Urbanisme et démocratie à Rennes : les leçons du Blosne (1/2)

Sondage municipalesSondage distribué par le candidat FN à Rennes en préparation des municipales 2014

« Donner la parole aux Rennais » est en passe de devenir une véritable obsession chez les candidats aux municipales. Quand le candidat de la droite et du centre veut rendre aux habitants « la parole et l’initiative », que celui du Front national s’exprime exactement dans les mêmes termes, la candidate PS prône quant à elle le « faire ensemble » (1), tandis que les Verts et leurs alliés défendent l’ « initiative citoyenne » (2). À quelques mois des élections, il semble que ceux qui briguent le pouvoir ont déjà hâte de le partager.

Aussi leur adresse-t-on cet amical avertissement : la participation citoyenne est un sujet ardu qu’on n’épuise pas en trois questionnaires et deux réunions publiques. Celui qui la prône serait bien avisé d’avoir quelques idées sur les manières de la mettre en œuvre.

C’est donc dans le souci de se rendre utile qu’alter1fo a voulu tirer les enseignements d’une initiative en cours. Quels enseignements démocratiques peut-on tirer de la concertation menée dans le cadre du Projet urbain du Blosne ?

L’article d’aujourd’hui s’attache à relater le déroulement de cette concertation à travers ses tâtonnements, ses vraies avancées et, malgré tout, ses résultats mitigés. On tentera demain, dans un second volet, d’identifier les choix politiques qui ont entravé la naissance d’une démocratie véritablement participative au Blosne.

Une démarche participative : Pour quoi faire ?

Pourquoi, au commencement , impliquer la population dans un projet urbanistique ? Ce que la loi exige en matière de consultation du public (3), les élus s’en acquittent souvent par le strict minimum. Au Blosne cependant, on a voulu aller plus loin.

Il faut dire que les enjeux d’une telle démarche sont particulièrement importants pour un quartier populaire comme le Blosne : « La participation des habitants à la conception et la conduite de projets peut en effet amorcer une dynamique collective de promotion sociale, en facilitant la construction de normes partagées, la restauration de la confiance entre résidents (ainsi qu’entre ceux-ci et les pouvoirs publics) et en contribuant (…) à l’élévation de leur capacité d’action (…) », affirme le sociologue Renaud Epstein (4).

Square Hautes Ourmes
Square des Hautes-Ourmes, tours

Reste à comprendre ce qu’un promoteur peut, lui, tirer d’une telle démarche. Car au Blosne, les promoteurs sont bien là : dans les réunions, dans les voyages d’étude, en observateurs attentifs quoique peu loquaces. M. Patrice Pinson, directeur régional du groupe ARC, a bien voulu nous expliquer en toute franchise ce qui fondait son intérêt : « C’est assez novateur. Il s’agit d’un processus long, d‘une forme de persuasion – mettez de pédagogie, le terme est meilleur –  à opérer vers la population.(…) Il est important que ce que la ville soumettra soit déjà digéré par la population car le contexte est de plus en plus procédurier. Des projets sont attaqués par les voisins. Les projets partagés évitent ce genre d’écueils et de contentieux qui font perdre du temps. Les contentieux génèrent des surcoûts. Le but d’un promoteur est d’aller vite, il a besoin de vendre vite et de sécuriser l’investissement» (5).

Construire la participation : l’élu Frédéric Bourcier aux commandes

Ce pari astucieux -voire légèrement cynique ? – d’une concertation pacificatrice a pourtant connu quelques accrocs :

Ainsi en 2006, quand une étude est commanditée par la ville au célèbre urbaniste Antoine Grumbach et au paysagiste Ronan Desormeaux : la disparition évoquée des parkings suscite déjà une telle protestation que l’élu de quartier Jean Normand et l’adjoint à l’urbanisme Hubert Chardonnet décident d’abandonner ce projet à la mandature suivante.

C’est donc Frédéric Bourcier qui récupère le dossier après les municipales de mars 2008, portant sur sa seule tête les casquettes de ses deux prédécesseurs. Celui qui est également à la tête du PS départemental (6)  choisit alors d’accentuer l’aspect participatif du projet. Les réunions publiques reprennent fin 2008 ; l’Institut d’Aménagement Urbain de Rennes (IAUR) est appelé à la rescousse pour aider les habitants à formaliser leurs propositions. Un atelier urbain est installé à demeure, sous sa responsabilité, dans le quartier.

Bourcier caravane
Frédéric Bourcier dans la caravane de l’Atelier urbain

En 2010, à l’initiative de Frédéric Bourcier, 100 habitants sont désignés « ambassadeurs » pour faire le lien entre les porteurs du projet et la population. L’ambition affichée est de constituer les habitants en une véritable « maîtrise d’usage », capable de défendre sa vision du quartier face aux deux autres pôles constitués par la « maîtrise d’ouvrage » (la Ville) et la « maîtrise d’œuvre » (le groupement d’urbanisme-paysagisme Grumbach/Desormeaux). Comment rassembler tout ce monde autour d’un travail commun ? En Mai 2010, un bus emmène 90 personnes pour un « voyage d’étude » à Berlin : ambassadeurs, associatifs, professionnels, bailleurs sociaux et bien sûr le très investi M. Bourcier –  « Frédéric », comme l’appellent désormais ses compagnons de voyage.

