Main dans la main, la municipalité et Aiguillon Construction aménagent La Poterie à leur image…

Mardi dernier, Aiguillon Construction présentait une version modifiée de son programme immobilier du 171 rue de Vern aux copropriétés avoisinantes. Pour rappel, le constructeur (et gestionnaire de logements sociaux) tente depuis plus de deux ans maintenant de forcer lancer le début des travaux de son nouveau siège social. Mais ce projet ne fait pas l’unanimité chez les riverain·e·s du quartier, bien au contraire ! Face au manque de concertation et de dialogue, de nombreux désaccords persistent.
Curieux et impatient d’avoir les avis des un·e·s et des autres suite à ces derniers changements, on s’est incrusté à la réunion d’information. On vous raconte tout ça !

NDLR, pour le contexte, on vous encourage fortement à (re)lire les article « Trop haut », le projet Aiguillon fait débat ! et À la Poterie, trois petits tours et puis revient… le passage en force de la municipalité !

Salle du Landry, lieu du Rendez-Vous.

Quelque part, à peu près vers 18h12 le 05 octobre 2021

Arrivés en avance, quelques groupes d’habitant·e·s se forment à l’entrée de la salle prévue pour accueillir la rencontre. On se salue. Covid oblige, le plissement des yeux et le hochement de tête remplacent désormais la bise et la poignée de main. On en profite pour prendre des nouvelles des un·e·s et des autres. « Tiens, Vincent** a une béquille… », s’inquiète-t-on par ici en voyant un voisin arrivant clopin-clopant. « Evelyne** arrivera en retard, elle est bloquée à son travail… », annonce-t-on par là. Rapidement, la Une du magazine Le Mensuel consacrée aux tours et immeubles qui poussent à Rennes comme de la mauvaise herbe fait réagir. Et pour cause. C’est tout l’enjeu de la réunion de ce soir. Depuis plus de deux ans maintenant, les riverain·e·s de la rue de Vern s’opposent au projet gargantuesque de réaménagement du siège social d’Aiguillon Construction.

Nous, bermuda et petit sweat, on se les gèle dehors. L’été est bel et bien fini. Du coup, on ne s’attarde pas trop, et rentrons à l’intérieur, la goutte au nez. Une feuille d’émargement posée sur une table est là pour nous accueillir.  « Pas envie de me retrouver sur des listes noires pour être évincé d’un jury de la charte de la construction ! », grommelle-t-on derrière-nous. Certain·e·s ne la signeront pas. Tout comme nous. Dans la pièce, Fréderic Bourcier, délégué au quartier Francisco-Ferrer-Landry-Poterie tout de noir vêtu, est déjà assis au premier rang tel un bon élève discipliné. Il est rejoint quelques minutes plus tard par Marc Hervé, VRP et responsable du service après-vente de l’hyper-concentration rennaise.

En attendant le début des hostilités, les deux comparses s’entretiennent avec le DG d’Aiguillon, Frédéric Loison, et l’architecte  Jean-Pierre Leveque (de l’atelier d’architecture Brenac & Gonzalez). On aimerait savoir ce qu’ils se disent mais de là où nous sommes, impossible de capter quoique que ce soit. En tout cas, il est intéressant de constater que les élu·e·s semblent plus à l’aise à discuter avec les promoteurs plutôt qu’avec leurs administré·e·s qui attendent patiemment, assis·es sur leurs chaises. « Nous ne sommes pas du même camp ! ». Allez savoir pourquoi, mais l’image de cette sortie grotesque du préfet Didier Lallement nous revient en tête juste à ce moment-là !

