Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso à tout va ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? Bienvenue dans notre calendrier de l’Avent Altérophile ! Tous les jours, jusqu’au 24 décembre, une idée de truc en papier à mettre sous le sapin. Bon pour l’âme, bon pour nos petits libraires-amis, bon pour nos neurones. Et ceux de nos bambins. Vingt-troisième chapitre de nos pérégrinations aujourd’hui, avec un album jeunesse, sorti en octobre, qui se hisse sans peine dans notre top de l’année, tant on a pris de plaisir à le lire et à le relire. S’il pouvait faire le bonheur de quelques autres, on en serait tout bonnement ravi.
Sur la première de couverture printanière, un coin de mur perdu dans la végétation. Et de part et d’autre de l’angle, un petit gars et un chien, la bouille particulièrement expressive, adossés, une patte/jambe repliée sur le mur. Entre eux un ballon. Et surtout un regard. Un œil, mi-captivé, mi-sur la réserve, aimanté vers l’autre.
Ça se passe un soir de Noël si l’on en croit le sapin chargé de guirlandes qui abrite les cadeaux de la première page. Ou du moins ça commence un jour de Noël. Car c’est une relation au long cours qui débute, une de ces amitiés durables, tendres et pour la vie, qui prend naissance entre un chien et un enfant. « Ça faisait si longtemps que j’en réclamais un que lorsque je l’ai vu, je n’en croyais pas mes yeux. Je me suis approché, et mon cœur s’est mis à battre très fort. » Entre le garçon et le chien, il faut s’apprivoiser, apprendre se connaître. Il faut s’étonner l’un de l’autre, se découvrir avec empressement. Mais aussi lentement.
Avec son très chouette format à l’italienne, l’auteur illustrateur Olivier Tallec s’offre d’immenses planches dessinées, pleines de couleurs chaleureuses qui mettent en valeur ses personnages aux petits corps un poil nonchalants et leurs énormes visages magnifiquement expressifs, qui se résument souvent à des yeux immenses qui parviennent à dire toute la complexité et la richesse d’une relation. C’est à la fois infiniment tendre et merveilleusement drôle, tant la découverte d’un ami peut parfois conduire à la perplexité. Sur la page supérieure, le texte, subtil, mesuré, qui raconte comment les personnages apprivoisent leurs différences, avec autant de tendresse que d’intelligence de la relation. Sur la page du bas, l’illustration colorée qui explose de couleurs et donne un éclairage plein d’humour à cette amitié avec une finesse tout aussi remarquable.
« Il a fallu que l’on s’habitue l’un à l’autre, c’est souvent comme ça avec les nouveaux amis. » Mais entre le garçon et le chien et leurs deux bouilles incroyablement expressives, c’est l’affection durable, celle qui pardonne les fugues, celle qui s’accommode du fait de ne peut-être de ne pas s’être choisis au départ, mais de se choisir en réalité chaque jour. « Je sais que c’est un cadeau mais, quand même, j’aurais aimé le choisir. Parce qu’il y en a des tas de différents. Bon, c’est pas grave, il est quand même super, et je crois que, de toute manière on se plait bien« . Ça ne pourrait être que l’histoire d’une belle amitié, avec un vrai propos, avec une incroyable finesse. Mais ce serait passer à côté d’une surprise narrative particulièrement jouissive qu’Olivier Tallec a glissé avec une belle intelligence dans son album.
Comme Catherine Tauveron, on aime que les livres que l’on propose aux minots soient un tant soit peu résistants. Et que soudain, au détour d’une phrase, d’une illustration, les yeux s’écarquillent d’étonnement. Et du plaisir d’avoir compris quelque chose qui leur avait échappé. Être lecteur, c’est se laisser surprendre. C’est devenir acteur de sa lecture. C’est jouer avec l’auteur des surprises dont il a jalonné son texte et ses illustrations à notre intention. Tel ce zouzou levant des yeux mi-horrifiés mi-ravis vers nous, en découvrant que Rascal avait caché un autre mot dans le titre Ami-Ami (le livre raconte une histoire d’amitié (im?)possible entre un mignonnet lapinou et un grand loup noir solitaire). Alors ici la surprise est bien moins terrifiante, mais conduira le petit (et le grand) lecteur à reparcourir les pages avec une gourmandise hilare. Avec ce nouvel album, Olivier Tallec revendique l’intelligence et la finesse de ses lecteurs minots et on ne peut que l’en remercier. Bravo.
J’en rêvais depuis longtemps d’Olivier Tallec aux éditions Actes Sud Junior
Paru en octobre 2018 / 25.00 x 35.00 cm / 32 pages
ISBN 978-2-330-08686-2
prix : 16,00 €
Nos autres idées de « papier sous le sap1 » ici :
- Du papier sous le sap1 #24 : Un jardin de sable, Earl Thompson
- Du papier sous le sap1 #23 : J’en rêvais depuis longtemps…
- Du papier sous le sap1 #22 : La Guerre est une ruse, Historique de la terreur
- Du papier sous le sap1 #21 : Thomas Wolfe, l’Ange américain
- Du papier sous le sap1 #20 : Carcinome ta mère – Céline Lefevre-Mille
- Du papier sous le sap1 #19 : Sacré Père Noël
- Du papier sous le sap1 #18 : Comics Frenzy (part II)
- Du papier sous le sap1 #17 : Les Adultes n’existent pas – Sylvia Hansel
- Du papier sous le sap1 #16 : Comics Frenzy (part I)
- Du papier sous le sap1 #15 : Alcidés cocaïnomanes
- Du papier sous le sap1 #14 : Big Bad Bagdad
- Du papier sous le sap1 #13 Le poisson pourrit par la tête – Michel Goussu
- Du papier sous le sap1 #12 : Qui a peur de la mort ?
- Du papier sous le sap1 #11 : carnets du bout du monde
- Du papier sous le sap1 #10 : Old Dog Blues
- Du papier sous le sap1 #9 : Le chant innocent du rossignol
- Du papier sous le sap1 #8 : L’Angleterre sous tous les angles
- Du papier sous le sap1 #7 : Jack is back
- Du papier sous le sap1 #6 : Vieillir en rébellion
- Du papier sous le sap1 #5 : à vos saumons !
- Du papier sous le sap1 #4 : Aux pères monstrueux
- Du papier sous le sap1 #3 : amour(s) à mort dans le Causse
- Du papier sous le sap1 #2 : Moi, ce que j’aime c’est Emil
- Du papier sous le sap1 #1 : têtes blondes et noir Morvan