Un village, des arbres et des histoires d’eau : le documentaire de Brigitte Chevet à ne pas manquer !

Mardi soir dernier1, l’auditorium des archives départementales d’Ille-et-Vilaine2 affichait presque complet. Seules quelques places étaient encore disponibles pour assister à l’avant-première du documentaire Le village qui voulait replanter des arbres, réalisé par la Rennaise Brigitte Chevet. Parmi le public, élu·es du département et de la ville, salarié·es du monde agricole et militant·es écologistes s’étaient donné rendez-vous pour découvrir cette immersion au cœur d’une initiative exemplaire.

Le village qui voulait replanter des arbres

Le village qui voulait replanter des arbres

En 52 minutes, le film nous entraîne à Martigné-Ferchaud, petite commune bretonne située à 50 kilomètres de Rennes, qui a décidé de relever un défi de taille : restaurer son bocage pour améliorer la qualité de l’eau. Un enjeu crucial, alors que 97 % des masses d’eau du département sont aujourd’hui considérées comme dégradées3. La solution ? Replanter des haies, un objectif poursuivi dans le cadre du programme régional Breizh Bocage4.

Une réparation historique, en somme. Car depuis le milieu des années 1950, la France a sacrifié trois quarts de ses haies sur l’autel du remembrement agricole. Bulldozers et pelleteuses ont façonné un paysage destiné « à favoriser les gains de productivité dans l’agriculture5 », au mépris des équilibres naturels. Résultat de ces excès : biodiversité en berne, sols fragilisés, destruction de zones humides, et ruissellement des eaux5. Un héritage lourd de conséquences, que la journaliste Inès Léraud a très récemment documenté également dans sa bande dessinée Champs de bataille.

Malgré les mises en garde répétées des scientifiques et des citoyen·nes, le saccage a longtemps continué. Aujourd’hui, les comparaisons de photographies aériennes selon les périodes sont édifiantes. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil ou les yeux sur le site remonter le temps disponible gratuitement en ligne.

remonterletemps.ign.fr
remonterletemps.ign.fr

Mais replanter ne va pas de soi. Entre freins économiques, résistances culturelles et enjeux politiques, la bataille pour le bocage est semée d’embûches. L’entretien des haies est souvent perçu comme une contrainte. Un fardeau économique, dont les bénéfices, bien que réels, tardent à se faire sentir. Sans compter le ressentiment de certain·es agricult·eur·rices, lassé·es d’être « flicé·es en permanence », pestant contre ces réglementations qu’iels jugent envahissantes.

Ce qui fait la force du documentaire, selon nous, est son approche humaine. À travers le parcours de Léa Legentilhomme, technicienne bocage à Roche aux Fées communauté, on découvre un métier méconnu mais crucial. Dans un milieu majoritairement masculin, la jeune femme accompagne les agriculteur·rices vers une transition encore hésitante, même si les résultats sont là. De toute manière, on n’a pas le choix. Brigitte Chevet capte ainsi avec justesse ces visages du changement, ces habitant·es qui refusent la fatalité. Le film redonne un peu d’espoir. Mais est-ce suffisant ? Car pendant que certain·es replantent, d’autres continuent d’arracher. 20 000 km de haies disparaissent chaque année en France.6 Et puis, il y a cette séquence qui nous a marqué. Celle de cet agriculteur en difficulté pour nommer l’essence des arbres de sa propre parcelle. Comme un symbole du déclin des savoirs et des connaissances, de la rupture consommée avec une terre autrefois si familière.

Pour conclure, on quitte la séance ravi par un film qui éclaire et met en garde contre l’inaction, ou pire, tout retour en arrière. Récemment, par exemple, certain·es élu·es se dresssent contre la loi ZAN7 (zéro artificialisation nette), qui impose aux communes de réduire de moitié le nombre d’hectares artificialisés entre 2021 et 2031, par rapport à la décennie précédente. Gardons en mémoire que le remembrement, imposé par l’état français, a profondément remodelé les campagnes françaises, sacrifiant paysages et biodiversité sur l’autel du rendement. Une vision productiviste qui a fini par fragiliser l’agriculture elle-même, et étouffer le « bon sens paysan ».

Le documentaire est d’actualité et rentre en résonance avec les inondations actuelles spectaculaires que nous subissons dans le département. Mikaël Le Bihan, inspecteur de l’environnement et spécialiste des milieux aquatiques à l’Office français de la biodiversité (OFB) en Bretagne en 20238, rappelle que « 90 % des cours d’eau ont été curés, élargis et/ou canalisés – souvent en ligne droite – lors des politiques de remembrement agricole et des travaux hydrauliques menés dans les années 1980-1990 ». Une transformation majeure du paysage qui a contribué à l’aggravation des sécheresses mais aussi des inondations.

28 janvier 2025 aux Archives Départementales d'Ille-et-Vilaine

PS : Ce n’est pas la première fois que cela se produit lors du temps d’échange suivant la diffusion du film. On constate régulièrement que les hommes monopolisent largement la parole, réduisant ainsi l’espace pour les interventions féminines et limitant la diversité des points de vue exprimés ou des questions.


1. 28 janvier 2025
2. https://archives.ille-et-vilaine.fr/
3. https://www.ille-et-vilaine.fr/projet-mandature/accelerer-les-transitions/eau-et-milieux-aquatiques
4. https://www.bretagne.bzh/presse/communiques-dossiers/breizh-bocage-valoriser-davantage-les-bienfaits-environnementaux-du-bocage/
5. https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/remembrement
6. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-question-du-jour/pourquoi-les-haies-ont-elles-disparu-des-campagnes-9620305
7. https://www.arte.tv/fr/videos/124256-000-A/france-la-loi-zan-remise-en-cause/
8. Edition Ouest-france du 30/01/2025

Le documentaire sera disponible sur France Télévision à partir du 14 février et diffusé sur France 3 le 20 février, puis sur Public sénat.

  • Résumé du film:
    Dans un village breton, la qualité de l’eau est tellement catastrophique que la municipalité soutient la replantation volontariste de haies. Des arbres qui ont été arrachés… quelques 40 ans plus tôt, lors du remembrement agricole. Avec la technicienne bocage qui s’occupe de ces replantations, parfois avec difficultés, se dessine le rôle fondamental des arbres pour la qualité de l’eau et des sols, la biodiversité, le climat et l’indépendance énergétique.

 

 

 

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires