Le Blosne, vu du sud. ©Steph35
On le disait la semaine dernière : le Blosne entre dans une décennie de mutations majeures dont il devrait sortir plus dense et plus conforme aux standards urbanistiques contemporains.
Mais changer de décor, est-ce changer de vie ? Ou pour le dire autrement, l’action à venir sur le tissu urbain du quartier est-elle à même d’y améliorer le quotidien des habitants, quand les fins de mois sont difficiles ? Parce qu’au Blosne elles le sont, plus souvent qu’ailleurs.
Noir : quartier du Blosne – Rouge : ZUS du Blosne – Bleu : ZAC Blosne Est
Ainsi, parmi les 17 000 habitants du quartier, plus de 8800 habitent dans la zone identifiée ZUS : Zone Urbaine Sensible. En 2009, 30 % de la population de cette zone était une population à bas revenus, contre 8 % dans l’agglomération rennaise. (1)
En 2009 toujours, dans 3 des 9 îlots qui divisent le quartier lors des recensements (Saint-Benoît, Torigné est /ouest), la moyenne du revenu déclaré par personne tournait autour de 7000€/an – contre plus de 30 000€ trois kilomètres plus loin, au nord du Thabor. (2)
Un projet urbain peut-il modifier ces données ? L’action sur le spatial peut-elle constituer une réponse à des problèmes d’ordre pécuniaire? Il n’est pas facile d’être affirmatif. Le projet urbain est aussi un projet économique, potentiellement riche d’opportunités. La question de savoir si la mue du Blosne profitera économiquement à ses habitants est donc complexe : on se contentera de verser au débat quelques réflexions – et quelques doutes.
Barres vues depuis la rue de Suisse
VERS UN BLOSNE À DEUX VITESSES ?
À trop parler des constructions futures, on en oublierait presque les bâtiments existants. De redoutables défis s’imposent pourtant à eux et notamment aux copropriétés, comme l’explique le sociologue André Sauvage (enseignant à l’IAUR (4) et habitant du quartier) : « Les habitants du patrimoine social bénéficient de logements qui, s’ils restent insuffisants du point de vue phonique, ne posent aucun problème du point de vue thermique : l’investissement y a été régulier. La situation est différente pour le patrimoine de l’accession à la propriété, qui concerne une génération en train de disparaître. Les copropriétés ont souffert de sous-investissement chronique et ont du mal à se moderniser ; elles sont dépassées thermiquement et phoniquement et risquent aujourd’hui de sortir du marché. Un cadre extérieur renouvelé peut modifier globalement l’image du quartier et leur redonner de la valeur. On peut aussi espérer une sorte de mobilisation générale des copropriétaires. Mais ce n’est pas gagné, de toute façon il faudra trouver de l’argent »(5).
Au premier plan : allée de Lucerne, tour de Georges Maillols (architecte rennais à qui l’on doit notamment la Barre Saint-Just et les Horizons)
C’est d’autant moins gagné que le projet prévoit des vis-à-vis directs entre anciens et nouveaux bâtiments, qui risquent de ne pas mettre les premiers à leur avantage. C’est l’avis de deux négociateurs immobiliers installés dans le quartier, qui ont voulu conserver l’anonymat : « Le logement ancien risque plus de gréver le neuf que le neuf n’est susceptible de porter l’ancien. Même si les prix sont attractifs et la proximité du métro valorisante, les résidences sont sonores, il y a beaucoup de locatif dedans et des classes sociales avec beaucoup d’enfants, le quartier est mal vu… La facilité de stationnement était un atout pour ces logements mais aujourd’hui, la ville préempte les parkings (6). Et quoi qu’on fasse, les nouveaux collectifs diminueront forcément la qualité du vis-à-vis et la luminosité des premiers étages »(7).
Pourtant, des habitants se mobilisent et croient possible de saisir l’opportunité offerte par le projet urbain. C’est le cas de Christian Goulias, qui a fondé un groupe de copropriétaires du Blosne au sein de l’Association Rennaise pour la Maîtrise des Énergies dans les Copropriétés (ARMEC) : « Le projet va amener de nouvelles constructions, de nouvelles populations, une image du quartier renouvelée. La montée en valeur de nos biens est possible à partir du moment où une nouvelle dynamique s’engage et si nos habitations sont rénovées ».
La tour Maillols abrite du logement social et a été récemment réhabilitée par Habitat35.
La ville a promis d’aider les « copros » à trouver les aides financières nécessaires et des solutions sont proposées, comme la construction d’un étage supplémentaire en attique pour financer la rénovation de l’ensemble. Pour autant, le mouvement est loin d’être général et les compétences semblent souvent manquer au sein des collectifs privés pour mener de tels projets ; on note aussi une certaine défiance dans le dialogue avec les acteurs institutionnels. Et puis les capacités d’investissement sont souvent très faibles, surtout quand le travail manque…
UNE CHANCE À SAISIR POUR LA FILIÈRE B.T.P. ?
Or aujourd’hui, il tend à se raréfier dans ce qui constitue la première filière économique du quartier : le B.T.P., qui concerne 106 des 500 établissements du Blosne(9). Ce sont souvent de très petites entreprises qui, en plus de leurs patrons, employaient en tout plus de 700 personnes en 2008 (10).
D’où vient la surreprésentation de ce secteur dans l’économie locale ? Elle concerne avant tout la communauté turque (1170 personnes de nationalité ou d’origine turque à Rennes en 1999). Il faut moins y voir le résultat d’un atavisme culturel que la conséquence des liens tissés avec certains patrons bretons, souvent au grand profit de ces derniers : 65 % des migrants turcs travaillent ainsi dans la construction en Bretagne, contre 27 % en France (11).
Le kebab Torigné, un de lieux de sociabilité de la communauté turque.
Or le Blosne risque fort, dans la décennie à venir, de se transformer en vaste chantier. S’agit-il d’une opportunité historique pour le secteur BTP du quartier ? Pour Mustafa Arslan, vice-président de l’Association d’Entraide des Travailleurs Turcs de Rennes (AETTR) (12), rien n’est moins sûr : « Les travaux seront difficilement accessibles aux petites entreprises comme les nôtres, non pas du fait de la complexité du travail mais à cause de la complexité administrative et du manque de réseau. Pourtant la crise frappe très durement nos entreprises et beaucoup d’entre elles sont en difficulté financière… Nous avons parfois l’impression que le gâteau est partagé d’avance et que nous nous battons pour les miettes restantes ! »(13).
Il est en tout cas certain que les grands promoteurs, comme c’est l’usage, gardent un œil en cuisine. Des groupes comme Lamotte, Bouygues ou Arc sont régulièrement conviés à assister au processus consultatif. Patrice Pinson, directeur régional du groupe ARC, confirme que l’accès au marché des artisans locaux sera difficile : « Pour faire une opération complexe et importante, on va vers des entreprises structurées, solides, ayant un bureau d’étude béton intégré ou travaillant régulièrement avec des bureaux d’étude offrant des garanties de pérennité » (14).
Comment faire alors ? Le sociologue André Sauvage et l’architecte afghano-breton Ashmat Frot (ancien proche du commandant Massoud) ont proposé une montée en qualification à travers la création sur le quartier d’une filière dans l’architecture en terre, susceptible d’investir le projet urbain (15).
André Sauvage, Ashmat Frot et Gérard Niay, habitant et ancien directeur d’un centre social. ©Ouest-France
L’idée semble intéressante, bien qu’elle soit aux antipodes d’une culture professionnelle locale très orientée vers le parpaing…
UN QUARTIER POUR LES COLS BLANCS ?
Le salut économique, s’il ne vient pas de la truelle, arrivera-t-il par l’attaché-case ? C’est un des paris du projet urbain. La règle générale est d’affecter quasi-systématiquement les rez-de-chaussée à l’activité plutôt qu’au logement, afin de favoriser la mixité fonctionnelle (16). On prévoit d’ores et déjà d’attribuer des locaux aux nombreuses associations du quartier et aux commerces, à l’issue du grand redéploiement commercial projeté. Restent 30 000 à 40 000 m² que les porteurs du projet entendent réserver à l’activité tertiaire (17), dont 6000 à 9000 m² pour la seule ZAC Blosne-Est (18).
La station triangle (document de travail) © Ville de Rennes / Grumbach / Desormeaux
Tant de bureaux au Blosne, peut-on y croire ? Le quartier a quelques atouts. Frédéric Bourcier, adjoint à l’urbanisme et élu de quartier, ne cesse de le marteler lors des réunions publiques : le métro a fait de ce quartier autrefois périphérique une extension du centre. La proximité sera plus grande encore avec le futur quartier d’affaires EuroRennes, autour de la gare. La situation en entrée de ville en optimise l’accessibilité et le faible coût du foncier peut jouer dans l’arbitrage des entreprises.
De fait, des perspectives semblent déjà se dessiner. Un projet concernant l’économie sociale et solidaire est dans les cartons pour une installation près du Triangle ; un pôle santé est aussi projeté, en lien avec l’hôpital sud, et prévoit notamment l’installation dans le quartier de l’école des sages-femmes. (19)
Des tours de bureaux avenue Henri Fréville ? (document de travail) © Ville de Rennes / Grumbach / Desormeaux
D’autres installations pourraient-elles suivre ? S’il est vrai que le temps de déplacement pour rejoindre le centre s’est considérablement réduit, la distance symbolique avec celui-ci reste importante. Une étude du CBRE (20) (groupe de conseil en immobilier d’entreprise) confirme que les seuls produits qui conservent aujourd’hui toute leur attractivité sont les petites surfaces en hyper-centre. Pour le reste, la tendance est plutôt à la surabondance de l’offre : 134 000 m² de bureaux (dont 30 % de neuf) étaient disponibles dans l’agglomération rennaise fin 2012 (contre 90 000 m² dont 17 % de neuf fin 2011).
À moins d’un retournement radical de la situation économique, c’est loin d’être fini. On prévoit ainsi de construire 125 000 m² de bureaux à EuroRennes, de consacrer 136 000 m² aux activités tertiaires à La Courrouze . Ces mêmes activités devraient occuper, selon les secteurs, entre 25 et 75 % de la surface construite sur les quelque 400 ha urbanisés de ViaSilva (21). Devant ces mastodontes du tertiaire, le Blosne fait figure de Petit Poucet.
Mais qu’on réussisse ou non à stimuler l’activité du quartier, il existe un autre levier pour y élever le niveau de vie moyen : celui qui consiste à jouer la carte de la mixité sociale en incitant une population plus aisée à s’y installer. Est-ce possible ? Est-ce souhaitable ? Ce seront les questions posées par le 3e volet de ce dossier consacré au projet urbain du Blosne, à paraître jeudi 13 juin sur Alter1fo.
Déjà paru :
1-Projet urbain : le Blosne entame sa mue
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Pardonnez moi, mais sauf erre de ma part, la tour Lucerne n’a pas été construite par Georges Maillols mais par l’architecte des 3 ilots de l’avenue des Pays Bas
Ju