[Urbanisme] : Une déambulation dans le jardin du Triangle en guise de nouveau départ ?

En ce mardi 24 mai, alors que le soleil commence sournoisement à céder sa place aux nuages gris-béton, un attroupement inhabituel se forme près de la ferme urbaine du Blosne. Il est bientôt 18 heures, et des habitant·e·s du quartier attendent le long de l’allée centrale. Patiemment. Toutes et tous sont venu·e·s participer à la déambulation organisée par la municipalité dans le jardin du Triangle. Petit rappel des faits.

La butte, la ferme urbaine, le triangle et les tours.

C’est par hasard que des habitant·e·s du quartier Le Blosne ont découvert le projet imaginé par les urbanistes pour « ré-enchanter » le jardin du Triangle : déplacement d’une partie de la ferme urbaine vers la zone humide, arasement de la butte centrale, construction d’un centre médico-psychologique en plein milieu. Bref, c’est un désastre ! Très vite, la municipalité se confronte à une solide opposition citoyenne, et comprend son erreur (lire [Urbanisme] : Le jardin du Triangle, prochaine victime de la densification ?, NDLR). Après une réunion publique houleuse au mois d’avril, une pétition largement partagée, des articles piquants dans la presse locale, la municipalité, acculée, doit revoir sa copie. Pour apaiser les tensions, elle a donc décidé d’impliquer les habitant·e·s dans la réflexion sur le devenir du site. Cela se traduit concrètement par un premier atelier sous la forme d’une déambulation urbaine.

18h10.

Le solide gaillard à côté de nous se marre. « Il y a bien dix fonctionnaires au moins là ! », pouffe-t-il dans sa main droite. Il a raison. Preuve que le dossier est hypersensible, la ville et la métropole sont venues en force avec pas moins de deux élu·e·s : Didier Chapellon, adjoint délégué à la Biodiversité (EELV) et Béatrice Hakni-Robin, adjointe déléguée au quartier du Blosne (Parti-Socialiste-tendance-Non-à-la-NUPES, NDLR), l’architecte-urbaniste du projet de la ZAC, Christophe Cuny, l’architecte-paysagiste, Frédéric Geffroy, sans oublier la cheffe de projets de la ZAC Blosne-Est à la métropole, Clotilde Boulange. D’autres, plus en retrait, sont là aussi pour prendre des notes, et observer. On reconnait deux personnes travaillant au sein de Facteur urbain, un cabinet qui accompagne la maîtrise d’ouvrage pour mener à bien des projets en concertation avec les territoires.

En face, on compte une petite trentaine d’habitant·e·s. Le nombre peut s’avérer faible au vu de l’enjeu, mais il s’explique. Une riveraine interpelle l’adjointe au quartier à ce sujet en critiquant le manque de communication. « Je regrette qu’il n’y ait pas eu plus de publicités faites autour de l’évènement. Aucune affiche, aucun courrier ! Je suis certaine que d’autres personnes seraient venues si elles avaient été mises au courant. », sermonne-t-elle. D’ailleurs, iles sont plusieurs à se plaindre de l’utilisation par la ville du nouveau nom donné à l’ex-avenue des Pays-Bas. « Les gens ne se sentent pas concernés quand on évoque l’avenue Andrée Viollis. » C’est dit !

Le changement de dénomination de l’avenue des Pays-Bas est effectif mais porte uniquement sur la partie Nord de l’avenue (entre le boulevard Oscar Leroux et le boulevard de Yougoslavie). Cette partie se nomme désormais Andrée Viollis. La partie Sud restera dénommée avenue des Pays-Bas.

La ferme urbaine, la butte au loin.

En introduction, Béatrice Hakni-Robin réaffirme le but de ce rendez-vous. Il doit servir à partager le même niveau d’informations sur le projet urbain, et à échanger sur l’ensemble des usages pratiqués dans le jardin. La balade est en quelque sorte un préambule aux futurs ateliers participatifs qui suivront à la rentrée. Reprenant la parole, le volubile Frédéric Geffroy va rapidement lâcher le mot «  co-construire ». On le sait, y a des mots comme ça qui rassure un auditoire.

Avant que le groupe ne se mette en marche, l’adjointe au quartier rappelle le périmètre élargi potentiellement impacté par les futurs aménagements. Ses limites sont formées par le rond-point Léon Grimault, la rue de Hongrie, le boulevard de Yougoslavie et l’avenue des Pays-Bas. Cette indication force le groupe à prendre de la hauteur ou du recul, et évite de se focaliser uniquement sur la future construction du centre médico-psychologique qui fait tant débat. Malin comme tactique ! Et c’est le top départ !


