Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso à tout va ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? Bienvenue dans notre calendrier de l’Avent Altérophile ! Tous les jours, jusqu’au 24 décembre, une idée de truc en papier à mettre sous le sapin. Bon pour l’âme, bon pour nos petits libraires-amis, bon pour nos neurones. Second round !
Et si le plus beau livre de 2018 était une énorme bande dessinée de plus de 400 pages, griffonnée au bic par une américaine totalement inconnue avant sa sortie ? Le premier tome de Moi, ce que j’aime, c’est les monstres d’Emil FERRIS, sorti chez nous fin août aux éditions Monsieur Toussaint Louverture, aura au moins été pour nous un des plus beaux chocs littéraires de cette année.
Il y a la genèse du livre.
Au début des années 2000, alors qu’elle (sur)vit de petits boulot d’illustrations de jouet ou dans l’animation, la chicagoenne Emil Ferris est piquée (pendant la fête de son quarantième anniversaire!) par un moustique qui va lui transmettre une cochonnerie virale qui lui vaudra trois semaines de coma et une condamnation des médecins à ne plus marcher ni dessiner. Avec l’aide des femmes fortes l’entourant (sa fille, ses amies et sa thérapeute) Emil va se battre, allant jusqu’à se scotcher un stylo à la main pour arriver à dessiner de nouveau. Un combat qui se terminera de la plus belle des manières puisque cette autodidacte finira pas s’inscrire au Chicago Art Institute pour finalement en sortir diplômée. Elle s’attaque alors à une monstrueuse œuvre de 800 pages. Après moult refus d’éditeurs et un cargo transportant le premier tirage qui a failli finir au fond de l’Atlantique, le premier tome sort au Etats-Unis chez Fantagraphic en février 2017 et connaît un succès critique foudroyant.
Il y a aussi l’éditeur.
Suite à de nombreux articles et nominations, nous avons longuement hésité à nous procurer Moi, ce que j’aime, c’est les monstres en version originale. Et puis, nous avons appris que la version française serait assurée par les éditions Monsieur Toussaint Louverture. Nous sommes de grands fans de la sélection très « intense » d’ouvrages de ce vaillant petit éditeur qui a d’ailleurs pris beaucoup de risques pour sortir ce volume. Nous vous reparlerons sans aucun doute de quelques uns de leurs livres dans ce calendrier de l’avent. Nous apprécions également le grand soin apporté à l’aspect physique de leurs sorties. Nous avons donc attendu.
Il y a l’objet.
Nous avons bien fait. Avec ses 412 pages en forme d’immense carnet à spirale et sa couverture sur laquelle la mystérieuse Anka nous toise avec son visage bleuté et son regard fascinant, l’ouvrage ne passe pas inaperçu sur les étagères. On salue donc bien bas le boulot monstrueux abattu par l’éditeur d’autant plus que le lettrage (totalement intégré au travail graphique du livre) a du être entièrement refait à la main.
Il y a surtout l’œuvre.
Car au final, le plus important c’est que dès les premières pages, on oublie absolument tout ce qui précède. Voilà typiquement le genre de livre dont moins on en connait et plus on en tire plaisir. Sachez donc juste qu’on y suit le quotidien de Karen Reyes, une petite fille de 10 ans vivant dans les années 60 dans un quartier très très populaire de Chicago et totalement fascinée par les monstres classiques (zombies, fantômes, vampires et surtout… loup-garou) des comics à quelques cents et autres films d’épouvante au budget guère plus important. Ne vous laissez pas abuser par la complexité graphique des pages présentées, le récit a beau être d’une richesse folle, il reste limpide et fluide de la première à la dernière page. Une fois ouvert, il est d’ailleurs difficile de reposer le livre avant sa fin et, même arrivé jusque là, vous risquez fort de hurler à la lune pour invoquer la suite. Avec une virtuosité d’autant plus remarquable qu’elle passe inaperçue derrière l’impact émotionnel de son récit, Emil Ferris nous plonge au cœur de la vie d’une poignée de personnages tous aussi mémorables les uns que les autres. Si l’ouvrage est fortement autobiographique et est d’abord le portrait intime, subtil et complexe de son auteur, s’y mêle également une foule d’autres thématiques (sur l’identité, l’art, la famille, l’Histoire…) qui donnent à sa lecture une force toute particulière. Emil Ferris nous offre la brillante démonstration de la force et de la finesse que peut atteindre l’alliage du texte et des dessins quand il est forgé avec autant de talent. Il y aura un avant et un après ce livre, laissez vous marquer par la griffe du plus beau des monstres.
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Moi, ce que j’aime, c’est les monstres Livre premier / Emil FERRIS
ISBN : 9791090724471
Format 20,4×26,5 cm. 416 pages couleurs. 34,90€
Traduit de l’anglais par Jean-Charles Khalifa. Lettré à la main par Amandine Boucher et Emmanuel Justo. Photogravure Jimmy Boukhalfa.
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