Aiguillon Construction, La Poterie

La réunion débute avec les mots du directeur général. Micro à la main, la voix est posée, calme, et les mots soigneusement choisis. Le ton est vite donné.  « On vous a écouté·e·s, on a retravaillé le projet. » Ça caresse dans le sens du poil. Le monsieur Loyal de la soirée énumère les différents points de frictions qui ont tous été revus à la baisse. Moins de hauteur, moins de logements, moins de bureaux, moins de profondeur. Avec son air paternaliste faussement rassurant, on se laisserait presque bercer par cette douce musique réconfortante. Sauf que non. Toutes ces modifications n’ont pas fait l’objet de concertations, ni  d’échanges avec les riverain·e·s. A aucun moment, leurs suggestions n’ont été prises en compte. D’ailleurs, le DG ne s’en cache pas, quitte à devenir arrogant, en avouant dans la presse+d1fos que l’ « objectif n’était pas de trouver un compromis avec les habitants. Plutôt de trouver un équilibre économique… » Certain·e·s pensent « humain d’abord », d’autres « équilibre économique ». Choisis ton camp, camarade !

Vient alors le tour de Marc Hervé. Le passage de témoin, pardon de micro, entre le promoteur et l’élu est une belle allégorie du système urbanistique actuel. Dans un costume bleu azur impeccable, l’adjoint à l’urbanisme et conseiller délégué aux formes urbaines à la métropole, est aguerri à ce genre d’exercice. D’un ton monocorde et professoral qui peut facilement agacer, il déroule et enchaîne ses arguments afin de plomber toute velléité de contestations. On vous la fait courte. « Rennes doit accueillir de nouveaux habitants pour maintenir sa croissance et ses services publics. Il faut construire entre 1500 et 2000 logements par an et le seul moyen de le faire tout en préservant le modèle de la ville Archipel et les terres agricoles est la densification. On ne peut pas faire autrement. » Point barre. On s’est demandé s’il ne s’était pas trompé dans l’ordre de ses fiches, car cela ressemblait plus à une conclusion qu’à une introduction.

La salle reste attentive malgré tout. Beaucoup prennent des notes, les smartphones sortent parfois des poches et des sacs à main pour prendre en photo les images inédites et autres vidéos immersives projetées par l’architecte, Jean-Pierre Lévèque, qui s’amuse avec son logiciel. « Vous voyez là, je peux simuler la météo que je veux. Voyons voir… en décembre, je mets de la pluie ? Vous n’avez pas de neige à Rennes, hein ? », s’interroge-t-il tout haut.

Prise de notes… recto/verso

En tout cas, les illustrations sont, comme d’habitude, soignées. Elles nous montrent les alentours de la rue de Vern imaginés par le bailleur une fois son complexe immobilier érigé. La nature y est massivement présente et à l’inverse, les voitures ont quasi disparu. « Ça ressemble à un dimanche matin en plein été », rigole-t-on par ici. Une personne du collectif NANSSA se retourne vers nous et nous fait un clin d’œil. On repense forcément à ce que nous écrivions au sujet des visuels utilisés en 2019 lors de la première réunion publique. Nos propos restent encore vrais aujourd’hui. « On dirait une publicité pour Center-Park.  Personne n’est dupe. » Les architectes aiment les images, sauf que certain·e·s s’en servent pour concevoir, quand d’autres s’en servent pour séduire… quitte à sublimer la vérité(+d1fos). Notre voisin, qui a sans doute tiqué comme nous, tente bien une intervention mais peine perdue. Il est vite recadré. L’heure des questions-réponses, c’est à la fin des discours. Là, ce n’est pas le moment. Non mais !

C’est au tour de Christian Chopperis de blablater. Encore un homme… Décidément. Ce dernier retrace l’historique du projet lancé depuis 5 ans déjà. Son énumération bourrative et quelque peu indigeste n’a pas lieu d’être puisque tout le monde est au courant de ce qu’il se trame. Et ce n’est pas grâce à lui, ni à Aiguillon Construction mais bien grâce au travail précieux et aux nombreux relais du collectif NANSSA. À son écoute, on comprend que, selon lui, les blagues les plus courtes sont les meilleures et qu’à présent, fini de rigoler, il faut avancer. Le permis de construire sera donc déposé dès le premier trimestre 2022, avec un démarrage des travaux dès la fin de l’année prochaine. Un ange passe. Ne vient-on pas de nous informer involontairement qu’il n’y aura plus aucune réunion de concertation d’ici là, comme le prévoit précisément la Charte de Construction et Citoyenneté (Page n°14 et 15) signée de la main d’Aiguillon Construction ? Petit réconfort, c’est au moment de sa prise de parole que le dialogue va vraiment débuter. Enfin dialogue, entendons-nous bien. Disons l’ « écoute passive ».

