude : VTC, taxis, UBER et autres véhicules de transport collectif léger (dits LOTI, NDLR) sont soumis aux mêmes règles, sans restriction géographique. Cette position, confirmée par le ministère des Transports, ainsi que par le Conseil constitutionnel, pour ne citer qu’eux, devrait selon les autorités de la Concurrence rendre l’arrêté illicite.
Finalement, tout le débat est de savoir si la Ville justifie d’un motif légitime pour exclure de son territoire certains taxis au vu des principes de libre circulation et de libre commerce.
Selon l’avocat, aucun doute possible. L’intention derrière l’arrêté municipal est claire, et « vise uniquement à favoriser des intérêts économiques particuliers, à savoir ceux des taxis affiliés à la ZUPC. » Cette partialité se manifeste bizarrement à travers le site officiel de la municipalité qui ne mentionne qu’un unique groupement de taxis, alors qu’il en existe une dizaine d’autres. (Voir la copie d’écran ci-dessous prise le 22 mai 2024, NDLR)
Autre indice, et non des moindres, lors de la transmission par les services municipaux de l’arrêté pris en 2022 à la préfecture, cette dernière, interloquée à sa lecture, a jugé nécessaire, comme nous le raconte Maître Bonte, d’ « exprimer en retour et par écrit son incompréhension, estimant que celui-ci contrevenait à la législation en vigueur. »
Rappelons pour finir que l’arrivée de la coopérative de taxis indépendants Taxi Métropole en 2019 a provoqué de vives réactions créant ainsi un climat de tension palpable. (gestes déplacés, véhicules bloqués…, Ouest-France, 2019[iv]) Le vice-président du GIE des Taxis Rennais de l’époque s’efforçait pourtant de nuancer ce tableau peu reluisant dans les colonnes du Ouest-France. Mieux, pour illustrer la bonne entente et la saine concurrence, il citait l’exemple d’« un chauffeur de taxi de Pacé qui, sur réservation, prenait un client à Rennes pour le conduire à Cesson ». Preuve qu’avant 2022, un taxi pouvait parfaitement prendre en charge une personne cliente à l’intérieur de la ZUPC, même en dehors de sa zone de rattachement.
CONCLUSION :
Sauf report du dossier, l’audience devant le tribunal administratif se déroulera le 6 juin prochain. Le verdict sera minutieusement analysé par toutes les parties prenantes, y compris par l’opposition des droites rennaises (Libre d’Agir pour Rennes, Révéler Rennes), qui se prépare déjà pour les prochaines élections municipales. La suspicion de favoritisme représenterait une tache indélébile et peu flatteuse pour la majorité actuelle, déjà prise la main dans le sac par la Chambre régionale des comptes[v] pour n’avoir réclamé comme loyer qu’un simple tarif associatif au CPPC pour l’occupation du site de la Prévalaye, où se trouvent le chapiteau du MeM et la Guinguette.
Entretien téléphonique réalisé avec Maitre Bonte, le 20 mai 2024.
[i] Une convention de réciprocité, signée en 2002, unit les communes de Rennes, Saint-Jacques-de-la-Lande, Cesson-Sévigné, Saint-Grégoire et Chantepie. En 2013, Bruz a rejoint cet accord. Grâce à cette convention, les taxis de ces six communes peuvent exercer librement sur l’ensemble de ce territoire élargi.
[ii] ENQUÊTE. Entrave ou régulation : les taxis se déchirent autour d’un arrêté de la Ville de Rennes
[iii] À Rennes, les taxis en colère contre les VTC envahissants
[iv] Rennes. Pourquoi la cohabitation est si difficile entre les taxis ?
[v] Gestion du MeM et de Mythos à Rennes : pourquoi l’opposition a claqué la porte du conseil
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Bonjour,
Je pense qu’il faut vous renseigner auprès des professionnels avant d’écrire des articles. Un taxi sans ADS n’existe pas (hors taxi de remplacement qui sont appelés taxi relais) Du coup votre article n’informe pas correctement vos lecteurs parce que vous partez sur des bases erronées par méconnaissance du sujet.
Cordialement
yann
Bonjour,
Merci pour cet article tout à fait correctement renseigné, bien étayé et précis.
J’incite les bigleux ou les mauvais lecteurs à revoir leur jugement précipité et à comprendre ce qu’ils lisent.
Dans la phrase :
« Désormais, les taxis sans autorisation de stationnement (ADS, nom administratif des licences de taxis, NDLR) au sein des territoires mentionnés ne peuvent… »
Ils faut lire :
les taxis sans ADS au sein des territoires mentionnés ; c’est à dire ceux qui sont munis d’une ADS extérieure aux territoires (6 communes)
Quant aux grincheux répliquant par des insultes, je ne suis ni taxi, ni de de la région Bretagne.
Pour répondre à Yann,
Un taxi relais bénéficie forcément de l’ADS du véhicule remplacé ponctuellement pour réparation. ( Il est remisé en attente et ne peut être utilisé sans ADS). ce que vous dite porte à confusion.
Je vous renvoie à votre connaissance du sujet.
Surtout l’accord des compléments circonstanciels de lieu.
Belle fin de journée
Susyl