[Urbanisme] : Le jardin du Triangle, prochaine victime de la densification ?


Au total, la balade, longue d’un kilomètre, aura duré près de deux heures trente. Alors non, on vous arrête de suite, la vitesse moyenne n’était pas de 0.4 km/h. C’est juste que de nombreux arrêts ont été effectués à des endroits stratégiques, comme celui près de la mare, ou sous la halle du triangle, ou encore à l’emplacement du projet immobilier Keredes etc. À chaque fois, après une présentation détaillée et fournie soit par Frédéric Geffroy ou par Christophe Cuny, les gens devaient s’exprimer, évoquer leurs attentes, leurs griefs, leurs remarques. Personnellement, on en a retenu trois.

– 1 – Déplacer la ferme urbaine n’est pas anodin…

Et ce, même de quelques mètres seulement ! C’est ce qu’a clairement expliqué la maraîchère, Aline Desurmont. La culture se faisant essentiellement dans des bacs, le fond de ces derniers sera régulièrement sous des centimètres d’eau si on les déplace plus au sud, près de la mare. Le jardin est par endroit très marécageux et humide. « Un camion qui effectuait une livraison s’est embourbé un jour sur ce terrain.», se remémore-t-on.

La ferme urbaine sous un ciel bleu

– 2  – Le préau est une « verrue ».

S’il y a bien une chose à réaménager et qui fait l’unanimité, c’est le préau ou la halle du Triangle. « Ce lieu est immense et désert. », entend-on derrière nous. « C’est ici qu’il faut construire le CMP. », rigole-t-on de l’autre côté.

Tout le monde s’accorde à dire que rien ne permet d’investir cet immense espace tristounet et vide.  Oh, quelques jeunes viennent encore se dégourdir les jambes après l’école. Mieux, quand le soleil tape fort, on apprécie l’ombre et la fraîcheur qui s’y trouve.  « Les jours de pluie, on ne s’entend plus tellement le cliquetis des gouttes de pluie résonne. », rapporte cette habitante. Mais hormis ces rares exceptions, beaucoup regrettent l’absence d’animations. « Je me rappelle un festival de musique classique, et aussi de jazz. », nous chuchote à l’oreille notre voisin. Et puis, « il n’y a rien pour s’assoir ! » peste cette charmante vieille dame, assise de manière inconfortable sur le muret.

Inauguré en 1985, réalisé par l’architecte Jean Le Berre, le lieu semble obsolète et ne répond plus aux attentes actuelles. Différentes suggestions sont proposées, même celle de supprimer cet immense toit enchevêtré. « Tout est possible », répond Béatrice Hakni-Robin. On sourit discrètement. L’adjointe est d’humeur généreuse, et ne veut surtout pas froisser son public !

Halle du triangle

– 3 – Para bailar la rambla ! (lire vite avec l’air de “La Bamba”, NDLR)

Rennes ne jure aujourd’hui que par les guinguettes et… les ramblas. Guinguette de la Basse-cour, guinguette au bord de la Vilaine, guinguette au parc des Bois, guinguette au cœur de l’Hôtel-Dieu, rambla du mail Mitterrand, rambla à Baud-Chardonnet, rambla de l’avenue janvier. Bien sûr, le Blosne n’y échappe pas. « Une rambla a un point de départ et un point d’arrivée. On pourrait imaginer le départ devant le Triangle, avec un café et une terrasse, et l’arrivée autour de la place de Zagreb, sous un marché couvert. », imaginait déjà en 2011 l’urbaniste Christophe Cuny. À côté des immenses palissades de chantiers, ce dernier explique la volonté d’entourer le jardin du Triangle en récupérant des voies de circulation dédiées aux voitures pour les redonner aux piéton·ne·s. « L’idée est d’élargir le terre-plein, de déminéraliser ces espaces importants, et de dilater les dimensions du jardin sur l’extérieur. » C’est pour cette raison que le boulevard de Yougoslavie et l’avenue des Pays-Bas sont passés de deux à une seule voie. Globalement, les habitant·e·s approuvent, mais restent méfiant·e·s sur la sécurité. Les futures ramblas sont accolées à de grands axes routiers.