Une femme, assise derrière nous, tente de comprendre le chiffre des 1500 logements par an. Pour qui ? Pour quoi ? Dans quel but ? Elle relance Marc Hervé, qui, imperturbable, ne lui répond qu’avec des mots comme « Insee », « croissance »,  « démographie ». Ce monsieur au milieu de la pièce explique ensuite que l’ombre portée par les nouvelles tours, même diminuées de quelques étages, augmentera indubitablement le coût annuel de chauffage. Les simulations le démontrent, tous les bâtiments parallèles au boulevard Hutin-Desgrees sont plongés dans l’obscurité dès le début de l’après-midi des mois d’hiver. Sa voisine n’est pas en reste, et exprime ses craintes. « Je n’ai pas envie de vivre avec la lumière allumée en permanence.   Vous faites de la publicité pour vendre vos appartements en mettant en avant leur côté hyper lumineux alors qu’ils engendrent de l’ombre sur nos terrasses et nos balcons. » L’architecte ironise : « Vous restez sur vos balcons ? En hiver ? »

Rue Abbé Henri Grégoire

Rien n’y fait. En face, ça tient bon et ça cloisonne. Marc Hervé n’hésite pas à se lever pour intervenir et défendre lui-même le projet. Il tentera même un instant l’empathie avec du « je vous comprends, j’ai vécu la même chose » en évoquant sa jeunesse passée au Landry, un quartier qui a vu ses derniers champs de maïs se transformer en habitations. C’est un flop général. À l’inverse, Frédéric Bourcier reste muet et impassible. Du moins, on le suppose vu que nous ne l’avons vu que de dos. À l’heure où nous écrivons ces lignes, on cherche encore la raison de sa présence. Peut-être était-il le seul à avoir les clefs de la salle mise à disposition par la ville ? Peut-être était-il là uniquement pour éviter qu’on lui reproche son absence, comme ce fut le cas en 2019 avec sa collègue et ex-élue de quartier, Catherine Debroise ? 

Finalement, l’ambiance reste relativement calme tout du long. Presque terne. Quelques invectives éclatent comme des étincelles, mais vite éteintes. Nous, planqué au fond, en train d’agoniser à cause de ce fichu courant d’air qui nous masse le cou, on ressent une lassitude chez certain·e·s. On imagine qu’après des heures passées à se documenter, à alerter, à lancer des pétitions, et à mener un combat judiciaire contre le PLU, la fatigue se fait ressentir face à ce bloc Aiguillon-Ville-de-Rennes. C’est l’impasse. « On nous a présenté ces annonces comme des gros efforts qui découlaient de la concertation avec nous mais, en réalité, il n’y en a jamais eu. À aucun moment on nous a donné la possibilité de définir ensemble la manière d’impacter le moins possible le voisinage », avoue Françoise du collectif NANSSA (+d1fos)

Rue de Vern, derrière le siège social Aiguillon Construction

En fin de soirée, on nous achève avec l’intervention ubuesque d’un salarié d’Artefacto. Pour celles et ceux qui ne le savent peut-être pas, Artefacto est une société rennaise spécialisée dans la réalité augmentée, la réalité virtuelle et la visualisation 3D. En 2018, sa présidente, Valérie Cotereau, affirmait sans rire qu’elle était « contente que le leitmotiv ne soit plus le logement social à Rennes. +d1fos » On rigole donc intérieurement de voir la start-up venir épauler le bailleur social. La perspective d’un nouveau marché doit sans doute servir de pince-nez. Mais fermons ici la parenthèse.

