Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso à tout va ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? Bienvenue dans notre calendrier de l’Avent Altérophile ! Tous les jours, jusqu’au 24 décembre, une idée de truc en papier à mettre sous le sapin. Bon pour l’âme, bon pour nos petits libraires-amis, bon pour nos neurones. La huitième étape de notre périple bibliophile vous propose une visite multidimensionnelle et pourtant si humaine de la pas très riante bourgade de Northampton dont le guide n’est autre qu’Alan Moore.
Pour ce coup là, nous délaissons (momentanément) les polars. Car si Jérusalem, l’intimidant pavé de plus de 1 200 pages sorti de l’imaginaire tortueux et prolifique d’Alan Moore est un brassage de tous les genres (dont le roman policier bien sûr), c’est surtout un portrait kaléidoscopique, rageur et infiniment tendre de sa ville natale : Northampton.
Le britannique Alan Moore est principalement connu par les amateurs de Bandes Dessinées en général et de comics en particulier. Son travail de scénariste des années 80 à 2000 s’est imposé comme une des œuvres les plus marquantes de sa génération. De sa brillante réinvention de la créature des marais de Swamp Thing, aux monuments Miracleman, V pour Vendetta, The Watchmen et From Hell en passant par sa foutraque et irrévérencieuse synthèse d’un siècle de pop littérature avec La ligue des Gentlemen Extraordinaires ou sa somptueuse revisite de la littérature érotique dans Filles Perdues, le bonhomme a fait la preuve éclatante de son imagination débridée et de son inépuisable invention narrative.
Après avoir claqué les portes des grosses maisons d’éditions de comics anglo-saxons au début des années 2000, il s’est, hélas, progressivement retiré de la BD pour se consacrer à la littérature sans image (et à la magie !). Il a sorti un premier roman en 1996 intitulé La Voix du Feu (traduit seulement en 2008 de ce côté de la Manche) dans lequel on suivait les destinées de 12 personnages (dont l’auteur lui-même) sur une période 6 000 ans tous liés à la ville de Northampton où est né et réside toujours l’auteur.
Pour Jérusalem, il amplifie encore la démarche entamée dans son premier livre. Il réduit pourtant l’espace de son propos puisque l’ensemble des événements du livre se déroule dans le quartier populaire des Boroughs. On peut même en suivre le déroulement rue par rue, maison par maison, sur le plan fourni dans le livre. Dans ce petit espace, Moore déploie pourtant une foule de personnages et culbutant joyeusement les époques (et les réalités!). On y suit ainsi les différentes générations de la famille Vernall/Warren dont les membres semblent condamnés à être atteints brutalement de folie, un poète aimablement foireux aussi expert en verres qu’en vers, une prostituée accro à l’héro, à Lady Di et à Jack l’éventreur, un élu municipal corrompu jusqu’à la moelle, un tueur… mais aussi une formidable bande d’enfants fantômes, Samuel et Thomas Becket, Lucia Joyce, la fille de l’écrivain James, qui fut internée dans un de ces monstrueux asiles victoriens, le poète John Clare, le compositeur Malcolm Arnold…
Dans une virevoltante structure spiralaire où tous les événements auront lieu maintes fois, où chaque acte ou même pensée aura des conséquences sur les existences de chacun, Moore construit un labyrinthe littéraire foisonnant et somptueux. Au fil d’un ébouriffant récit, protéiforme et follement généreux en détails, Moore construit un réjouissant jeu de pistes où convergent les destins de tous ses personnages avec une limpidité épatante. Car si le bouquin vous demandera un temps conséquent d’une lecture assez attentive (oubliez les transports en commun), il est aussi extrêmement prévenant avec son lecteur et multiplie les astuces pour que vous vous y retrouviez dans ce magnifique bordel. Une tendresse que l’œuvre applique également à toute sa galerie de personnages cabossés et en marge d’une Angleterre impitoyable pour les exclus.
Il faut bien reconnaître que le livre à un petit côté « forêt noire » stylistique. Moore n’y va pas avec le dos de la main morte en matière d’adjectifs, de métaphores ou de construction alambiquée de phrases. Certains paragraphes sont aussi moins réussis que d’autres et certains pastiches littéraires sont même un peu lourdingues. Malgré ces défauts, l’ensemble réussit l’exploit de rester au plus proche de personnages tous bouleversants malgré l’ampleur temporelle et cosmologique assez ébouriffante qu’insuffle Moore à ce petit carré d’humanité.
Jérusalem est un livre où il est bon de se perdre mais c’est aussi une œuvre qui vous accompagne longtemps après sa lecture. Dans un de ses chapitres, le livre vous invite d’ailleurs littéralement à le ressortir de temps en temps après l’avoir fini, pour en relire un des chapitres au hasard. C’est exactement l’envie que nous avons ressentie quand nous sommes arrivés au bout de cette œuvre follement singulière et généreuse.
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Jérusalem, Alan MOORE
ISBN : 979-10-95086-44-4
1266 pages traduites par Claro
Chez Inculte (30/08/2017), 28.90€
Plus d’1fos dans :
L’indispensable émission Mauvais Genre où le traducteur est invité.
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