Sous les rires et les huées

Le 7 décembre 2010, tout se gâte. Devant 400 personnes réunies au Triangle, Antoine Grumbach présente le premier « plan-guide » concernant les implantations futures. Le pape de l’urbanisme courtisé des plus grandes capitales (Paris, Moscou, Londres…) réussit en 30 minutes à retourner contre lui une assistance rennaise pas franchement impressionnée. « Les ambassadeurs présentaient leur travail, d’autres personnes expliquaient pourquoi elles craignaient la densification du quartier ; on n’était pas dans une opposition bête et méchante» raconte Marilou, 76 ans. « Mais Grumbach nous a traités comme des débiles mentaux. Il disait : « Moi je travaille pour l’avenir, il faut évoluer, ici il n’y a que des têtes blanches, la prochaine fois je veux un parterre de lycéens ». Et Bourcier (…) n’a pas pipé mot. Je suis partie écœurée ». Apothéose de la soirée, cette phrase prononcée par l’urbaniste parisien pas très au fait des mentalités locales : « Pour moi, l’avenue Henri Fréville, c’est les futurs Champs-Elysées de Rennes ».
Des rires et des huées qui s’élèvent alors, le projet urbain aurait pu ne pas se remettre  ; il a cependant continué sa route, à la faveur de quelques réorientations salutaires.

Desormeaux_Grumbach_Cuny
Le paysagiste Ronan Desormeaux, l’urbaniste Antoine Grumbach et son collaborateur Christophe Cuny, 02/02/11. Crédit : Jean-Luc Kokel, http://jluk.photoshelter.com 

Antoine Grumbach, pour commencer, s’est effacé au profit de son collaborateur Christophe Cuny, plus ouvert au dialogue.  Les grand-messes publiques se sont poursuivies à un rythme semestriel, rythmant les grandes avancées du projet ; mais l’essentiel du travail s’est déroulé dans le cadre de commissions thématiques où les chargés de mission de l’IAUR ont mis en forme le travail des ambassadeurs et les ont préparés à la confrontation avec des techniciens.

Le dur métier d’ « ambassadeur »

Les ambassadeurs, justement, combien en reste-t-il ? L’AUDIAR, en janvier 2012, recensait 60 personnes demeurées dans le dispositif. En mai 2013, une quarantaine de personnes étaient toujours actives (7); certaines depuis le début, d’autres arrivées en cours de route.
Pour un quartier de presque 20 000 habitants, c’est peu. C’est encore moins si l’on considère que les ambassadeurs, presque tous blancs et plutôt âgés, sont bien peu représentatifs d’un quartier jeune et foncièrement cosmopolite. Pourtant animé des meilleures intentions, ce groupe semble avoir échoué à se mettre en percolation avec la population du Blosne.

Réunion
Réunion publique du 02/02/13, Crédit : Jean-Luc Kokel, http://jluk.photoshelter.com 

Il faut dire que le titre d’ « ambassadeur » s’est vite révélé un fardeau lourd à porter. Le terme est équivoque : les intéressés font-ils l’ambassade du projet urbain du Blosne ou de ses habitants ? Si, sur le papier, l’adhésion au projet n’était pas requise pour devenir ambassadeur, plusieurs d’entre eux se sont sentis obligés de se désengager pour exprimer leur opposition : « Je ne suis pas un porte-parole de la mairie », affirme l’un des démissionnaires (8).
Les autres ont d’autant plus pâti des réactions hostiles de certains de leurs concitoyens, même quand ils s’en voulaient les portes-parole fidèles : « Dans les tours c’est un peu houleux, on est pris à partie. Des bruits circulent qui sont plus ou moins avérés, des informations dont les ambassadeurs eux-mêmes, parfois, ne sont pas au courant ; ce n’est pas facile à vivre », nous raconte l’un d’eux (9).

Quelques ambassadeurs
Quelques ambassadeurs, réunion publique du 02/02/11. Crédit : Jean-Luc Kokel, http://jluk.photoshelter.com 

Ce climat un peu lourd explique sans doute une partie des défections. D’autres facteurs interviennent : le temps long du projet, presque celui d’une vie. Ou encore, le rythme imposé par la maîtrise d’oeuvre, dont les avancées pachydermiques sont constamment en retard sur les questionnements des habitants.

Une concertation innovante dans le paysage rennais

Et pourtant, cette concertation aura enregistré des avancées importantes en regard des faibles standards métropolitains en la matière.