« C’est quand même pas la même chose ni la même qualité que d’avoir un parc protégé de la route, et un parc en bord de route. », brocarde ce rennais. Novlangue oblige, Rennes n’hésite pas à utiliser le terme de “plage” pour nommer le terre-plein central dans le nouveau quartier Baud-Chardonnet (relire : « Plage urbaine », « trame verte »… parlez-vous le marketing territorial ?, NDLR ). On reste donc méfiant à la voir exploiter le mot “jardin pour désigner ces futurs emplacements sur lesquels des arbustes en pot et un gazon synthétique auraient été ajoutés.

« Ceci n’est pas une rambla »

20h15.

Le groupe s’étire de plus en plus, se disperse. La gamine devant nous en a marre, et boude un peu en traînant des pieds. « On reste encore un peu, c’est important. », lui explique sa mère. Heureusement, c’est bientôt la fin du parcours. C’est à ce moment-là qu’un habitant ose mettre les pieds dans le plat, en posant explicitement LA question du futur emplacement du service pédopsychiatrie du Centre Hospitalier Guillaume Régnier. L’élue de quartier réaffirme que non, à ce stade, rien n’est gravé dans le marbre. « Aucune solution n’est actée, plusieurs possibilités seront étudiées. », précise-t-elle. Ce discours est en contradiction avec la lettre de la Métropole de Mars dernier qui indiquait un dépot du permis de construire pour ce semestre (voir ci-dessous, NDLR). Forcément, ces mots rassurent, et l’ambiance se déride. Mais cela n’empêche pas cette riveraine de manifester vigoureusement sa déception vis-à-vis de la ville qui n’a pas voulu impliquer dès le début les habitant·es du quartier. Il y a des colères saines, dit-on. Celle-ci en était une.

TRAMES – Lettre d’aménagement de Rennes Métropole (Mars 2022)

En quittant le groupe, nous assistons à un échange entre un riverain et Didier Chapellon sur l’éventualité de « fermer » le jardin. La question a bien été posée collégialement quelques minutes plus tôt, mais sous un autre angle : celui de l’écologie. En effet, restreindre la fréquentation, diminuer la réduction des activités humaines permet de préserver la biodiversité. Rappelez-vous combien le confinement a fait du bien à la nature ! Pour autant, la question n’est pas si anodine, car certaines nuits, une ou deux tentes fleurissent sur l’ancien terrain de pétanque laissé à l’abandon. Le lopin de terre se transforme alors en un abri pour des personnes qui n’en n’ont plus.

[Urbanisme] : Une déambulation autour du Jardin du Triangle

 

Conclusion

À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous avons l’impression que la municipalité a mis de l’eau dans son vin. Mieux, qu’elle est prête à faire de larges concessions. Comme ces vilains nuages gris-béton chassés par le vent au-dessus de notre tête, le projet du centre médico-psychologique sur la partie nord du jardin s’éloigne de plus en plus, même si rien n’est officiellement confirmé. Cependant, la volonté des habitant·es de préserver le parc et la ferme urbaine s’est largement exprimée ce soir. Arguments à l’appui. Il va donc être difficile de ne pas en tenir compte. Personnellement, on regrette que l’élu à la biodiversité n’ait pas pris une seule fois la parole pour défendre publiquement cet espace de promenade fréquenté par de nombreuses familles, dédié à l’agriculture urbaine ; que la ville n’ait pas fait son mea-culpa même succinct du genre « Ok, on a fait une erreur, on repart de zéro. », et enfin que la municipalité soit si méfiante pour venir nous titiller sur notre probable compte-rendu.

Et sinon, le futur, c’est comment ?

Dans un premier temps, la ville va renégocier avec la nouvelle équipe du CHGR, leur expliquer la situation qui a bien évolué depuis leur appel d’offre de 2021. Toutes les pistes évoquées devront tenir compte des contraintes des un·e·s et des autres, en termes d’implantation et de calendrier de réalisation des travaux. Ensuite, avec l’aide de Facteur Urbain, Rennes organisera dans les prochains mois des ateliers collaboratifs pour imaginer ensemble l’avenir du site. En attendant, rien n’empêche les citoyen·ne·s d’exiger une modification du PLUi afin de sanctuariser définitivement le jardin du Triangle en une zone naturelle non constructible. Cela tombe bien, une enquête publique est ouverte (jusqu’au 23 juin 2022 inclus, NDLR), et c’est par ici → https://www.registre-dematerialise.fr/3043/observation. Comme dirait l’autre : « un jardin vaut mieux que deux, tu l’auras ! »

PLUi Rennes Métropole

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