On nous présente donc une application destinée à mettre des « likes », des « pouces bleus » ou des « abonne-toi » sur des documents publicitaires interactifs fournis par les promoteurs eux-mêmes. En vrai, on n’a pas bien compris à quoi cela servirait, mais ce n’est pas bien grave. N’empêche, la concertation citoyenne de la Tartuffe-Nation semble être déjà dans les starting-blocks, prête à surgir. « Tout le monde pourra répondre au sondage, interagir… », s’enthousiasme l’homme-tiens-encore-un-mec-dont-on-a-pas-retenu-le-nom. Sauf que, non, répétons-le, seul·e·s 77 % des Français·e·s sont équipé·e·s d’un smartphone en 2019 sans oublier que 20 % d’entre elles·eux sont victimes d’illettrisme numérique+d1fos. Mais flemme de prendre la parole !

Au contraire de nous, une femme la prend, pour une dernière intervention. Elle résume parfaitement l’essentiel. « il s’agit ce soir d’une nouvelle présentation d’un projet déjà ficelé sans consultation des habitant·e·s. Aucune réponse aux problématiques que nous avons soulevées ne nous a été donnée. De plus, nous militons pour une consultation élargie à l’échelle du quartier, ce qui n’est toujours pas le cas. Nous comprenons  le besoin de construire mais du R+6 réparti différemment aurait pu faire consensus. Comme ce qui est fait par votre propre équipe, square de l’Europe dans le quartier Maurepas.  Mais vous en avez décidé autrement. On n’érige pas d’un coup douze étages dans un quartier résidentiel limité à quatre ! Nous continuerons donc le combat et lancerons une nouvelle pétition. » Debout, Marc Hervé ne bronche pas, au contraire. « C’est votre droit, bien entendu », répond-il. Il y a des faux-semblants qui ne trompent pas. Intérieurement, il savoure sans doute la réussite de cette soirée. Comme un goût de victoire ou peut-être de revanche même si personne ne l’avouera. « Nous ne sommes pas du même camp ! ». Allez savoir pourquoi, mais l’image de cette sortie grotesque du préfet Didier Lallement nous revient une nouvelle fois à ce moment-là !

La séance se termine.

Avant de quitter la salle, chacun·e imbrique sa chaise dans celle de son voisin ou de sa voisine. Plusieurs tours de Pise se forment au fond de la pièce. À l’extérieur, on s’excuse auprès de nos connaissances de devoir se sauver si rapidement. En même temps, on n’a toujours pas réussi à se réchauffer et on n’est plus bon à rien. « On ne lâchera pas, on ne fera pas marche arrière. Attention à ne pas présumer trop vite de l’issue… », nous rassure un des « piliers » du collectif NANSSA. Un recours contre le permis de construire serait d’ores et déjà à l’étude. On lance la promesse de se rappeler en signe d’au revoir, et on s’en va récupérer notre vélo, laissant derrière nous celles et ceux que la municipalité n’entend plus. Dans une nuit plus tout à fait noire à cause des énormes spots lumineux qui éclairent les nombreux chantiers de BTP, nous traversons la ville. C’est triste. Celle-ci ne se dévoile plus qu’à travers les palissades de travaux. Même l’horizon, ils ont réussi à nous le voler.

Anthony, membre du Collectif NANSSA a répondu à nos questions : 

 

intersection rue P. Féval / L. Blériot, Rennes. 18/12/2015

** prénom modifié

Musique : extrait Emilie Loiseau « The egg »

À la Poterie, trois petits tours et puis revient… le passage en force de la municipalité !

« Trop haut », le projet Aiguillon fait débat !

 

 

1 commentaires sur “Main dans la main, la municipalité et Aiguillon Construction aménagent La Poterie à leur image…

  1. Le Coz

    Il fait 12, 5 degrés dans l’appartement rue du docteur Roux

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