On notera notamment les efforts déployés pour s’extraire du piège de la sempiternelle réunion publique, sorte de grand-messe dont la liturgie est ainsi décrite par la sociologue Marion Carrel : « un décor, des acteurs principaux, des acteurs secondaires et un public chargé le plus souvent d’apprécier le spectacle puis de réagir, en temps voulu, en posant des questions »(10). Un public qui oscille souvent entre des expressions de colère maladroites – la prise de parole dans ces situations n’est naturelle qu’aux décideurs – et le découragement, puis la désertion.

Les animateurs du projet urbain du Blosne ont su en partie contourner cet écueil, de deux manières :

D’abord, l’intervention de l’IAUR aura permis d’atténuer la dissymétrie entre décideurs et habitants impliqués, devenus force de proposition. « On a l’impression d’avoir formé les habitants » explique Flavie Ferchaud, chargée de mission à l’IAUR (11). « Certains n’osaient pas s’exprimer, ne comprenaient pas tout ; maintenant ils sont experts».

Atelier caravane
Estel Rubeillon de l’IAUR et la caravane de l’Atelier urbain square de Bosnie (Juin 2013). Crédit : CR

Ensuite, un effort important a été fourni pour aller au contact des habitants sans attendre d’eux qu’ils fassent le premier pas. Par l’élu de quartier d’abord, dont c’est peu dire qu’il aura mouillé la chemise.
Par les chargées de mission de l’IAUR également, qui ont eu la clairvoyance de déserter leur Atelier urbain installé dans la MJC du Triangle pour sillonner le quartier dans une caravane. « C’est une vraie réussite qui nous permet de toucher de plus en plus de monde » affirmait Flavie Ferchaud (9).

Enfin, la concertation aura bénéficié du temps long dans lequel elle a su s’inscrire pour réinterroger ses méthodes en permanence. « C’était la première condition à notre participation » nous explique Gilbert Gautier, de l’IAUR (12) : « une action de concertation de cette ampleur ne peut se mener que dans la durée ».

 Malgré tout, des résultats décevants

L’étape qui s’achève actuellement est celle des « commissions de secteur » évoquées au début de cet article, qui resserrent la réflexion à l’échelle plus fine des 12 secteurs constituant la ZAC Blosne-est. C’est à cette étape, était-il promis, que les habitants pourraient le plus peser et imposer leurs préconisations. Mais des habitants, combien en reste-t-il dans ces réunions ? Les 6 premières auront réuni  55 habitants différents, avec une moyenne de 10 environ par réunion (13) – et parmi eux, très peu d’ambassadeurs.

Comm-Balkans_Juin 2013
Commission de secteur Balkans animée par Gilbert Gautier (dir. IAUR), Juin 2013. Crédit : IAUR

Est-ce un échec ? Ce n’est certainement pas une réussite à la hauteur des enjeux du quartier. Alter1fo tentera demain d’identifier les choix politiques qui ont pu entraver le potentiel démocratique d’une telle concertation.

—————————-

 

 

La suite : Urbanisme et démocratie à Rennes : les leçons du Blosne (2/2)

 Retrouvez tous les articles du dossier « Projet urbain : le Blosne de demain »

 

1 : Ouest-France, 18/10/13, « Nos priorités : l’emploi, la qualité de vie, la cohésion sociale ».
2 : Ouest-France, 30/10/13, « Europe Écologie part avec la gauche radicale ».
3 : Le recours à la procédure de la ZAC impose la concertation, de même la loi Barnier de 1995 ou la convention signée en 2006 entre la Ville et l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU).
4 : DONZELOT J. (dir), À quoi sert la rénovation urbaine ?, coll. La ville en débat, PUF, 2012
ANRU : mission accomplie ? – Renaud Epstein
5 : Patrice Pinson, groupe ARC. Interview réalisée le 29/05/13
6 : De 2003 à 2012.
7 : Entretien avec Flavie Ferchaud, chargée de mission pour l’IAUR, 15/05/13
8 : AUDIAR, 2012, Les ambassadeurs du projet de quartier du Blosne
9 : Interview réalisée le 22/05/13
10 : CARREL Marion, 2013, Faire participer les habitants ?, Lyon, ENS.
11 : Entretien réalisé le 15/05/13
12 : Entretien réalisé le 18/09/13
13 : Comptage établi à partir des compte-rendus des commissions de secteur disponibles ici : http://blosne.rennes-blog.org/les-commissions-de-secteur/

1 commentaires sur “Urbanisme et démocratie à Rennes : les leçons du Blosne (1/2)

  1. Gérard Bricet

    Article très intéressant. Cependant une petite erreur le Triangle est tout sauf une MJC. On peut même dire que c’en est le contraire. D’ailleurs l’histoire de cet équipement est intéressante, son implantation et son évolution étant caractéristique d’une certaine dérive du socio-culturel vers le culturo-culturel sous l’influence d’une certaine petite bourgeoisie.

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires